Bientôt 2005. « Combien de lunes à disparaître, combien d'hommes encore à renaître... », chantait Michel Sardou. En ces derniers jours de l'année 2004, chacun vaque à ses occupations quotidiennes, parfois sans se préoccuper du réveillon du 31 décembre. Certains s'emballent, préparent et fêtent ce dernier jour de l'année avec faste ou exubérance. Eh oui, une année de passée, la Terre a fait un tour complet autour du Soleil ! Pas tout à fait, reprendrait un scientifique, puisqu'un tour complet, c'est 365 jours et un quart de jour. Mais on peut s'adonner à la tricherie si elle arrange l'organisation festive. Mais il y a autant de manières de fêter le réveillon qu'il y a d'Algériens. Et il y a ceux qui ne le fêtent pas. Sans entrer dans les considérations religieuses qui sont de la réserve des théologiens, une humilité s'impose. Ceux qui fêtent le réveillon ont tous en commun un besoin impérieux : éloigner de leur mémoire ces lourdes années de censure festive, de sang et de peur. La paix est là et avec elle la joie. Au menu : rechta. « La dinde et les marrons glacés, c'est pas de chez nous », déclare un jeune en partance pour fêter le nouvel an en Kabylie. La plupart ne font pas dans l'ostentatoire. « Il s'agit de passer un bon moment ensemble parmi des intimes. Et ça coûte moins cher que de se rendre au restaurant ou d'aller danser dans un grand hôtel. » Quoique le saumon fumé avoisine les 600 DA les 6 tranches (100 DA la tranche), les pâtisseries pas loin de 400 DA, le sapin 3000 DA et ses guirlandes (pas toujours très jolies) à 20 DA. De quoi limiter la liste des invités. Parce que moins chère, chez nous, la rechta fait place dans les foyers et donne un cachet algérien au réveillon. Et ne comparons pas le goût du poulet épicé d'une douce saveur de cannelle à ce saumon fumé âcre à vous déchirer le palais ! Ce sera la rechta, ses pois chiche en guise de boules de Noël et notre « Selecto » national, dont le goût de la pomme bat à plate couture cette eau gazeuse trop sucrée qu'on appelle Coca-Cola. A 12 000 ou 22 000 DA, le réveillon dans un grand hôtel de la capitale est réservé à ceux qui ont de l'argent. Dans une ambiance feutrée, foie gras et magret de canard au menu, on « tchin-tchin » les verres aux douze coups de minuit, le réveillon a un goût d'argent salé. Pour certains, c'est l'occasion de se détendre et de sortir en couple. « Nous passons toutes les soirées de l'année à travailler ou à la maison. Même si la soirée coûte cher, a priori, dans un grand hôtel, ça rattrape toutes celles où nous ne sommes pas sortis. Et puis c'est l'occasion de faire plaisir à ma femme », raconte un quinquagénaire, ophtalmologue dans la capitale. Il y a ceux qui festoient, habitués au luxe des grands hôtels, à la recherche de préparations culinaires raffinées et loin des turbulences de la ville. Et puis il y a les occasionnels qui désirent uniquement marquer le coup d'envoi d'une nouvelle année. Ceux-là sont généralement des jeunes mariés ou des jeunes tout court. Ils ont mis un peu d'argent de côté et s'autorisent une petite folie pour enterrer l'année 2004. « Le réveillon, c'est pas pour nous et c'est pas à nous. » Illustrés par des arguments religieux, ils expliquent que 2005 correspond au nombre d'années depuis la mort de Jésus-Christ. « Notre prophète, c'est Mohamed ! », reprend un jeune étudiant. « Notre réveillon, c'est la fête du Mouloud », continue-t-il. Cela fait parfois l'objet de débats houleux au sein d'un groupe. Il y a les partisans du réveillon du 31 décembre et les autres. « Et la robe blanche lors d'un mariage, les pétards pendant le Mouloud, c'est quoi pour toi ? C'est religieux ? C'est pas importé d'Europe ? », peste un ami du jeune réfractaire au réveillon. Et puis il y a ceux qui disent haut et fort que le réveillon c'est pas pour eux, mais n'hésitent pas à s'embourber dans une fête quelconque ce fameux 31 décembre. Par esprit de contradiction ou pour ne pas faire comme tout le monde, ils s'égosillent à prétendre ne pas vouloir faire comme tout le monde. Des Schtroumpfs grognons qui sont les premiers à s'esclaffer lors des réceptions. Des bons vivants qui s'ignorent.