Ecrire un roman comme on écrit une répartition musicale ? Au sommet de son art, Waciny Laredj l'a tenté et réussi magistralement, aidé en cela par sa grande expérience, ses innombrables lectures et son énorme puissance de travail (son roman atteint les 463 pages). May est une artiste palestinienne qui a quitté, dans des conditions dramatiques, Jérusalem en 1948. A la fin de sa vie, elle est tentée par le retour à Jérusalem. Cinquante ans d'absence, d'exil forcé et autant d'années pour forger une renommée internationale dans la musique, pour former un cercle d'amis dans le monde entier… et puis que va-t-elle trouver là-bas, elle qui est terrassée par la vieillesse et les remords ? « A vouloir forcer les rêves en les chantant très fort, ils se flétrissent », seul espoir Juba, ce virtuose du piano, sa photocopie « améliorée » (tant mieux). Ses répartitions musicales font songer à une promenade sur la neige. Et c'est Juba qui continue jusqu'à la fin du roman à exécuter ses beaux morceaux de musique sur son piano, à raconter les derniers souvenirs de May, tout en les mêlant parfois aux évènements présents ou aux souvenirs de May depuis 1948. Crématorium est coupé, plutôt entre-coupé, par de petits morceaux de musique, des lettres, des informations sur les attentats en Palestine, les incursions de l'armée israélienne, mais malgré cette foule de documents, le roman se lit facilement et le lecteur y trouvera un grand plaisir dans ses échappées lyriques ? On voudrait élever les phrases de Waciny Laredj vers la lumière pour regarder à travers et distinguer quels visibles calligrammes forment l'innocence au voisinage de l'ironie et de la mélancolie qui la réduisent à un raffinement exquis. Si le livre de Laredj n'est pas entraîné dans la démence et la violence des acteurs en cette terre sainte qu'est la Palestine, bien qu'il soit secoué par des moments et des souvenirs tristes, c'est qu'il est équilibré avec un art aussi raffiné qu'une sonate et par une relation positive qui oppose l'amour à la haine et qui incline mystérieusement la balance. May, qui a fini de buter contre les murs de la solitude, inculque à Juba, malgré sa profonde détresse, l'art de s'ouvrir à une conversion vers l'homme, c'est-à-dire ce dialogue positif, et l'art musical n'est qu'un moyen très important d'après May pour y arriver. Comme May, Juba est convaincu dans la douceur ineffable et ravie des contacts de ses doigts avec le clavier de son piano de se dissoudre dans ce dialogue, sommet de toute civilisation humaine. Malgré une mélancolie (toute musicale), Crématorium se lit comme un poème. Un roman puissant et exquis en même temps. 1) Edition Espace Libre, Baghdadi, Alger 2008. (La traduction du roman en français est en cours). 2) Dar El Adab, Beyrouth, 2008 3) Prix du meilleur roman Sila 2008.