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Quel rôle imparti à l'intellectuel dans la société ?
Publié dans El Watan le 03 - 01 - 2009

Penser le devenir de la société algérienne, c'est se poser la question du rôle que doit y jouer son élite intellectuelle dans le progrès des idées comme dans celui de la production du savoir et du sens. Par le mot « intellectuels », on désigne souvent les universitaires, les chercheurs et tous ceux qui se frottent aux diverses disciplines de la science, aussi bien « molle » que « dure ».
Comment, dès lors, définir l'intellectuel digne de ce nom ? Il ne se définit pas, contrairement à ce que l'on pourrait penser, par le diplôme, si élevé soit-il, ni par le nombre de publications inscrites à son actif ni, encore moins, par le poste ou la fonction qu'il occupe dans l'ordre politique ou administratif. L'intellectuel, le vrai, se distingue par son engagement au service de la société dans les domaines de la production du sens par l'autonomie de la pensée, relativement au pouvoir établi et aussi par rapport aux clans, aux coteries et à leurs luttes partisanes. Par production du sens, il faut entendre l'activité réflexive, qui consiste à comprendre, à analyser et à donner à voir les mécanismes ou les modes de fonctionnement et de représentation qui régissent la société dans laquelle ils vivent immergés. Dans sa quête assoiffée de connaissance et de savoir désintéressés, il vise à découvrir et à faire découvrir ce qui change ou ce qui ne change pas dans la société, ses variables et ses constantes ; pour parler le langage mathématique, ses besoins et ses attentes en termes purement économiques ou en termes d'idéaux religieux, culturels ou identitaires ; il veut savoir et faire connaître la nature des rapports qui président aux relations sociales et politiques, les pratiques qui en résultent, les valeurs « dormantes », la manière dont elles évoluent, et dans quelle direction ainsi que la représentation que se font les agents sociaux de leurs représentants élus ou qui ont été autoproclamés comme tels.
L'intellectuel s'assigne entre autres rôles, le devoir de vigilance qui consiste à ne pas applaudir « le prince » ou les gouvernants lorsque ceux-ci produisent des discours en contradiction avec le vécu social ou lorsqu'ils conduisent des politiques qu'il estime, sur la base des données concrètes dont il dispose, dépourvues de pertinence. En même temps qu'il scrute les pulsations et l'immense respiration de la société, ses bruits et ses rumeurs, il cherche à comprendre et à interpréter les tendances lourdes dont elle est porteuse et à évaluer les conséquences qui peuvent en résulter. Il se pose la question de savoir si la société civile et la société politique sont en congruence, ou au contraire en dichotomie, et si le discours officiel est audible et traduit ou non les aspirations et les attentes des administrés. Sans être le porte-voix attitré des administrés, l'intellectuel a pour rôle et pour devoir d'assumer celui de témoigner et de dénoncer éventuellement ce qu'il estime être injuste, absurde, ou contraire à la logique et au bon sens. S'il ne doit pas se prévaloir du rôle de Don Quichotte, il doit, tout au moins, être le descripteur et l'analyste impartial de ce qu'il observe de visu dans la société où il vit immergé comme un poisson dans l'eau. Se recroqueviller sur soi-même ou se taire, au motif erroné que l'intellectuel devrait se cantonner dans son laboratoire ou dans sa tour d'ivoire pour y mener sa recherche, est une erreur. Car s'abstraire des préoccupations de sa société et de son époque ne sied pas à l'intellectuel digne de ce nom. Le désengagement intellectuel pris en ce sens n'est pas seulement une attitude irresponsable, mais aussi une forme de démission et de lâcheté qui ouvrent la voie au pouvoir tyrannique, aux abus de l'autorité politique ou administrative, qui ne rendent pas service à la nation, ni à l'Etat de droit.
Où sont donc nos intellectuels ? Combien sont-ils ? Je n'ai pas de chiffres, mais une piste qui permet d'en déduire leur nombre : nous avons près de cinquante établissements scientifiques (universités, instituts, centres de recherche, etc.) répartis à travers le territoire national. Cela fait en effet beaucoup d'enseignants, dont certains affichent, en aparté, des titres ronflants de « docteurs », de spécialistes de telle ou telle discipline, et notamment de l'histoire du Mouvement national, mais après une enquête rapide, on découvre qu'ils n'ont jamais rien publié qui vaille la peine d'être cité dans une référence bibliographique sérieuse. Excepté une poignée d'enseignants et de chercheurs qui consentent des efforts sérieux, dont la qualité de l'enseignement, des travaux et des publications n'ont rien à envier à celle de leurs pairs nord-américains ou européens, le reste semble végéter dans des préoccupations fort banales. Pourtant, s'ils voulaient s'exprimer ou écrire, beaucoup d'entre eux le feraient bien, d'autant mieux qu'ils ont des idées et de la plume. Ils peuvent écrire sur leurs préoccupations de chercheurs sur l'environnement dans lequel ils travaillent, ou encore sur la manière dont ils se représentent l'enseignement, la recherche et leur devenir en Algérie. Ils pourraient écrire aussi sur l'état de l'enseignement et de la recherche dans leurs établissements respectifs, en faisant connaître les avancées ou les reculs en matière de « découvertes ». Une telle approche pourrait susciter un débat relatif au marasme et à la déprime que vivent l'université et les universitaires depuis plus de deux décennies. Les rubriques Idées-Débats, réservées par certains quotidiens nationaux de bonne facture ( El Watan, Le Quotidien d'Oran, El Khabar, etc.), témoignent, cependant, de l'existence d'une minorité d'intellectuels et de chercheurs désireux de susciter un débat de société autour de certains enjeux essentiels, comme celui de l'économie, de la culture, de l'éducation ou de la recherche. Ils s'efforcent, chacun à sa manière et dans les limites de ses compétences, d'apporter une pierre à l'édifice commun.
Mais qu'en est-il de la majorité taciturne ou morose de nos universitaires ? Elle reste malheureusement enfermée dans un silence d'autant plus inquiétant qu'il confine au repli sur soi, si ce n'est à la démission, à la résignation et au désengagement civique et civil de l'intellectuel par rapport aux préoccupations fondamentales de sa société. Pourquoi ce retrait de l'intellectuel par rapport à celle-ci, mais aussi même par rapport au rôle qu'il devrait assumer dans la vie intellectuelle de la nation ? celui de dire son mot, de suggérer des pistes de réflexion sur tel ou tel problème, de secouer les inerties et de dénoncer les facteurs de blocage qui se reflètent à travers les routines, les réflexes conservateurs, les pratiques malsaines de la gestion de la chose économique, et d'identifier, enfin, pour mieux les combattre ou les prévenir, les comportements irrationnels des agents sociaux et économiques qui affleurent à la surface ou qui sortent de biais. Un tel travail relève en effet d'un acte salutaire. Pourquoi, demandons-nous, ce désengagement de l'intellectuel algérien par rapport au rôle qui lui est théoriquement dévolu, qui est celui d'être « la tête pensante », l'éclaireur de la société ? Pourquoi se ravale-t-il ainsi au rang de la condition commune avant de finir par adopter un profil bas, alors qu'il devrait lever haut la tête et hausser sa voix pour se rendre plus présent et plus audible pour son public ? Comment expliquer cette étonnante absence de l'intellectuel de l'arène sociale, qui s'apparente, à n'en plus douter, à une perte du sens de la citoyenneté civique et civile, traits qui impliquent nécessairement l'engagement intellectuel et social au service de la collectivité ? Les raisons de cette attitude tiennent, à mon sens, à l'inhibition. Celle-ci procède de la peur réelle ou immotivée de la sanction. Elle est à l'origine de l'autocensure instituée en chacun de nous, et qui se trouve fortement intériorisée. L'inhibition tire son origine des causes diverses et souvent obscures.
C'est ce facteur psychologique qui fait que la volonté d'agir se trouve bloquée, et le désir d'extérioriser ou d'exprimer des idées ou des sentiments se fait aphasie. Ce sont toutes ces raisons invoquées qui expliquent que beaucoup d'enseignants universitaires se croient et se comportent de fait comme s'ils étaient encore sous le règne du parti unique tout puissant, épaulé dans son encadrement de la société civile, par une sécurité militaire, non moins puissante et redoutable, et qui guetterait encore les moindre gestes et paroles des citoyens. Ils n'ont pas compris que les temps ont changé, et l'Algérie aussi. Ils ne savent pas non plus ou ils ne veulent pas entendre qu'il existe et qu'il a toujours existé dans ce pays de larges espaces de liberté d'expression, même du temps de Boumediène (1965-1978) et du FLN à l'apogée de sa puissance (1978-1988). Ils ne veulent pas se faire à l'idée que quelque imparfaites que puissent être nos lois et quels que soient les défauts que puisse montrer l'application de notre Constitution, elles garantissent, cependant, aux citoyens, protection et liberté d'expression. Et je dirais même qu'elles tolèrent parfois un excès de liberté de parole, qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde arabe. Critiquer la politique sociale du président Zine El Abidine, celle du roi du Maroc ou celle encore du président syrien, AI Assad, équivaut à un acte de lèse-majesté, et donc justiciable de poursuites pénales contre son auteur. Alors que critiquer le chef de l'Etat algérien ne soulève pas la moindre objection de la part de celui-ci, à moins que la critique ne soit une atteinte injustifiée à sa vie privée. Nos services de sécurité eux-mêmes n'ont jamais, sauf rare exception, inquiété quiconque pour son opinion. Et lorsqu'il arrive même que ces services sont critiqués pour telle ou telle « bavure », ils n'ont jamais, à ma connaissance, poursuivi leurs auteurs. C'est dire que notre pays, en dépit de tous les aléas de la politique, et en dépit de toutes les insuffisances et les carences que l'on peut constater au niveau du fonctionnement de ses institutions, bénéficie de larges espaces de liberté d'action et d'expression qui n'ont pas d'équivalents dans le monde arabe et en Afrique, à l'exception de l'Afrique du Sud et peut-être du Sénégal. ..
Où est donc le problème et d'où vient donc la peur de certains de nos intellectuels de s'exprimer par écrit ? Elle provient, entre autres causes, de l'imaginaire de ces derniers, qui pensent implicitement que le pluralisme et la démocratie instaurés ou proclamés chez nous ne sont que des pièges et chausse-trappes, et, qu'en vérité, derrière chaque enseignant chercheur se dissimule la grande oreille des services secrets, comme si ceux-ci n'ont pas d'autres chats à fouetter que d'épier les gens ou de réprimer ce que les lois du pays autorisent ! Pourtant ces enseignants, me diriez-vous, lisent la presse nationale qui ne ménage pas ses critiques envers la gestion des hommes du gouvernement lorsqu'elle l'estime inappropriée. Qui ne lésine pas sur les mots pour critiquer les paroles et les actes des responsables politiques et même du président de la République sans qu'elle soit, sauf très rare exception, inquiétée outre mesure ? C'est que la peur est un état psychologique intériorisé qu'on n'explique pas, mais qu'on éprouve et que l'on constate. Elle peut résulter d'un héritage politique ou culturel ou d'une expérience collective vécue, subie ou imposée, et dont les souvenirs se transmettent par réminiscences. Mais il existe aussi une peur d'ordre objectif qui tire son origine de l'arbitraire des chefs et que le sujet ressent comme une menace contre sa sécurité matérielle. Ainsi, certains chefs d'établissement à caractère scientifique ou économique, peuvent-ils susciter et entretenir la peur chez leurs administrés, de manière à ce que ces derniers refoulent tout acte revendicatif légitime et adoptent un profil bas pour que le patron puisse avoir « la paix » et régner sans partage ?
En effet, il existe chez nous des chefs d'établissement qui se comportent comme les notables de l'époque coloniale. Ils s'octroient des pouvoirs d'autant plus omnipotents qu'ils sont discrétionnaires et cela, en dépit de la loi qui impose des limites précises à l'arbitraire, limites à ne pas franchir. Comme certains de ces petits chefs locaux, « petits » en effet dans tous les sens du mot, ils doivent plus la pérennité de leur fonction et des privilèges qui en résultent à l'obéissance qu'ils doivent à leur « grands chefs » qu'à leur compétence discutable ; ils font feu de tout bois pour leur être non seulement fort agréable, mais tentent aussi de faire preuve de zèle à leur égard, zèle qui se traduit par une gouvernance fondée sur des méthodes disciplinaires dignes des contremaîtres et des chefs du personnel du temps du capitalisme triomphant, tel qu'il se manifestait dans les fabriques de l'industrie manufacturière en Angleterre au début du XIXe siècle. En jouant sur la sanction, les chantages et les licenciements des ouvriers, les patrons du capitalisme naissant créaient la peur chez ces derniers, et celle-ci conduisait à l'obéissance et à l'acceptation résignée de la fatalité. Ainsi, l'insécurité matérielle poussait-elle les ouvriers à l'acceptation de l'humiliation, comme la rançon obligée de la sécurité ? Ainsi en est-il de beaucoup de nos enseignants universitaires qui, par peur de perdre leurs postes, boivent jusqu'à la honte les affronts et les avanies que leur infligent leurs patrons aux pouvoirs administratifs presque sans bornes. Pour ne parler que du cas de l'université de Msila dont nous connaissons les méthodes de gestion de son chef d'établissement, voici le processus par lequel la peur s'installe dans le cœur de chacun : ton cassant, hurlements, menaces voilées de licenciement ou de mise à pied sans fondement juridique ; plaintes souvent injustifiées déposées auprès de la justice contre les enseignants récalcitrants, c'est-à-dire opposés aux piétinements de la loi commune et à la dignité de l'enseignant, chantage aux bourses et aux détachements à l'étranger ; irruption brutale du recteur dans les salles de cours et amphis pendant le déroulement des examens, au motif qu'il veille au bon déroulement de ceux-ci, attitude pleine de morgue hautaine et distance souveraine affichée à l'égard des enseignants qui ne lui font pas la courbette ; sentiments affichés à la surface d'être intouchables, au motif suggéré qu'il est le protégé du « grand patron » et aussi des « relations » locales ; volonté affichée au grand jour de « dégommer » tous ceux qui ne se plient pas à ses humeurs et caprices, y compris les doyens et les chefs de service qui se montrent peu coopératifs avec sa politique de gouvernance conduite à la hussarde, tels sont les méthodes employées pour faire « peur » et en imposer.
Autant de moyens de pression et de dissuasion qui achèvent d'ôter toute velléité d'expression ou de protestation légitime et publique. Le père de famille, l'enseignant ou le petit fonctionnaire, qui a une famille à charge, un loyer à payer ou une maison à construire, n'a pas intérêt à élever la voix ou à « protester » contre la voix de son « maître », si injuste soit-elle. Mais l'abaissement de la voix peut être un choix calculé : l'enseignant qui brigue un statut enviable dans l'établissement ou un avancement de carrière, ou encore l'obtention de privilèges qui relèvent souvent plus du passe-droit (stages, bourses...) que d'un droit justifié par l'achèvement d'une thèse ou par la participation effective à des colloques internationaux, n'en a cure de sa dignité et de son honneur qu'il peut piétiner allégrement. Celui-là, il peut tout accepter, y compris les avanies de son patron. Autant de cas de figure en effet, qui expliquent le silence relatif de beaucoup de nos chercheurs et « intellectuels », si tant est qu'ils existent devant l'abus de pouvoir administratif dont ils s'accommodent par opportunisme à l'état pur. Ce type d'« intellectuels » ne bougent et ne mobilisent toutes leur énergie que lorsque des offres de stage à l'étranger sont annoncées. C'est alors qu'ils jettent leur dévolu sur cette aubaine et se montrent d'une pugnacité telle qu'ils font feu de tout bois pour l'obtenir. Les malheureux candidats, les exclus, ne restent pas pour autant les bras croisés. Ils ne s'avouent pas perdants. Ils multiplient les lettres de recours, font entre 600 et 1000 km pour « monter » à Alger afin d'assiéger le ministère de l'Enseignement supérieur qui n'en peut plus, mais ! La salle d'attente du responsable des bourses ne désemplit pas de ces visiteurs « lésés » et pleurnichards qui transforment les halls d'attente en véritables « boudoirs ».
C'est par ces bourses qu'on tient en effet ces intellectuels dans la dépendance étroite de l'administration. C'est par ces avantages souvent indus, car offerts sans aucune contrepartie scientifique et sans aucune obligation de résultats en retour, que l'on façonne ce profil de chercheurs intéressés et dont l'esprit critique s'émousse à l'odeur de l'argent. Il ne faut cependant pas en inférer que l'administration corrompt de manière délibérée ces têtes plus ou moins juvéniles. Il ne faut pas non plus insinuer que l'octroi de ces bourses généreuses aux étudiants et aux chercheurs est politiquement planifiée par l'Etat de manière à corrompre moralement et intellectuellement ceux-ci. Ce serait grave et injuste de le croire et de le faire accroire. La vérité, c'est que ce droit aux stages ouverts par l'Etat se fonde à l'origine sur une intention noble et dénuée de tout calcul politicien. Il visait, avant tout, à former des cadres de haut niveau, capables d'encadrer les institutions et d'imprimer à celles-ci l'orientation et les options fondamentales retenues par les pouvoirs publics. Mais cette intention louable a été, avec le temps, les pratiques et la routine des agents sociaux, détournée de ses objectifs initiaux, et donc pervertie. Ont participé à cette perversion, et de manière active, les demandeurs même de ces stages et bourses. En découvrant les avantages pécuniaires de ces bourses et la découverte qu'ils permettent de l'ailleurs rêvé (l'Occident et l'Orient imaginaires), ils ont oublié cette soif désintéressée de connaître et d'emmagasiner le savoir opérationnel, utile pour eux-mêmes et pour la société. Ce que l'on pourrait cependant reprocher aux gestionnaires des établissements scientifiques et à l'administration centrale, c'est leur laxisme qui se traduit par le laisser-aller et le laisser-faire.
Le fait de ne pas exiger du bénéficiaire du stage un rapport détaillé de son séjour à l'étranger et de se montrer peu regardant sur les résultats de la recherche des doctorats, donnent à ces bénéficiaires le sentiment d'impunité. A leur retour au pays, ils ne sont jamais ou très rarement sommés d'établir un rapport scientifique de leur activité, et quand ils le font, il est si bâclé qu'il est incompréhensible. Cela rejaillit d'ailleurs sur leurs thèses finales dont l'illisibilité et la logomachie pseudo-scientifique donne des frissons de vide vertigineux. C'est ce processus qui conduit à la vénalité de bien des chercheurs... En dehors des stages et des bourses, cette vénalité poursuit sa carrière à l'intérieur même des établissements. Si certains « intellectuels » ou enseignants sont vraiment vénaux ou achètent leur « paix » et sécurité au prix de la servilité et de la bassesse, d'autres sont honnêtes ; mais si peureux et si lâches qu'ils ne veulent pas se mouiller les doigts, ni élever la moindre voix pour dénoncer les abus dont ils sont l'objet ou qu'ils observent de visu. Ce faisant, ils participent eux-mêmes à leur propre inféodation. Le sens de justice et de dignité de l'homme, qui fait l'une des valeurs précieuses de nos ancêtres et de nos martyrs de la liberté, s'est effacé ou presque à jamais pour céder la place à l'indignité, à l'obséquiosité et à la bassesse. L'argent autant que la lâcheté pervertissent ce qu'il y a de vertueux et d'élevé chez l'homme, et l'homme dépourvu de vertus morales et intellectuelles ne fait pas « le bon citoyen ». Inversement, le responsable, qui mise plus sur la gestion de l'institution qui lui est confiée en dépôt et sur l'autoritarisme que sur l'autorité fondée sur la compétence et la probité morale et éthique, ne fait pas non plus ce « bon citoyen », dont un pays a besoin pour édifier un Etat respecté et qui en impose. On ne saurait donc espérer voir émerger un jour proche une élite intellectuelle autonome, critique et responsable, lorsque la plupart de ses membres acceptent l'humiliation sans broncher ou lorsqu'ils s'enferment dans le silence frileux et coupable. Cette posture de repli négative ne rend pas service au pays, et encore moins encore aux intéressés. En optant pour le retrait ou pour l'esprit courtisanesque qui tue la dignité et l'honneur de l'homme qui se respecte, ils finissent inexorablement par favoriser la médiocrité et l'arbitraire sur toute la surface de la société. Alors qu'on s'attendait à ce que la réflexion critique, le courage et la hardiesse proviendraient des universitaires, nous voici surpris, mais de manière agréable, de voir ces qualités-là venir de là où on ne les attendait pas : les journalistes. La presse algérienne, toutes familles linguistique par ailleurs confondues, a produit incontestablement des talents et des critiques qui comblent ce vide vertigineux laissé par les universités, dont le nombre de « docteurs » augmente pourtant d'année en année, sans que cet accroissement quantitatif ne produise la qualité requise en termes de production et d'analyses critiques de la société civile et politique. Seul le monde de la presse, notamment indépendante, fournit le plus d'efforts dans les domaines de l'information et de la vulgarisation scientifique. Ce faisant, les journalistes contribuent à leur manière et au milieu d'une foule d'obstacles au relèvement intellectuel et moral de la nation par les éclairages qu'ils apportent au quotidien. Pourquoi nos universitaires n'imitent-ils pas leur exemple pour secouer leur léthargie et briser le cercle de la peur ou de l'inhibition dans lequel ils s'enferment comme par lâcheté ? Comment en est-on arrivés à ce résultat calamiteux ? Le prochain article s'efforcera d'identifier les causes profondes de ce délitement de l'édifice social avec ses valeurs traditionnels qui donnaient jadis à l'individu des repères stables, sûrs et sécurisants.


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