Le chanteur Matoub Lounès, lui-même auteur d'une autobiographie écrite en collaboration avec la journaliste française Véronique Véronique Taveau (Le Rebelle, Stock, 1995), a suscité après sa tragique disparition une importante bibliographie : biographies, recueils de poésies, thèses… De tous les chanteurs algériens, Matoub Lounès est celui qui a le plus suscité d'écrits. Biographies, recueils de poésie, compilation d'articles… les écrits, d'inégale importance, enrichissent régulièrement la bibliographie qui lui est consacrée depuis sa mort, un funeste jour de juin 1998. A l'occasion du vingtième anniversaire de sa disparition, des oeuvres sur Matoub paraissent en libraire. Les auteurs évoquent le parcours de l'artiste disparu, son engagement, et traitent aussi de son lâche assassinat. L'écrivain et journaliste Youssef Zirem publie Matoub Lounès, la fin tragique d'un poète aux éditions Fauves (Paris). L'auteur, qui fait le récit de la vie du chanteur, depuis sa naissance jusqu'à son assassinat, explique que son récit est avant tout le portrait d'«un homme généreux, talentueux et sincère». «Celui qui a passé son enfance sur les hauteurs majestueuses de sa Kabylie natale a parcouru bien des pays pour dire et chanter sa culture, ses valeurs et ses multiples quêtes. Jamais il n'a triché, jamais il ne s'est laissé faire, son courage est devenu légendaire. Aujourd'hui il est un symbole pour tous les Amazighs du monde», détaille-t-il. Pour l'ancien journaliste de La Nation et de La Tribune, installé à Paris, Matoub est ce poète-chanteur visionnaire qui s'était opposé à l'islamisme, aux militaires et à toutes les injustices. «Il avait défendu les opprimés aux quatre coins du monde. Sa riche carrière artistique a duré 20 ans. Ses assassins, qui courent toujours, lui ont ôté la vie le 25 juin 1998. Le procès de ses tueurs n'a pas eu lieu», soutient-il. L'auteur, qui s'appuie sur les livres consacrés au chanteur, mais aussi sur des anecdotes personnelles, revient largement sur les conditions de son assassinat pour situer les responsabilités des uns et des autres. «Je reviens sur les circonstances de son assassinat avec des angles de vue nouveaux. Sans aucun tabou», tranche-il. Dix ans après L'Assoiffé d'azur, consacré au chanteur disparu, le sociologue et dramaturge Smaïl Grim revient dans son livre, Matoub Lounès : le messager de la famille qui avance (Dar El Hikma), sur le parcours du Rebelle. Préférant ne pas s'attarder sur la carrière extraordinaire du barde, Grim consacre de larges chapitres à la poésie de celui à qui il compte dédier, avec le concours de l'APC d'Azeffoun (Tizi Ouzou), une exposition de photos et un spectacle poético-musical (voir agenda des sorties). Le chanteur n'a pas intéressé que ses compatriotes. Le 10 janvier dernier, un poète et romancier français, Bruno Doucey, a consacré au chanteur un récit destiné aux jeunes : Matoub Lounès, non aux fous de Dieu (Actes Sud Junior). «Lounès Matoub a mené un combat contre un monstre à deux têtes : le pouvoir et l'intégrisme islamiste. Le fait que j'aie axé mon récit sur sa lutte contre le fanatisme religieux ne signifie pas que j'élude la première problématique, mais que je l'éclaire autrement, mettant discrètement en évidence les collusions d'intérêt et la façon dont deux forces antagonistes se conjuguent pour parvenir à leurs fins. En vérité, les paroles du chanteur se sont frayées un chemin entre deux parois obscures», a confié à El Watan Week-end Bruno Doucey (voir entretien). «Ay Izem anda tellid ?» Depuis une vingtaine d'années, des auteurs sont revenus sur le parcours de l'homme. D'abord ses proches. Deux récits émouvants de sa sœur Malika et de sa femme Nadia, paraissent en France au lendemain de son assassinat : Matoub Lounès, mon frère (Albin Michel) et Pour l'amour d'un rebelle (Robert Laffont) — jamais édités en Algérie. Si une partie de la vie de l'enfant écorché vif d'Ath Douala est connu grâce à son autobiographie (Le Rebelle) écrite en collaboration avec la journaliste française Véronique Taveau (Stock, 1995), les récits de ses proches parentes nous détaillent certaines facettes méconnues de la figure de proue de la revendication identitaire berbère. Elles reviennent, bien sûr, sur l'assassinat en faisant le récit de cette journée du 25 juin qui marquera à jamais cette région du pays. «Matoub aura été perturbateur, contestataire, subversif, dérangeant dans sa mort comme dans sa vie», écrit à raison Malika dans le chapitre consacré à l'assassinat de son frère aîné, «né et mort tant de fois». L'auteur et journaliste Rachid Mokhtari publiera le premier, en 1999 aux défuntes éditions du Matin, un essai : Matoub Lounès, témoignages artistiques, Ay Izem anda tellid ?. Le critique consacre de larges espaces à des amis du défunt des Issers (Boumerdès) où le chanteur en herbe, admirateur patenté de Dahmane El Harrachi et digne successeur de son oncle parisien, Moh Smaïl, a vécu une partie de son adolescence tourmentée ; il revient dans une étude concise sur la chanson de mobilisation et de revendication de la cause amazighe qu'impulsera le jeune de Taourirt Moussa. Un autre livre contreversé, paru en 2003, essaie d'apporter, sans trop convaincre sa famille, un éclairage sur l'assassinat de celui qui est parti trop tôt : Assassinat de Matoub, vérités, anathèmes et dérives (Ed. Liberté). Les auteurs, Djaffar Benmasbah et Nordine Aït Hamouda (alors cadre du RCD) affirment avoir voulu rendre hommage au défunt mais aussi donner un «un éclaircissement sur le kidnapping et l'assassinat». La poésie de Lounès a également intéressé les auteurs, dont certains sont issus du milieu universitaire. Deux compilations fort intéressantes des textes du poète-chanteur ont été publiées par Yalla Seddiki : Mon nom est combat (La Découverte) et par Rachida Fitas, Matoub Lounes. Tafat N-wuru (lumière de brûlure), (Mehdi). Les deux universitaires permettent, grâce à leurs recueils, de familiariser les lecteurs avec la richesse lexicale de la poésie matoubienne. On y découvre aussi le foisonnement thématique d'une œuvre étonnante : le répertoire du chanteur compte 218 textes répartis en 32 albums. Récupération de l'homme Dans cette recension, il n'est guère possible d'oublier l'inégalable Abderrahmane Lounès et les deux livres consacrés au chanteur, Le barde flingué et Le Testament (Edif 2000, Publisud), sont une belle somme sur le parcours de l'homme, ses engagements, souvent difficiles, sa verve inégalée et même l'épisode malheureux de son assassinat… Ayant interviewé Lounès dans son village natal et à Alger, l'auteur d'une anthologie de la littérature amazighe (Anep) comptait publier les textes du vivant de son compère. Mais la bêtise en a décidé autrement. D'autres auteurs se sont intéressés au défunt, comme Mohamed Gaya dont l'essai historique et bibliographique, Anazbay (le résistant), est le premier écrit en tamazight sur le chanteur assassiné. «C'est le premier en tamazight. Il a été édité à compte auteur en Algérie en janvier 2008 et réédité en France en 2013. Plus de 9000 exemplaires ont été vendus. C'est l'hommage qu'on peut rendre à celui qui a sacrifié sa vie pour cette noble cause», estime l'auteur. Mohand Loukad consacre une anthologie au chanteur disparu : Matoub Lounès : Tabrat i... (lettre ouverte). Des études thématiques ont été publiées sur le poète-chanteur par Mohand-Akli Salhi, Le discours féminin dans la chanson de Matoub : Analyse de cinq chansons (1997)… Des articles sont compilés et même un entretien (L. Alioui). A cela s'ajoute un recueil de poésies dédié au chanteur : D'Agellid (C'est un roi) de Abdelhafid Chanane. Linguiste et auteur d'un essai très remarqué sur l'autre icône de la chanson kabyle, Aït Menguellet (Tahar Djaout et Lounis Aït Menguellet, Koukou), Ali Chibani regrette le «détournement» de la pensée du défunt dans les quelques textes publiés depuis sa mort : «Il y a beaucoup de choses sur son engagement politique et parfois Matoub Lounès devient un moyen de voiler notre désengagement collectif. Il est même devenu, malheureusement, un moyen de valider des idées politiques portées par les auteurs des textes écrits et non de Matoub lui-même, dont les propos sont parfois détournés volontairement de leur sens premier. J'ai apprécié la traduction-adaptation qu'a faite Yalla Seddiki des textes de Matoub.» Ali Chibani espère qu'«un jour, nous saurons cesser de le citer comme faire-valoir destiné à taire nos blessures narcissiques ainsi que nos défaites morales et politiques afin d'écouter ce que sa voix qui tonne nous dit et la manière dont elle nous le dit qui révèle mieux que tout son âme et ses idéaux». L'écrivain et journaliste plaide pour la reconnaissance de Matoub comme poète : «Pour faire vivre la mémoire d'un poète, il n'y a rien de mieux que d'étudier ses textes objectivement. Même si la blessure qu'a ouverte en nous son assassinat est toujours vive, il faut sortir de l'hyperbole et aller au-delà aussi bien du symbole que du symbolique pour valoriser le génie créateur de ce grand poète. Je vous avoue que le titre d'une des parties (Redites pour un peuple prisonnier du symbolique), de mon dernier livre Mes poches vides, mon miroir brisé. Les tripes de la petite Zohra dans une bassine d'eau javellisée (Koukou Editions) m'a été en partie inspiré par ce qu'on fait du nom de Matoub Lounès.» Lira-t-on un jour une biographie et des critiques désintéressés consacrées au poète-chanteur ?