Le silence du président de la République, concernant l'avenir du gouvernement de Youssef Chahed, traduit un choix difficile face à la situation traversée par la Tunisie, marquée par une crise socioéconomique aiguë et une scène politique très divisée. Près d'un mois s'est écoulé depuis la suspension, par le président Béji Caïd Essebsi, le 28 mai dernier, des réunions de l'accord de Carthage, sans qu'il y ait la moindre réaction de la Présidence, initiatrice de ce dialogue. Entre-temps, la direction de l'UGTT a fait son pèlerinage annuel à Genève pour les réunions du Bureau international du travail (BIT). Pour sa part, le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, est parti en Malaisie pour un rite religieux, pendant la dernière dizaine de Ramadhan. La BCT a augmenté d'un point le taux du marché monétaire, qui passe à 6,75%, un taux très élevé de location de l'argent, traduisant les difficultés financières et économiques du pays. Maintenant, la pause est terminée avec la fin du Ramadhan et il est grand temps de trouver la bonne formule de sortie de l'impasse politico-économique traversée par la Tunisie. Du coup, tous les regards se dirigent vers le Palais de Carthage malgré la position constitutionnellement supérieure de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). La classe politique et les organisations nationales attendent un geste du président de la République. Après 22 mois au pouvoir, Youssef Chahed et son équipe connaissent, mieux que quiconque, les dossiers brûlants qui clouent au sol la transition socioéconomique en Tunisie. Par ailleurs, Chahed et son gouvernement ne s'attendent plus à un quelconque soutien de la part de la classe politique. Personne ne veut avoir son nom mêlé à des décisions impopulaires comme le recul de l'âge de la retraite, le blocage des salaires et des recrutements, ou encore la hausse de certains prix comme ceux des carburants, de l'électricité et du lait. Aucun parti politique ne veut défendre de tels choix, pourtant vitaux pour une économie en difficulté, ou faire un bras de fer avec la centrale syndicale, l'UGTT. Restera… Cette approche prudente s'applique même aux islamistes d'Ennahdha, qui soutiennent le maintien de Youssef Chahed à la tête du gouvernement et qui ont fait partie de toutes les alliances au pouvoir depuis 2012. Les islamistes sont conscients des difficultés traversées par le pays mais ne font pas le moindre geste effectif dans les grands dossiers, comme les caisses sociales, pour éviter de compromettre leurs chances lors des élections générales de 2019. Ennahdha se limite à défendre le gouvernement en place, dans la parole. Mais, Ghannouchi et ses disciples ne font rien de spécial pour faire avancer l'action gouvernementale. Ennahdha ne pratique pas dans les gouvernements d'après 2014, le populisme, en vogue lorsqu'elle était à la tête du pouvoir pendant l'ère de la Troïka en 2012-13. Laquelle politique a ruiné les caisses sociales, qui ont subi le poids financier des recouvrements sociaux en faveur des nahdhaouis réintégrés dans leurs emplois, en sacrifiant la bagatelle de 1,6 milliard de dinars (700 millions d'euros) en 2012. Aujourd'hui, la classe politique a abandonné Youssef Chahed et son équipe. Toutefois, le maintien de Chahed serait souhaité par les institutions internationales, soucieuses d'un minimum de stabilité en Tunisie. Un gouvernement tous les dix mois, ce n'est pas très fiable. … Ne restera pas Il y a d'abord l'UGTT qui réclame le départ de Chahed sur la base des résultats médiocres de sa gouvernance. «On ne reconduit pas l'entraîneur d'une équipe qui a échoué sur tous les plans», ne cesse de répéter Noureddine Taboubi, secrétaire général de la centrale syndicale. L'autre chef de file de l'opposition à Chahed, c'est Hafedh Caïd Essebsi, le directeur exécutif de Nidaa Tounes, le parti dont Chahed est issu. «Avec les trois présidents (République, ARP et gouvernement), issus de Nidaa Tounes, cela veut dire que ce parti a conduit le pays vers l'échec actuel, et ce n'est pas bon pour préparer les élections générales de 2019», disent des sources au sein de Nidaa Tounes. Des interrogations accompagnent, par ailleurs, les dernières déclarations du ministre grand conseiller à la présidence de la République, Lazhar Karoui Chebbi, qui a dit que «seule la commission constitutive de Nidaa Tounes, de juin 2012, est légale», contestant ainsi la légalité de Hafedh Caïd Essebsi à la tête du parti. Venant de Me Chebbi, le proche parmi les proches du président Caïd Essebsi, cela permet d'imaginer certains scénarios. Pareille hypothèse pourrait conduire à la reprise de la direction de Nidaa Tounes par les dinosaures et, pourquoi pas, l'attribution à Chahed du poste de directeur exécutif. Pour le gouvernement, ce serait alors une formule technocrate à la Mehdi Jomaa. C'est une formule plausible si l'on cherche le redressement du parti du Président. Mais l'issue n'est pas claire.