Les partis et les organisations nationales, signataires de l'accord de Carthage de juillet 2016, socle de l'alliance au pouvoir, ont décidé d'établir une feuille de route des priorités socioéconomiques et de désigner l'équipe pouvant la mettre en marche. Chahed et son gouvernement pourraient bien partir. A cinquante jours des élections municipales du 9 mai prochain, les signataires de l'accord de Carthage ont décidé de ne pas attendre les résultats du scrutin et d'entamer des tractations pour faire les remaniements qu'il faut. «Aucun tabou», affirme Noureddine Taboubi, secrétaire général de la puissante centrale ouvrière UGTT, partenaire du pouvoir en place. Il y a quelques semaines à peine, l'UGTT demandait un remaniement ministériel, mais soutenait Youssef Chahed. Aujourd'hui, Taboubi n'écarte pas l'éventualité de remplacer Chahed, qui a «osé» parler de privatisation de quelques entreprises publiques. On parle de la Régie des tabacs et de la Banque de l'habitat. Laquelle privatisation est pourtant décrétée ligne rouge par l'UGTT. Un remaniement survenant sur fond de crise socioéconomique qui secoue la Tunisie avec une cherté de la vie sans précédent. L'inflation a frôlé les 7% en février et des déséquilibres alarmants des indicateurs macroéconomiques (déficits commercial et budgétaire ; chute de la monnaie locale). L'actuel chef du gouvernement, Youssef Chahed, installé en septembre 2016, n'est pas parvenu à redresser la barre. Imprévu Personne ne s'attendait à ce que la situation soit chamboulée aussi rapidement autour du gouvernement de Youssef Chahed, adossé à l'alliance solide des islamistes d'Ennahdha avec les modernistes de Nidaa Tounes du président Béji Caïd Essebsi. Pourtant, l'approche des élections municipales et le spectre d'une victoire des islamistes ont fait, semble-t-il, bouger les choses. Les opposants à Ennahdha ont convenu que la création d'un événement politique, comme un second épisode de lutte contre la corruption, pourrait remuer le socle solide des islamistes. D'où ce remue-ménage, conduit par l'UGTT, pour un remaniement ministériel et une feuille de route des priorités socioéconomiques. Le secrétaire général de l'UGTT a assuré que lors de la réunion du 13 mars des signataires de l'accord de Carthage, tout le monde était d'accord sur le fait que la situation est délicate et que tout le staff gouvernemental en assume la responsabilité. Et comme ce gouvernement est l'émanation de l'accord de Carthage, sa réussite ou son échec lui reviennent. Taboubi parle d'opération chirurgicale «devant avoir lieu le plus tôt possible» et affirme que l'ensemble des partis et organisations sont avec cette proposition. Le secrétaire général de la centrale syndicale précise qu'il y a uniquement un parti politique qui considère que «la priorité est aux élections municipales» et se déclare pour «le maintien du gouvernement actuel jusqu'à la date de ces élections». Il s'agit des islamistes d'Ennahdha qui veulent tout mettre en stand-by jusqu'aux élections municipales du 9 mai prochain. Islamistes confiants Comme l'a dit Taboubi, Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahdha, était le seul à défendre le maintien du gouvernement Chahed jusqu'aux élections municipales et le remanier en fonction des résultats. Un communiqué du bureau politique d'Ennahdha, diffusé après la réunion des signataires de l'accord de Carthage, a appelé, avant-hier, tous les acteurs politiques à respecter les résultats des élections de 2014 et l'équipe au pouvoir qui en est issue jusqu'à la tenue des prochaines élections. «Cette équipe au pouvoir devrait être consolidée par un dialogue national pour préserver l'unité nationale», a-t-il affirmé, en appelant tous les acteurs de la scène nationale «à préserver la stabilité du gouvernement et à le tenir à l'écart de tout ce qui risque d'entraver son fonctionnement ou de perturber les négociations en cours avec les institutions financières internationales, surtout que la Tunisie s'apprête à sortir sur le marché international pour mobiliser les ressources nécessaires afin de combler le déficit budgétaire». Le communiqué a également évoqué l'urgence d'engager un dialogue autour des grandes réformes nécessaires comme point de départ pour remédier à la situation économique et sociale difficile que traverse le pays. Par ailleurs, le bureau politique d'Ennahdha a jugé indispensable d'asseoir un climat favorable aux élections municipales qui, a-t-il dit, représentent une étape importante pour la consécration de la transition démocratique et la mise en place de l'ensemble des institutions de l'Etat. Et c'est surtout ce point qui intéresse les islamistes, donnés favoris aux prochaines élections et voulant préserver leurs chances pour ces joutes électorales locales. Les vainqueurs des municipales les utiliseraient comme tremplin pour les élections générales de 2019. Youssef Chahed pourrait faire les frais de ces calculs politiciens.