Sali, 5 ans, aimerait écrire. Et puis lire, aussi. Mais des livres de la maison, il ne reste que quelques pages brûlées et beaucoup de cendres. Al Khalil (Cisjordanie). De notre envoyée spéciale Il y a environ trois semaines, des colons sont entrés dans sa maison par le toit et ont mis le feu à une des chambres. Sali n'habite pas Ghaza. Avec ses parents et ses neuf frères et sœurs, elle vit à Al Khalil (Hébron), en Cisjordanie. Plus exactement à H2. Presque une dénomination de camp. Depuis 1997 et l'accord de redéploiement de l'armée israélienne dans la ville, Al Khalil est divisée en deux zones : H1 et H2. « La première, où vit 80% de la population, est sous contrôle de l'Autorité palestinienne, nous explique un riverain. Les Israéliens contrôlent la seconde… où les juifs détiennent toutes les places stratégiques. La plupart des colons, de vrais fondamentalistes, viennent des Etats-Unis, en particulier de Brooklyn. Et chaque six mois, une nouvelle famille arrive. Ils sont environ 400 et ont au moins 400 soldats pour les protéger. » Trente-cinq kilomètres séparent Jérusalem d'Al Khalil. Sur cette distance, le premier regard trouve forcément le paysage lumineux, sculpté par les collines de Cisjordanie et les murets de pierres sèches, les cultures d'oliviers, d'amandiers et de vigne. La réalité est moins romantique. « La route sur laquelle nous nous trouvons déchire les Palestiniens, nous explique le chauffeur en nous montrant le village de Husan. Les Israéliens sont en train de construire une route pour relier le village à Bethléem, de sorte qu'ils n'aient pas à se croiser. » En contrebas de la route, une chaussée géante encore non goudronnée a été tracée au milieu d'un champ d'oliviers dont plusieurs dizaines ont été arrachées. Cette nouvelle route disparaît ensuite sous un tunnel. « Là, les Israéliens vont installer une barrière, qu'ils fermeront quand bon leur semblera, comme ils le font dans d'autres villages. Parfois, ils n'ouvrent qu'une demi-heure le matin et le soir, à une heure précise. Mais en pleine saison des récoltes, il est impossible pour les paysans palestiniens d'avoir de telles contraintes. Certains sont obligés d'abandonner leur cueillette en plein soleil pour avoir une chance de rentrer chez eux… » Un avant-goût de ce qui nous attend à Al Khalil. Fermée depuis les années 1980 par les Israéliens, la vieille ville ressemble à une cité fantôme. Il y a six mois, sur une initiative de la municipalité, soutenue par l'Union européenne, les commerçants ont été encouragés à reprendre leur activité. « Je vends 20 shekels des colliers qui se trouvent à 100 shekels à Jérusalem, témoigne Rabah, la cinquantaine. Autrefois, il tenait déjà une échoppe du genre dans l'ancien marché aux bijoux… que les Israéliens ont fermé il y a sept ans et laissé à l'abandon. ça ne me rapporte rien. Mais que voulez-vous faire ? Je suis vieux maintenant… J'ai treize enfants à nourrir, alors je compte sur les quelques touristes qui passent par là. » Selon un rapport publié par B'Tselem et l'Association pour les droits civils, deux organisations israéliennes de défense des droits humains en 2007, la politique appliquée par Israël au centre-ville d'Al Khalil a incité des milliers de Palestiniens à partir et plus de 1800 commerces ont été fermés depuis 1994. D'après l'ONU, l'économie dans la section H2 a été presque totalement détruite : huit Palestiniens adultes sur dix sont sans emploi et quelque 75% vivent en-deçà du seuil de pauvreté. Résolus, comme les frères de Sali, à vendre des cigarettes pour gagner quelques shekels.L'avenue marchande de la vieille ville est étroite, le soleil n'y entre presque pas et à certains endroits, la vue du ciel est même obstruée par du grillage où s'entassent toutes sortes de détritus. Au-dessus du grillage, des fenêtres d'appartements donnent directement sur la rue. « Les colons habitent là, précise un des commerçants. Pour nous protéger de tout ce qu'ils jettent - des pierres, des ordures, de l'eau des toilettes ou encore des bouteilles de vin ou des cannettes de bière -, nous avons installé du grillage. »Point culminant de cet apartheid sans limites : le Tombeau des patriarches, lieu de culte mixte, où pour juifs et musulmans, Abraham, Isaac, Jacob et leurs femmes sont enterrés. A l'entrée, passage obligé au détecteur de métaux et au regard inamical des soldats israéliens. « Après le massacre de 1994 - Baruch Goldstein, un juif, a ouvert le feu dans la mosquée, tuant 29 personnes, le tombeau est resté fermé neuf mois, nous explique-t-on, puis a été partagé en deux : d'un côté, la synagogue, et de l'autre, la mosquée. » Chacune des communautés dispose d'une fenêtre avec barreaux avec vue sur le tombeau d'Abraham, la fenêtre de la synagogue étant protégée par un rempart transparent. Dans la salle de prières de la mosquée, un chemin de tapis en paillasse, posé par-dessus les tapis qui recouvrent le sol, court le long des murs. « Cette installation est faite pour les officiels israéliens et les nouveaux soldats qui ont besoin de visiter les lieux, nous explique le guide. Comme ils ne veulent pas retirer leurs chaussures, des tapis spéciaux ont été posés, surveillés par des caméras fixées sur les murs. » Et d'ajouter : « Il y a pire : pendant leurs jours de fête, les juifs nous interdisent l'accès à la mosquée. Et dans l'année, il y en a beaucoup ! Voilà trois ans que les musulmans se sont vus interdits de mosquée pendant cinq jours en plein Ramadhan ! » Dans H2 (la ville sous contrôle de l'Autorité palestinienne), la vie semble plus clémente. étals sont plus fournis en fruits secs, en vêtements, en vaisselle, en fruits et légumes. Un Palestinien familier d'Al Khalil sourit, amer : « Il y a dix ans, un commerçant du marché principal gagnait 2000 dollars par jour. Aujourd'hui, sur toute l'année, il ne fait même pas 1000 dollars. Le marché a été fermé pendant sept ans et puis, sous la pression de la Croix-Rouge, les Israéliens ont laissé les Palestiniens accéder à leurs boutiques pour prendre leurs marchandises. Aujourd'hui, certains ont rouvert sans autorisation. » Sur leurs chaises plantées sur les pavés, ils tuent le temps en égrenant une sebha ou en discutant avec un voisin. « Ils ne gagnent rien, ils perdent même de l'argent. Et un soldat peut passer d'un moment à l'autre et les obliger à fermer. Mais ils sont là. Pour protester. »