Triptyque n Le succès d'un livre repose essentiellement sur trois critères : la qualité esthétique et culturelle du produit, sa promotion tous azimuts et sa distribution. A partir de là, pouvons-nous affirmer sans risque de nous tromper que nos maisons d'édition remplissent parfaitement ces obligations ? La réponse, bien sûr, est non. En fait, nous n'avons pas de véritables maisons d'édition au sens éditorial du terme, mais beaucoup plus des officines d'impression, prosaïquement des imprimeries. Là s'arrête apparemment leur seule compétence. Comment un jeune écrivain se fait-il publier aujourd'hui ? Quel labyrinthe doit-il emprunter pour arriver à ses fins ? Aucun sinon qu'il doit tout faire par lui-même. Après avoir passé deux ans, voire trois et même plus à écrire son livre en y mettant toutes ses tripes, tout son cœur, éventuellement son talent s'il en a un, après avoir veillé des nuits entières à mettre en forme les idées qu'il voudrait étaler avec passion sur chacune de ses pages, le novice boucle enfin son ouvrage. Dans la fièvre, dans la passion. Puis reprend son livre, pour une ultime correction, page par page, chapitre après chapitre. Le livre est «allégé» et prêt à l'emploi. Il passe alors à une seconde étape : l'impression sur micro qui demandera des semaines d'efforts au futur écrivain. Et là encore, il lui faudra corriger en donnant la chasse à la plus petite coquille. Et lorsque tout est prêt sur disquette, il lui faudra négocier d'abord le contenu de l'ouvrage et sa forme et, bien sûr, le prix de la prestation qu'il doit payer à la maison d'édition. Cela varie en général entre 30 et 40 000 dinars. Lorsque le livre est enfin imprimé, l'éditeur n'offre à l'écrivain qu'une demi-douzaine d'exemplaires pour son usage personnel ou sa famille, le reste qui n'excède pas les 3 500 exemplaires, est censé prendre le chemin de la diffusion. Erreur ! Il y a là une effroyable, une incroyable arnaque. Aucune maison d'édition algérienne n'a de support pour diffuser et placer le livre à l'exception de quelques librairies. Avec la meilleure volonté du monde, le livre, qui a coûté à l'éditeur tant d'efforts et tant d'argent ne dépasse pas le stade d'une librairie de proximité. Et encore il ne trouvera son ouvrage qu'au fond d'un vague rayon coincé entre deux livres sans importance. Le gérant qui n'a probablement jamais ouvert un manuscrit, préfère mettre sur son présentoir des bouquins imprimés ailleurs et magnifiquement reliés et qui portent sur la grammaire française chez Vaugelas, Staline et les premiers goulags de Russie, le tricot selon grand-mère et bien d'autres livres qui n'intéressent que les spécialistes ou les universitaires en postgraduation. L'auteur doit tout faire par lui-même : organiser sa vente dédicace, taper les invitations, les envoyer, faire le pied de grue dans les salles de rédaction pour obtenir une petite critique dans la prochaine livraison. C'est l'auteur encore qui doit assurer sa propre publicité et qui doit veiller, librairie après librairie, à la présentation et à la commercialisation de son livre. En attendant, la maison supposée d'édition, ne bouge pas le petit doigt, pour aider l'auteur qui ne rentre jamais dans ses frais. Bien au contraire. Bref, avec ce type d'édition, il ne vivra pas un jour avec le produit de son métier. Plus il écrit et plus il paie et plus il paie, plus il se ruine…Jusqu'au jour où de véritables maisons d'édition prendront le relais des amateurs et des commerçants de l'imprimerie.