Maître Salim Becha est un fervent collectionneur d'œuvres d'art depuis une vingtaine d'années. Il a fait don, en 2013, à l'Etat algérien d'une collection riche de 8000 pièces. Rencontré dans son bureau à Alger, le collectionneur parle de sa passion pour les objets anciens tout en ne manquant pas de préciser que les donations effectuées résultent d'une responsabilité citoyenne. – Comment devient-on collectionneur ? Cela date de mon plus jeune âge, particulièrement au collège d'enseignement général de Biskra. Nos enseignants nous ont initiés aux collections d'abord des insectes en deuxième année et ensuite aux collections des cartes postales et des timbres. Ils nous ont, aussi, initiés à l'étude des antiquités en visitant les sites et antiquaires de la région de Biskra, notamment les sites romains et les musées des environs de Biskra et de Constantine. Cette passion s'est poursuivie jusqu'à ces dernières années où nous avons pu rassembler des moyens financiers un peu plus importants. Nous avons commencé à acquérir des pièces plus importantes auprès d'antiquaires et de maisons de vente en Europe, essentiellement en France et en Suisse. Les pièces les plus importantes, j'ai pu les acquérir à l'occasion de ma participation aux salles de vente internationales, particulièrement dans les deux pays que je viens de citer. – Comment se font vos coups de cœur pour acquérir une pièce donnée, d'antiquité ou contemporaine ? Au départ, j'ai commencé à acquérir les pièces qui me plaisaient mais depuis que j'ai décidé de faire don d'une collection au ministère de la Culture algérien — particulièrement, au futur musée pluridisciplinaire qui sera construit à Biskra —, je me suis concentré sur des collections précises. Nous avons donné une idée à ce musée. Cela sera un musée qui va présenter Biskra aux visiteurs et il présentera le monde à Biskra. J'ai commencé par me focaliser sur les pièces qui ont un rapport direct ou indirect avec Biskra. J'ai choisi arbitrairement pour l'ouest du monde, la Chine et les antiquités chinoises, au centre du monde, l'Egypte et les antiquités égyptiennes, et à l'est du monde, j'ai choisi le précolombien. Nous avons, au niveau de la zone de stockage du musée à Biskra, une collection, qui a un rapport direct ou indirect avec la ville et la région. Nous sommes en train d'enrichir les trois collections qui vont présenter le monde à la ville de Biskra. – Ce projet de construction d'un musée à Biskra est réalisé en étroite collaboration avec le ministère de la Culture… Effectivement, ce projet de musée à Biskra sera réalisé en étroite collaboration avec le ministère de la culture. L'Etat a procédé à l'inscription du projet de la construction d'un musée pluridisciplinaire dans la ville de Biskra. Le terrain a été choisi par la wilaya et l'Etat a procédé à l'inscription de l'opération de construction. Cependant, nous avons pris l'initiative d'engager les études de ce musée avec des contributions personnelles, et ce, en attendant que l'Etat puisse débuter les travaux à la fin des études. Je pense que les études vont prendre une à deux années. Nous sommes en train de choisir l'architecte qui sera en charge de ces études. Nous remettrons le dossier des études finalisées au ministère de la Culture qui engagera, par la suite, les procédures nécessaires dont le permis de construire et la réalisation. – Vous avez fait don, en 2013, au ministère de la Culture algérien, d'une imposante collection de 8000 pièces qui s'est soldée, la même année, par une exposition au Musée d'art moderne et contemporain d'Alger ? Lorsque j'ai décidé de faire don de ma collection nationale, j'ai contacté le ministère de la Culture pour leur demander s'il pouvait accepter ma collection. Je ne vous cacherai pas que je voulais faire don de ma collection à deux conditions : la première condition reposait sur le fait que le ministère de la Culture me désigne des spécialistes des musées pour faire l'inventaire scientifique de la collection et la deuxième condition était de présenter la collection au public. Le ministère de la Culture m'a désigné un groupe de conservateurs de musée, sous la direction de l'ancien directeur du MaMa, Mohamed Djehiche. Cette équipe a travaillé avec moi pendant deux ans et demi en faisant l'inventaire de toute la collection. Les experts ont choisi les pièces qui leur paraissent avoir un intérêt muséal. J'ai fait les donations par acte authentique au ministère de la Culture. Nous avons pu exposer, par la suite, 40% de la donation, lors de l'inauguration du Mois du patrimoine, en mai 2013, au MaMa. A l'origine, la collection devait être répartie entre les musées d'Alger mais après mûre réflexion, le ministère de la Culture a eu l'idée de garder toute la collection dans un seul et même musée, compte tenu du nombre de pièces importantes. D'où l'idée de construire un musée à Biskra. – Votre amour pour Biskra est tel que vous avez organisé deux expositions à Paris et à Nice dédiées à cette ville ? Organiser une exposition à Paris sur Biskra l'année dernière était à l'origine une idée d'un article écrit par Roger Benjamin, professeur d'histoire de l'art à l'université de Sidney, pour la revue Kantara de l'Institut du monde arabe. Roger Benjamin est venu me trouver pour me demander si je pouvais lui prêter un ou deux tableaux pour le montage d'une exposition. Je m'y suis intéressé et nous avons fait en sorte que l'exposition prenne plus d'ampleur en contactant le président de l'Institut du monde arabe, Jacques Lang. L'exposition ayant connu un succès au-delà des espérances, qu'à la fin de l'exposition nous avons répondu au vœu du musée Matisse de la ville de Nice, qui a souhaité prendre l'exposition pour janvier 2018. Nous sommes en train de monter la même exposition dans la ville de Madrid, pour fin 2018. En outre, nous attendons la confirmation du palais de l'Alambra, en Espagne, pour monter une exposition un peu plus importante pour 2019. – Comment se fait le transfert des pièces achetées à l'étranger vers l'Algérie ? Il faut savoir que la pièce la plus importante de la collection date de 3000 an avant Jésus-Christ. La loi algérienne permet l'importation de tous les objets d'art et d'antiquité à la condition que leur acquisition soit légale dans le pays où la vente a eu lieu. Nous choisissons les pièces et une fois qu'on a la facture, on contacte avec le ministère de la Culture algérien en lui faisant don de la somme correspondante en lui demandant de faire lui-même l'importation des pièces. C'est une procédure qui, à mon avis, est plus transparente et plus légale. Généralement, la plupart des pays permettent l'entrée des objets d'antiquité d'une manière libre. A ma connaissance, il n'y a qu'un seul pays qui l'interdit, c'est la Turquie. Par contre, l'exportation des objets d'art et d'antiquité est interdite dans tous les pays, sauf aux Etats-Unis. – Cela vous fait-il de la peine de vous séparer de certaines pièces rares ? Pas du tout car je considère que je ne les quitte pas. Au contraire, dans les musées nationaux, elles sont mieux présentées. Je pense que les musées ont la capacité technique et culturelle de mettre en valeur ces pièces d'antiquité. Elles sont à ma disposition quand je veux les voir dans les musées nationaux. Et si beaucoup de citoyens partagent avec moi la même passion, cela ne diminue en rien mon plaisir. – Votre plus grand dada reste l'acquisition de pièces d'antiquité... Exact. Mon plus grand dada est les antiquités. Nous avons acheté un peu partout dans le monde. Je demeure persuadé que la plupart des pièces vont connaître, dans les années futures, une augmentation de prix. C'est pour cela que j'ai choisi de les acquérir maintenant pour en faire don au musée. Je pense que le pays réservoir de ces antiquités, la Chine, a mis en place une législation draconienne, interdisant la sortie de ces antiquités. La Chine ne va plus fournir le marché international. De plus en plus de Chinois arrivent sur le marché de l'art européen avec des moyens importants afin d'acquérir ce type d'antiquités pour ensuite les ramener en Chine. Cela en va de même pour les antiquités égyptiennes et précolombiennes. – Vous être un fervent collectionneur, mais vous êtes aussi un mécène algérien attitré… Je pense qu'il y a beaucoup de mécènes et de donateurs en Algérie. J'ai toujours lancé un appel à mes compatriotes pour leur dire que la seule façon de pouvoir préserver une pièce et la valoriser, c'est d'en faire don à un musée. – Selon vous, le marché de l'art existe-t-il en Algérie ? Le marché de l'art existe en Algérie mais je pense que l'Etat doit intervenir sous deux formes. D'abord en tant que régulateur et ensuite en tant qu'acquéreur. Je pense que le marché de l'art ne pourra pas connaître un développement si l'Etat lui-même ne se porte pas acquéreur de ces objets d'art pour le compte des musées nationaux.