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«Les cartels ont tenté d'utiliser la filière "cannabis" pour acheminer la drogue vers un autre pays» Mohamed Benhalla. Directeur de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT)
Cocaïne, cartel, cannabis, consommation et lutte contre le trafic de drogue. Le patron de l'Office national de lutte contre la drogue explique comment son organisme veut lutter efficacement contre la demande de drogue en Algérie. – Quels sont les axes de la politique de lutte contre la drogue préconisée par l'Office ? Dans la lutte contre la drogue, on fait face à deux défis : réduire l'offre d'un côté et la demande de l'autre. Nous savons qu'il est illusoire de croire qu'il est possible d'assécher totalement le trafic de drogue. Aucun pays n'y est parvenu. Les services de sécurité agissent pour réduire au maximum l'offre sur le marché et ils s'acquittent merveilleusement bien de cette tâche, au vu des quantités de drogue saisies. Preuve en est les chiffres que nous avons en notre possession, qui indiquent une réduction notable des saisies de résine de cannabis qui demeure la drogue la plus consommée en Algérie. A titre indicatif, les services de sécurité ont mis la main sur plus de 126 tonnes de résine en 2015, puis un peu plus de 109 tonnes en 2016, 52 tonnes en 2017 et pratiquement 15 tonnes durant les cinq premiers mois de cette année. On est loin de 2013 où les saisies atteignaient plus de 200 tonnes. Pour parvenir à ces baisses dans les quantités de drogue saisies, les services en charge de la lutte contre le trafic de drogue ont appris à mieux maîtriser le mode opératoire des trafiquants et leurs itinéraires. En les obligeant à changer leurs fonctionnements, ils les poussent à prendre plus de risques et donc à être plus vulnérables. C'est pour cela que le plan de lutte, axé sur la réduction de l'offre, est un succès car nous parvenons à restreindre les quantités de drogue qui arrivent sur le territoire national. L'Algérie est un pays consommateur de résine de cannabis et de psychotropes, essentiellement, mais c'est aussi et surtout un pays de transit pour les réseaux de drogue. Nous ne sommes pas un pays producteur de drogues… – Des tentatives ont eu lieu... Oui, mais elles étaient insignifiantes. Quand on voit le nombre de plants de cannabis saisis, on est vraiment très loin des quantités produites dans d'autres pays et qui se chiffrent en tonnes annuellement. Pour l'Algérie, ce n'est même pas le nombre de plants de cannabis plantés dans les pots de fleur à Paris. – Peut-on encore affirmer que les Algériens ne consomment que du cannabis et des psychotropes, quand plus de 700 kg de cocaïne sont saisis au port d'Oran ? L'affaire de la cocaïne saisie à Oran étant toujours pendante devant le juge d'instruction, vous comprendrez que je ne puisse en parler maintenant, d'autant que le fait de suggérer que les 700 kg de cocaïne sont destinés au marché national, me paraît aller vite en besogne. Je prends cela avec beaucoup de réserve. Par ailleurs, quand je croise les données en ma possession durant ces trois dernières années, on constate effectivement une augmentation des saisies de cocaïne sur le territoire national. On est passé d'un peu plus de 6 kg en 2016 à 57 kg en 2017, et ce chiffre a explosé avec la saisie record d'Oran pour atteindre les 669 kg pour les six premiers mois de cette année. Au vu des chiffres, il y a une augmentation des saisies de cocaïne, mais quand on les compare au nombre de personnes arrêtées pour consommation de cocaïne, les chiffres sont insignifiants. On fait le même constat quand on étudie le nombre de personnes soignées pour consommation de cocaïne dans les centres spécialisés, et là encore on aboutit aux mêmes conclusions. En attendant les résultats de l'instruction judiciaire, je reste, pour ma part, convaincu que la drogue saisie à Oran n'était pas destinée au marché national, car il faudrait plusieurs années aux trafiquants pour l'écouler et cela ne correspond pas à la consommation locale. – L'Algérie demeure-t-elle un pays de transit ? C'est un pays de transit, et également de consommation. Le cannabis et les psychotropes demeurent les deux produits les plus consommés en Algérie, et loin derrière, on a la cocaïne et l'héroïne. Sur 100 personnes arrêtées, 2 le sont pour consommation de cocaïne. – Y a-t-il une crainte que les cartels de la drogue veuillent prendre pied en Algérie ? Ce n'est pas impossible. Il y a eu une tentative pour utiliser la filière «cannabis» afin d'acheminer la drogue à destination d'un autre pays en passant par l'Algérie. – De quelle manière la cocaïne arrive en Algérie ? Elle arrive majoritairement par voie maritime et aérienne. Comme on peut aisément l'imaginer, les trafiquants préfèrent faire parvenir leur marchandise par voie maritime, car un navire offre plus d'opportunités de dissimulation de la drogue et permet de transporter de grosses quantités. En Algérie, exception faite de la cocaïne saisie au port d'Oran, la majorité de la coke saisie dans les zones aéroportuaires est le fait de passeurs qui la transportent dans leurs bagages ou plus souvent dans leur corps en ingérant des dizaines d'«ovules». La drogue provient essentiellement d'Afrique de l'Ouest, qui est devenue une zone de stockage pour la cocaïne à destination de l'Europe. C'est pour cela qu'on peut supposer que la coke saisie à Oran était destinée au marché européen. – En Algérie, la cocaïne est présentée comme la drogue des riches. Est-ce toujours le cas ? La cocaïne ne s'est pas démocratisée, comme certains l'ont laissé entendre. Elle reste cher, car non disponible en quantité suffisante qui pourrait faire chuter son prix à la vente. Elle n'est pas destinée à toutes les bourses. – L'argent de la drogue sert-il toujours au financement du terrorisme ? Au sud de nos frontières, nous faisons face à des pays où règnent des zones de non-droit et où s'exercent trois types de criminalités : terrorisme, trafic de drogue et contrebande. Il est inenvisageable que sur un territoire où cohabite ce type de criminalité, il n'y ait pas de relation entre elles. A ce titre, je peux m'avancer et affirmer que certains trafiquants de drogue financent le terrorisme en contrepartie d'une protection ou d'un droit de passage... – L'autre grand danger est que l'argent de la drogue devient l'argent de la politique et des affaires. Pensez-vous que cela est déjà le cas ? Je vais vous donner mon sentiment sur cette question. Tout d'abord, la drogue constitue un danger pour la santé publique, mais également pour la sécurité nationale et pour le développement durable. Bien sûr que l'argent sale corrompt. Des pays sont carrément en danger et peuvent disparaître face aux moyens colossaux dont disposent certaines organisations maffieuses qui agissent sur leur territoire. Selon certaines statistiques, le trafic de drogue vient juste après celui des armes en termes de gain. A partir de là, ces organisations peuvent corrompre n'importe quel fonctionnaire. C'est malheureux, mais c'est ainsi. Quand un Etat ne peut pas assurer sa pérennité, il peut être en danger. – L'Algérie est considérée comme un pays de transit. Sait-on quel est le pourcentage de drogue destiné au marché interne ? Difficile d'estimer ce taux. Nos amis des services de sécurité considèrent qu'au-delà de 100 kg, la drogue est destinée à l'exportation. Ce que nous savons par contre avec certitude, c'est qu'une grande quantité de cannabis qui passe par l'Algérie est livrée à la Tunisie, la Libye et l'Egypte, mais également à l'Europe. En ce qui concerne la cocaïne, elle est destinée au marché européen. – Pensez-vous qu'il est temps de débattre de la dépénalisation de la drogue ? Si le débat a lieu, il ne se fera pas à mon initiative. C'est aux forces politiques et à la représentation nationale d'initier un tel débat. Je crois qu'un parti politique a déjà proposé de dépénaliser la drogue (le MDS a proposé la légalisation du haschich, ndlr). De par mon obligation, ce n'est pas à moi d'intervenir dans ce type de débat. – Quelle est la tranche d'âge la plus touchée par la drogue ? La consommation commence à 12 ans. Ce sont les 12-17 ans qui sont les plus touchés par la consommation de drogue. C'est pour cela que nous avons lancé un plan de lutte en milieu scolaire. – Trois services de sécurité (gendarmerie, police et Douanes) sont engagés dans la lutte contre la drogue en Algérie. Ne serait-il pas plus judicieux de créer une seule agence, à l'image de la DEA, pour lutter contre ce fléau ? Aux Etats-Unis, il n'y a pas que la DEA qui lutte contre le trafic de drogue. Le FBI, les polices locales et celles des Etats fédérés luttent également contre ce trafic. Il n'y a pas un monopole de la lutte entre les mains de la DEA, même si cette dernière agit également au niveau international, grâce aux nombreuses antennes qu'elle possède dans le monde. Pour ce qui est de l'Algérie, les pouvoirs publics n'ont pas estimé nécessaire de créer une telle agence, d'autant que le combat sur l'offre est très bien mené par les services de sécurité. Pour ce qui est de la bataille contre la réduction de la demande, qui est beaucoup plus complexe, nous mettons en place une série de mesures pour lutter efficacement. L'Algérie a installé un dispositif qui fait intervenir différents partenaires, dont l'Office de lutte contre la drogue et la toxicomanie est en charge de la coordination. Ainsi, nous avons réussi à créer, avec l'aide du ministère de l'Enseignement supérieur, une spécialité en addictologie. On avance pour introduire le traitement de substitution aux opiacés en Algérie. Nous travaillons également sur d'autres axes pour parvenir à réduire la consommation de drogue en Algérie. Bio express Né en 1958 et magistrat de formation, Mohamed Benhalla a été successivement membre du Conseil de la cellule du traitement de renseignement financier, puis secrétaire du Comité interministériel de coordination des activités de rééducation des détenus et de réinsertion sociale. Depuis 2016, il est directeur de l'ONLDT.