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«Cette pièce est un état des lieux du monde dans lequel nous vivons»
Azzedine Hakka, metteur en scène de la pièce Ceux qui brûlent
Publié dans El Watan le 26 - 08 - 2018

Ceux qui brûlent est une pièce d'Alexandra Badea, dont la mise en scène a été assurée par Azzedine Hakka. Cette nouvelle production théâtrale du collectif El Ghemza se jouera au Théâtre Le Colombier (Bagnolet-Paris) du 20 au 25 novembre prochain. Elle a d'ores et déjà été sélectionnée au Festival international du théâtre contemporain et expérimental du Caire (Egypte), où elle sera présentée les 11 et 12 septembre 2018. A cette occasion, le metteur en scène, Azzedine Hakka, a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.
– Quand on lit le «pitch», on trouve l'idée bien captivante, mais on a du mal à cerner le thème central. En gros, cette pièce traite de l'histoire d'une femme, qui veut s'isoler du monde, s'exile dans un pays lointain, puis, après avoir vu une image d'actualité, rapportée par les médias et signée de son ancien amour, décide de renouer avec ce dernier. De là est née une correspondance entre ces deux êtres, qu'on imagine passionnée...
Ceux qui brûlent a deux lectures. Il s'agit certes d'une histoire d'amour inachevée, déjà enterrée ou en cours, nous ne le savons pas, entre une femme qui a déserté un monde qu'elle ne supporte plus et un photographe de mode converti brusquement en photographe de presse international, qui fait face quotidiennement à la cruauté et à la mort.
Cette pièce est un état des lieux du monde dans lequel nous vivons. J'ai profité de l'échange entre les deux protagonistes pour mettre en lumière un problème qu'ils évoquent souvent, une catastrophe, une tragédie, les migrants.
Un journal allemand (Der Tagesspiegel) a établi une liste de 33 293 migrants morts en essayant de rejoindre l'Europe. Ceux qui brûlent questionne notre présent, notre époque. Elle questionne l'amour, les frontières, les morts et les guerres.
– On comprend mieux pourquoi la pièce s'intitule Ceux qui brûlent...
Ceux qui brûlent est la traduction approximative du mot algérien «harraga». Ce mot désigne ceux qui brûlent les frontières, leurs passeports, leurs réalités, dans l'espoir de vivre leurs rêves, malgré les risques encourus, le plus terrible étant la mort.
Les deux personnages sur scène, eux aussi brûlent, mais d'une autre manière. Ils brûlent de l'intérieur à cause de l'état du monde actuel, du manque d'amour et d'illusions.
Certes, ils n'ont pas traversé la Méditerranée, et pourtant ils sont affectés par la violence du monde que les médias nous donnent à voir. La Syrie brûle sous les bombes, la Palestine brûle sous l'occupation, le Venezuela brûle sous les cocktails Molotov des manifestants ... Partout ça brûle.
– Racontez-nous l'histoire de cette pièce, comment le projet a vu le jour ? Comment s'est passée votre collaboration avec Alexandra Badea ?
Un été, en écoutant la radio, j'ai entendu la lecture d'un monologue qui m'a interpellé. Il s'agissait en fait d'un extrait de Mondes, d'Alexandra Badea. Le texte m'a tant intrigué que j'ai fait des recherches, puis j'ai contacté Alexandra, qui m'a invité au Théâtre ouvert pour assister à sa performance sur scène.
Durant la même période, j'ai découvert le travail de l'essayiste et philosophe camerounais, Achille Mbembé (tout d'abord dans une interview qu'il avait accordée au journal Libération), qui questionne notre société avec un autre regard, le regard de ceux qui ne se déplacent pas librement. J'ai trouvé que les textes de ces deux auteurs, d'origines différentes, se répondaient naturellement et offraient deux visions du monde très pertinentes.
J'ai alors demandé à Alexandra d'adapter son texte et de l'orienter vers les thématiques de la traversée des corps et du libre déplacement, ce qui l'a enthousiasmé. Alexandra est une auteure contemporaine à l'écoute du metteur en scène, attentive, et qui sait manipuler l'écriture dramaturgique. Je lui ai envoyé des articles sur les harraga et l'adaptation a commencé ainsi.
– Cette pièce été sélectionnée au Festival international du théâtre contemporain et expérimental du Caire. Quelle a été votre réaction en apprenant la nouvelle ?
J'étais heureux ! Je me suis senti honoré car je connais et admire ce festival depuis que j'étais étudiant et j'ai toujours rêvé d'y participer. Organisé par le ministère de la Culture d'Egypte, se tenant au Théâtre national du Caire, c'est une des plus grandes manifestations culturelles et artistiques du monde arabe.
C'est un lieu de rencontres internationales, un carrefour, où des artistes du monde entier se présentent leur travail et échangent sur le théâtre contemporain et expérimental. Je suis ainsi impatient de jouer notre spectacle pour la première fois dans un pays du Proche-Orient.
– Parlez-nous un petit peu du collectif El Ghemza…
El Ghemza est un collectif d'artistes issus de différents horizons artistiques -théâtre, musique, cinéma- et de différentes nationalités (française, algérienne, tunisienne, roumaine). El Ghêmza, qui signifie «clin d'œil» en arabe, suggère la connivence que nous avons avec le public et qui fait, à nos yeux, partie intégrante du processus de création artistique.
Nous avons comme objectif la création et la recherche théâtrale, avec des spectacles tirant leurs thématiques de sujets de société. Nous privilégions le montage de textes contemporains (Gagarin Way, Corps et âmes, Ceux qui brûlent) ou la revisite de classiques éclairés à la lumière de nos sociétés actuelles.
Notre collectif a vu le jour en 2005 à la générale de Belleville, à Paris, avec les anciens élèves du TNS autour de la création de la pièce Gagarin-way, de Gregory Burke. Le collectif El Ghemza est en résidence à la Distillerie de Montrouge.
– Vous être l'auteur et le metteur en scène de Corps et âme. Cette pièce a vu le jour suite à une rencontre avec Anna, une prostituée venue à Paris de l'Europe de l'Est, et qui avait une certaine aptitude à aborder la vie avec philosophie.
Quand on vit à Paris, on fait de nombreuses rencontres. On entend des histoires différentes, tantôt tragiques, tantôt drôles, de gens venant de partout dans le monde. C'est dans ce Paris multiculturel dont parle Hemingway et Maâlouf que j'ai rencontré Anna, en sortant du théâtre du Châtelet.
Elle m'a demandé du feu et j'ai finalement passé la nuit à déambuler dans les rues de Paris et à écouter l'histoire de sa vie. Je ne l'ai plus jamais revue (elle n'avait pas de téléphone ni d'adresse mail), mais son histoire m'a tellement marqué que j'ai décidé d'en faire une pièce de théâtre.
– Y a-t-il un projet pour présenter Ceux qui brûlent, et le cas échéant Corps et âme en Algérie ?
Pour l'instant, non. Je ne crois pas que mon théâtre s'inscrive dans la ligne de ce qui se fait actuellement en Algérie, le théâtre que je pratique n'étant ni comique ni drôle.
Jusqu'à présent, j'ai eu l'impression que les metteurs en scène algériens qui tentent de proposer un théâtre alternatif ne trouvent pas leur public. En tout cas, c'est ce que mes amis metteurs en scène et praticiens de théâtre algériens me rapportent.
Il existe cependant un lieu en Algérie qui m'intéresse beaucoup : le «sous-marin», dirigé par mon camarade Fares Kader Affak. J'aime le «sous-marin», car il s'agit d'un espace d'expérimentation, d'échange et de débat artistique libre. Nous sommes actuellement en pourparlers avec Fares pour venir jouer la pièce là-bas.
– Quel est votre avis sur ce qui se passe en Algérie en matière de 4e art, par exemple, que pensez-vous de la nomination du nouveau directeur d'Oran ?
La réputation de Mourad Senoussi n'est plus à faire. C'est un grand artiste, un auteur de talent. Apprendre sa nomination m'a mis du baume au cœur, car il n'est pas dans un conflit de générations et il donne leur chance aux jeunes artistes oranais.
Quand j'avais 20 ans, j'ai écrit ma première pièce, les Jeux d'échec (éditée chez El Ibriz) et je l'ai envoyé à différents artistes ayant tous travaillé avec feu le défunt Alloula.
Mourad a été le seul à le lire et à m'inviter à boire un café pour me faire des retours. Je n'ai jamais oublié cela. Là où certains «anciens» du TRO croient que le théâtre leur appartient, Mourad, lui, a la capacité de rassembler, de travailler avec des artistes ayant des esthétiques différentes de la sienne.
Pendant trop longtemps, le TRO a été un temple hermétique à la créativité et la vision de la jeune génération d'artistes oranais et Mourad est en train de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière : ça fait du bien. C'est une renaissance.
– Enfin, quels sont vont projets ?
Tout d'abord, bien sûr, la diffusion de Ceux qui brûlent. Nous avons des dates prévues à Montrouge, en Egypte, à Bagnolet, au Burkina Faso et au Maroc. Aussi, le théâtre du Colombier nous a proposé une carte blanche, nous préparons donc pour cette occasion une lecture de la pièce de l'auteur allemand Falk Richter, Seven seconds.
L'année prochaine je serai en résidence d'écriture avec Mustapha Benfodil autour de la thématique de la réconciliation nationale. J'ai en effet pour projet de monter une pièce racontant l'histoire d'une famille vivant en Algérie après la décennie noire. Cette pièce s'intitulera Les réconciliés.


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