Dans Le naufrage de la lune, la romancière Amira-Géhanne Khalfallah fait revivre à son lecteur, dans une fiction originale, un épisode important et oublié de l'histoire de la ville de Jijel, attaquée par la Marine du royaume de France en 1664, alors que cette ville échappait à la domination de la régence ottomane d'Alger. Ce premier ouvrage de l'écrivaine, paru aux éditions Barzakh, revient, en 207 pages, sur la campagne de Gigéri de 1664, avec un équilibre entre la fiction servie par des personnages atypiques et des sources historiques ayant documenté cet épisode. Dans sa première partie, le roman oscille entre le récit d'un quotidien d'une autre époque, rythmé par la mer et la pêche dans la ville de Gigéri (Jijel), et une campagne militaire en préparation, sur ordre du roi Louis XIV, entre les murs fastueux du nouveau Palais de Versailles encore en construction et qui accueille les dernières créations artistiques de Molière et de Jean-Baptiste Lully. Plusieurs petits destins, drapés de mystères et régis pas des traditions d'époque, tissent le quotidien de Gigéri, à l'image de l'énigmatique Raïs Mahmoud, toujours plus à l'aise en mer que sur la terre ferme, ou de sa femme, Thiziri, mystique jeune mère de famille qui interprète les rêves et éblouit par sa beauté, ou encore la vieille tante Neffa et d'autres personnages évoluant autour du port de pêche. La campagne militaire, décidée pour conquérir une place honorable à la France dans le bassin méditerranéen où les navires ottomans règnent en maîtres incontestables, est relatée depuis les salons de Versailles et le port de Toulon telle que vécue par Jean-François, un jeune médecin, séduit par la médecine pratiquée sous d'autres cieux, embarqué dans les navires. A l'aube du 22 juillet 1664, les navires français embrasent le ciel de Gigéri et pilonnent la ville jusqu'à la fin de la journée, «la montagne bombardée, (…) où la nature règne de toute sa puissance, (…) se faisait tambour (…) et brûlait, mourait et se relevait à chaque fois». Soutenus par les navires de l'ordre de Malte, près de 5000 soldats du royaume ont débarqué sur cette terre qui leur paraissait si hostile pour établir une base navale permanente et une fortification dans cette ville qui échappe à la domination de la régence pour faciliter la lutte contre les régences d'Alger et de Tunis.