Torturé puis exécuté sans qu'il soit jugé, Larbi Ben M'hidi a été déclaré «mort dans sa cellule après s'être suicidé». Soixante et un ans après sa disparition, et après la reconnaissance, par Emmanuel Macron, du crime d'Etat commis contre Maurice Audin, la sœur de Ben M'hidi, Drifa, appelle le président français à faire preuve de courage encore une fois et de faire de même pour son frère Larbi Ben M'hidi et pour tous les Algériens qui ont subi les mêmes horreurs. Dans une lettre, dont El Watan Week–end détient, en exclusivité, la copie, la moudjahida Drifa Ben M'hidi appelle le président français, Emmanuel Macron, à reconnaître le crime d'Etat commis contre son frère Larbi Ben M'hidi, torturé puis assassiné sous les ordres de Paul Aussaresses dans la nuit du 3 au 4 mars 1957. Elle accuse aussi l'ancien président français, François Mitterrand (1981-1985), d'«être derrière la décision de son exécution». Ancien ministre d'Etat, chargé de la Justice entre février 1956 et juin 1957 et opposant au sein de son ancien gouvernement à l'indépendance de l'Algérie, «François Mitterrand serait celui qui a instruit Aussaresses de mettre fin à la vie de Larbi Ben M'hidi», indique Drifa Ben M'hidi, jointe par téléphone. L'un des déclencheurs de la guerre de libération, fondateur du FLN et le président du congrès de la Soummam, Larbi Ben M'hidi, qui fut aussi le chef de la Zone autonome d'Alger, durant la bataille d'Alger, a été exécuté à l'âge de 30 ans. Soixante et un an après sa disparition, sa sœur demande officiellement à Macron de reconnaître le crime d'Etat commis contre un chef politique algérien torturé puis assassiné sans être jugé par l'Etat colonial de l'époque. «Monsieur le Président, l'histoire nous juge sur nos faits, et contrairement à vos prédécesseurs, vous avez eu le courage de vous pencher sur ce sombre épisode de notre passé commun et reconnaître la culpabilité de la France dans l'illégal assassinat d'un seul de nos martyrs parmi beaucoup d'autres. A l'instar de notre regretté Maurice Audin, mon frère Larbi Ben M'hidi a été froidement exécuté dans des conditions similaires. Je me permets donc de croire que votre geste est sincère et que le bon sens et l'impartialité finiront par l'emporter et vous dicteront de faire de même pour celui que je pleure jusqu'à aujourd'hui et tous ceux qui ont péri dans les mêmes conditions», réclame-t-elle dans sa lettre adressée à Emmanuel Macron. Prisonnier Comme ce fut le cas pour Maurice Audin, la torture qu'a subie Larbi Ben M'hidi et son assassinat ont été niés. Il a été même déclaré, à l'époque, «mort dans sa cellule après s'être suicidé», comme l'avait affirmé plusieurs années plus tard celui qui l'a arrêté à Alger, le colonel Jacques Allaire, qui était capitaine de l'armée française pendant la bataille d'Alger. «En 1957, mon regretté frère fut arrêté par les paras du capitaine Allaire, sous les ordres alors, du colonel Bigeard. Je ne peux m'empêcher de penser à sa fameuse réponse ‘Donnez-nous vos avions et vos chars, et on vous donnera nos couffins' quand on lui demanda de s'expliquer sur les attentats aux explosifs dissimulés dans des couffins pour ne pas êtres repérés. Il fut gardé prisonnier dans le sous-sol d'une villa sur les hauteurs d'Alger jusqu'à cette terrible nuit du 3 au 4 mars de la même année et où la convention de Genève allait être violée. Mon regretté frère fut emmené ce soir-là vers la banlieue d'Alger par le colonel Aussarresses et ses hommes des «services spéciaux» et pendu par les mains mêmes dudit colonel, non sans être torturé avant, des aveux mêmes de son bourreau. Ce «colonel» pousse même le cynisme jusqu'à raconter qu'il a dû changer de corde et le pendre une deuxième fois parce qu'a la première tentative, la corde cassa», lit-on dans la lettre de Drifa Ben M'hidi. Oncles Pour rappel, le 12 septembre dernier, Emmanuel Macron a reconnu officiellement le crime d'Etat commis par la France coloniale contre Maurice Audin. Une décision jugée salutaire par tous les gens qui luttent depuis des décennies pour le rétablissement de la vérité sur son assassinat, y compris par Drifa Ben M'hidi. Aujourd'hui, elle demande à Emmanuel Macron de «faire preuve de courage encore une fois et de faire de même pour son frère Larbi Ben M'hidi et pour tous les Algériens qui ont subi les mêmes horreurs». Mais Macron ira-t-il cette fois-ci jusqu'à reconnaître, comme le souhaite Drifa Ben M'hidi, le crime d'Etat commis par la France coloniale contre Larbi Ben M'hidi et ses compagnons d'armes ? «La guerre est une chose abominable. Elle sème violence, sang et rancunes partout où elle passe. Les cicatrices profondes et douloureuses qu'elle laisse derrière elle ne se referment jamais. Mais l'homme a cette aptitude extraordinaire de continuer malgré tout à avancer dans la vie sans pour autant oublier. Le conflit qui nous a opposé a été d'une brutalité inouïe. Face à une armée coloniale aguerrie et très bien armée, nous n'avions que le poids de l'oppression et notre volonté de nous en défaire. Notre combat pour notre indépendance nous a coûté plus d'un million de martyrs et toutes les larmes de nos yeux. Aujourd'hui quand je regarde derrière moi, mon cœur balance entre le bonheur de voir mes enfants libres dans leur pays et la tristesse de savoir qu'ils n'auront jamais l'occasion de connaître leurs oncles, tombés pour qu'ils puissent en profiter», regrette dans la même lettre Drifa Ben M'hidi. Chagrin Il faut dire que c'est une première pour Drifa Ben M'hidi, qui, elle, n'accepte jamais, dans des occasions précédentes, d'adresser une quelconque demande aux officiels français. Il y a quelques dizaines d'années, un seul souhait l'animait, celui de savoir si Larbi Ben M'hidi s'était vraiment donné la mort en se suicidant ou pas ? «Nous avons été détruits par la nouvelle du suicide de Larbi, inventée par l'armée française. Nous ne pouvions pas le croire. Cela a tellement affecté ma famille, surtout mon père, qui n'a pas tardé à le rejoindre dans l'au-delà. Il est parti en emportant son chagrin avec lui», témoigne-t-elle pour El Watan Week-end dans une précédente rencontre dans son domicile sis à Bouzaréah. Dans les années 1980, Bigeard a émis le souhait de rencontrer la famille Ben M'hidi. Drifa Ben M'hidi a accepté, dès lors, de le voir dans le seul but, précise-t-elle, d'avoir une réponse à sa question. La rencontre a eu lieu en 1985 à Paris, en présence de son défunt mari, Abdelkrim Hassani, l'un des fondateurs du MALG, décédé en novembre 2010. «Si mon père est décédé sans entendre cette vérité, je ne voulais pas qu'il arrive la même chose à ma mère. Je l'ai rencontré à Paris. Il a voulu me toucher la main et j'ai refusé. Je lui ai dit que je n'acceptais pas de saluer quelqu'un dont les mains sont salies par le sang de nos martyrs, y compris de celui de mon frère. Je n'ai pas demandé ce qu'ils lui ont fait, mais juste s'il s'était vraiment suicidé ou pas ? Il a souri en me disant : «Ça se voit que vous ne connaissez pas votre frère. Comment un homme comme Ben M'hidi peut-il se suicider ?'' J'ai été très heureuse de l'entendre de sa bouche. J'ai enlevé un lourd fardeau qui pesait longtemps sur moi et ma famille. Je suis retournée en Algérie et j'ai réuni la famille pour leur annoncer la nouvelle», se rappelle-t-elle. Et d'ajouter: «Bigeard voulait même venir en Algérie, s'agenouiller devant la tombe de Larbi comme il me l'a dit. J'ai refusé en lui disant qu'il aurait dû le faire quand il était secrétaire d'Etat au ministère de la Défense française et non en tant que retraité.» Martyr La deuxième rencontre avec un officiel français a eu lieu cette fois-ci entre sa fille, Isma, et le colonel Jacques Allaire, capitaine pendant la bataille d'Alger en 1957, celui-là même qui a arrêté son oncle Larbi Ben M'hidi avant qu'il ne le remette aux mains d'Aussaresses qui l'exécuta. Jacques Allaire a avoué à Isma que «son oncle Larbi a été donné aux Français par ses compagnons d'armes, sans autant préciser de qui s'agit-il exactement», confie Drifa Ben M'hidi. A côté de cela, Drifa sait aussi que son frère a été torturé pendant sa capture, ce que Aussaresses lui-même a avoué. «Monsieur le Président. Vous appartenez à la génération de l'après-guerre, vous pouvez donc avoir une vue plus objective sur les événements. Une vue dépourvue de toute passion et de toutes rancunes. Votre statut de président vous procure l'opportunité de rétablir la vérité ô combien difficile mais jusqu'à quel point salvatrice. Vous avez, je vous le concède, commencé à le faire en faisant votre mea culpa sur les conditions tragiques de la disparition de notre martyr Maurice Audin. Je comprends jusqu'à quel point ce doit être difficile pour vous de le faire face aux réticences de ceux de vos administrés qui ont vécu cette partie de notre histoire commune et dont les blessures n'ont pas encore cicatrisé. Mais votre courage et votre intégrité ne vous laissent d'autres choix que de continuer sur le chemin de la vérité», conseille Drifa Ben M'hidi dans la même lettre. Et de conclure : «Nous ne pouvons en effet espérer bâtir un avenir meilleur entre nos deux rives si nous faisons abstraction de notre passé commun. Et si nous parvenons à nous faire face et nous dire enfin toutes les choses qui pèsent sur nos cœurs, nous aurons commencé à jeter les bases d'une relation sereine, porteuse de lendemains radieux.»