Son sourire a complexé pour le restant de leurs jours ses tortionnaires Ayant fréquenté les ouléma, le PPA et les AML, Mohamed Larbi Ben M'hidi savait transcender les clivages idéologiques et politiques qui traversaient la révolution. Il portait parfaitement son nom de guerre: El Hakim. Larbi Ben M'hidi est né en 1923 à Aïn M'lila, dans les Aurès, plus précisément à Oum El Bouaghi dans une famille rurale plus ou moins aisée. Après une année à l'école primaire française de son village natal, il part pour Batna où il obtient son certificat d'études primaires, puis commence des études secondaires à Biskra. En 1939, il s'engage dans les SMA, Scouts musulmans algériens. Par la suite, il occupe un poste de comptable au service du génie civil de Biskra avant d'aller s'installer, quelque temps après, à Constantine. Dans cette ville alors sous domination oulémiste, il se rapproche de l'association dirigée par Ben Badis, mais son engagement politique, il le fait avec le PPA. En 1945, après les massacres du 8 mai, la situation politique est bouillante et les choix devenaient, aux yeux des militants nationalistes algériens de plus en plus déterminants. Ben M'hidi adhère alors dans la foulée au mouvement des Amis du manifeste et de la liberté créé par Ferhat Abbas. Arrêté pour quelques semaines, il reprend directement ses armes au sein du Mtld, le PPA ayant été interdit entre-temps et participe à la structuration de l'Organisation spéciale (OS) dans le Constantinois. Néanmoins, après le démantèlement de l'OS en 1950, il est condamné à 10 ans de prsion pour «atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat». Recherché, il entre définitivement dans la clandestinité. De Novembre à la Soummam En avril 1954, Ben M'hidi fait partie des initiateurs, avec les fameux 22, du Comité révolutionnaire d'unité et d'action pour surmonter les divergences induites par la crise du PPA-MTL, et la confrontation entre les messalistes et les centralistes. Le 10 octobre 1954, le Crua se transforme en front: le FLN. Après le déclenchement de la guerre de libération le 1er novembre, il fut désigné en tant que coordinateur de l'Oranie. En 1956, alors qu'il n'était pas prévu pour participer au congrès de la Soummam, il y prend part en remplacement de Boussouf qui y était prévu et confie, entre-temps, la direction de la Wilaya V historique à ce dernier. Dans une lettre du 3 avril 1956, citée par Mebrouk Belhocine, Abane écrit: «Y assisteront le responsable de l'Oranie à qui nous venons d'écrire pour venir à Alger, donc Abdelhafid Boussouf (Mabrouk), Krim et Abane pour l'Algérois, Zighout et son adjoint, donc Lakhdar Bentobbal (Abdallah), Ben Boulaïd et son adjoint.» Ben Mhidi n'était donc pas prévu à cette date et ce n'est qu'après, que sa participation avait été décidée. En effet, Larbi Ben M'hidi était revenu au Maroc venant du Caire le 21 avril 1956. Après un séjour de quelques jours à Oujda, il avait quitté le Maroc. Le 6 mai, il se rend à Alger où il était attendu par Benyoucef Ben Khedda le lundi 7 mai 1956. Après avoir pris connaissance de tous les éléments allant être abordés lors de la rencontre, la présidence du congrès lui a été confiée avec, au secrétariat, Abane Ramdane. Lors de cette réunion, des «accrochages» ont eu lieu entre les présents, notamment après que Abane a critiqué les événements du 20 Août 1955 «qui avaient fait mauvaise impression sur l'opinion publique internationale». Et selon plusieurs témoignages, c'est grâce à la sagesse de Ben M'hidi que la situation a été dépassée. La bataille d'Alger A l'issue du congrès de la Soummam, une organisation rigoureuse de la révolution a été mise en place et une Zone autonome a été créée à Alger et ses environs. Cette zone, hautement sensible, a été confiée à Ben M'hidi et Abane. L'état-major était sous la responsabilité de Ben M'hidi (El Hakim) avec son adjoint Yacef Saâdi et la responsabilité politique et financière à Abane. Aussitôt, en septembre 1956, il organise «les maquis urbains» et dirige les premiers attentats dans la capitale. Dans ce sillage, en janvier 1957, le gouverneur général Robert Lacoste lance la bataille d'Alger en s'appuyant sur les parachutistes du général Massu auquel il a confié les pouvoirs de police dans la Zone Alger-Sahel. Les 14 et 15 janvier, la Casbah est envahie par les hommes de Massu. Le 23 février 1957, Larbi Ben M'hidi est arrêté dans un appartement du centre d'Alger où il se trouvait de passage. Transféré au cantonnement du 3e RPC pour être mis à la disposition des services de renseignements de la 10e région militaire d'Alger, il fut soumis à interrogatoire durant plusieurs semaines, mais sans succès, ce qui fera dire, plus tard, au général Bigeard: ««Il y a eu entre nous des dialogues dignes de la tragédie grecque.». Il a été exécuté dans la nuit du 3 au 4 mars 1957. Mais, à ce jour, les circonstances de sa mort restent inconnues. En effet, selon le général Aussaresses, ce sont lui et ses hommes qui l'ont conduit dans une ferme désaffectée de la Mitidja où ils l'ont pendu. Le 6 mars, le porte-parole de Robert Lacoste déclare dans une conférence de presse que Ben M'hidi s'est suicidé dans sa cellule en se pendant à l'aide des lambeaux de sa chemise. Une autre version indique que le 3 mars, Ben M'hidi a été emmené à Maison-Carrée où, après avoir encore été torturé, il a été exécuté par balles. Dans son livre Larbi Ben M'hidi, un symbole national, Khalfa Mammeri écrit que «les circonstances de la mort de Larbi Ben M'hidi sont encore plus opaques et plus mystérieuses que son arrestation». Pour lui, «à elles seules, son arrestation et sa mort constituent un testament politique où les valeurs de courage, de dignité et de grandeur d'âme ont été portées à leur haut niveau». L'hommage des ennemis Le colonel Jacques Allaire, lieutenant dans l'armée française durant la guerre de Libération nationale, qui avait arrêté Larbi Ben M'hidi en 1957, a dit de lui dans un documentaire d'Yves Boisset sur la bataille d'Alger: «Si je reviens à l'impression qu'il m'a faite, à l'époque où je l'ai capturé, et toutes les nuits où nous avons parlé ensemble, j'aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté, j'aurais aimé avoir beaucoup d'hommes de cette valeur, de cette dimension, de notre côté. Parce que c'était un seigneur Ben M'hidi. Ben M'hidi était impressionnant de calme, de sérénité et de conviction.» Le général Bigeard, son ennemi intime, avait une grande admiration pour Larbi Ben M ́hidi. «Si j ́avais 10 hommes de sa trempe dans mes troupes, j ́aurais conquis le monde», avait-il avoué à la soeur du martyr, Drifa Ben M'hidi.