De son vivant, Moulay Abdallah était grandement aimé de tous les habitants du Hoggar et de son village qui trouvaient auprès de lui aide, compréhension, assistance et tout simplement un compagnon doté d'une grande sagesse. Pour préserver les liens du cœur entre les gens, lui-même avait pour coutume d'organiser chaque année, le 1er mai, une sadaqa (offrande) en hommage à son ancêtre Erreguani, originaire de Reggane, à l'extrême sud du Hoggar. Après son rappel auprès de Dieu, sa tradition a été naturellement maintenue. Et ce sont trois jours de fête, comme ceux que nous venons de vivre, qui perpétuent sa philosophie de rassembleur. C'est ainsi que Tazrouk, le village aux soixante jardins, a accueilli notre méharée, une procession d'une vingtaine de chameaux, à Taharine (les figuiers), un jardin abritant des figuiers centenaires sur les bords de l'oued Tazrouk. Les chefs de notre caravane se lancent, soudain, au pas de course sur leur méhari tandis que des femmes nous accueillent avec un langoureux hindi, chants rythmés à l'aide d'un mortier couvert de peau de chèvre sur lequel elles battent la cadence. Les couleurs de la fête commencent à se décliner en cet après-midi de notre arrivée, le mercredi, pour s'étaler jusqu'au vendredi soir, 6 août. Très modeste, Mohamed Rouani, avec qui nous avons rejoint la ziara à chameau, contribue, discrètement, à celle-ci par l'organisation d'un grand camp de tentes, non loin du village où des pèlerins venant de partout trouvent abri, couscous et taguéla (mets traditionnel) dans une grande ambiance de liesse. un événement à ne pas manquer Le jeudi, une succession de groupes de personnes occupe le lit de l'oued Tazrouk, installées près de leurs 4×4 ou de leurs chameaux. Parmi elles, beaucoup sont également venues en méharée. Ceci alors qu'au village, plusieurs touristes étrangers (des Allemands et des Français surtout) déambulent en quête d'originalités : la ziara de Tazrouk est pour eux aussi un événement à ne pas manquer. Eux aussi sont happés en cette matinée par les battements de tindi et les voix de femmes qui l'accompagnent et qui surgissent çà et là dans les différents quartiers des Aït Loayen, des Issaqamaren et des Kel Ghella, tribus occupant essentiellement le village, à Tiberakatine et à Taberbert notamment. Dans le campement offert par les Rouani, le grand couscous de midi est suivi par les rituels de thé, avant qu'un autre événement vienne comme à l'accoutumée ponctuer à 17 h la ziara : c'est la course de chameaux très attendue par les habitants et par les visiteurs. Elle a lieu sur plusieurs kilomètres, du côté de l'oued peuplé, à l'occasion, par de longues files de spectateurs, hommes et femmes, de part et d'autre de ses rives. Trois chameaux de notre méharée courront aussi, montés par Khaya, Brahim et Abderrahmane. Tous nos espoirs sont mis en eux. Prières ! Pour que le chameau de Khaya arrive premier, comme les trois années précédentes avec Zaïter, notre chameau coursier à la retraite. Le départ est donné ! Nous retenons notre souffle, suivons la lancée… Tous les spectateurs supportent «les leurs». Très rapides, les chameaux galopent avec la grâce qui leur est propre ; mais, hélas, cette fois, le coursier de Khaya n'est pas sous la bonne étoile. Il est arrivé quatrième. Khaya, compagnon de méharée, a du mal à digérer son classement, habitué à arriver toujours en tête. Nous l'encourageons avec la satisfaction que notre équipée est quand même gagnante puisque le chameau de Brahim est arrivé deuxième. Notre méharée est félicitée par les autres. Autre lieu, autre ambiance : le campement. L'air est très bon. Au-dessous des nuages de ce mois d'août, une douce brise accompagne notre liesse faite d'une lignée de chants et de danses. Toutes les tribus du village sont là, à côté de leurs hôtes. Sur la grande place, le tindi autour duquel une nuée de femmes parées, comme les hommes, de «taré» (ce précieux tissu indigo), lancent des voix envoûtantes. A la ronde, l'ilouguène : les chameaux montés par des hommes superbe dans leur tenue drapée, propres aux Touareg, mènent le pas rythmé sur l'instrument. Tout est élégance. A côté, l'aliouène : des femmes, debout, alignées, entonnent des allégories tirées du fin fond du Hoggar. Tout se passe en même temps. Tout est envoûtant. La lune, elle, éclaire, petit à petit, le spectacle qui durera jusque tard la nuit, l'heure où le tindi et l'ilouguène prennent une autre allure dans le noir éclairé. Vient le vendredi matin : c'est la Fatiha et la prière au mausolée de Moulay Abdallah. Le lieu présente une image d'une étendue d'hommes très élégamment habillés, se recueillant assis, à la mémoire du sage. Récitations de Coran, puis la Fatiha, puis des accolades entre tous qui promettent de se retrouver encore et toujours, ici à Tazrouk. Dans le village, la fête reprend avec des groupes de chants et de baroud qui parcourent toutes les rues du village sous les regards joviaux des habitants et des visiteurs. Dans le camp, le tindi reprend : Mohamed Rouani ouvre l'ilouguène suivi des autres hommes de notre méharée. Les voix des femmes s'élèvent, en hommage aussi et surtout à Moulay Abdallah «qui était notre père à tous», nous dit Tahar Katzika, maire de Tazrouk. Cet homme voyageait souvent avec ses chameaux entre le Hoggar et le Niger pour commercer humblement, comme l'ont toujours fait les «kel Ahaggar», les gens du Hoggar. «A l'année prochaine, incha Allah, pour la ziarade Tazrouk !» Notre méharée reprend sa piste…