Le rendez-vous est arrivé à Tazrouk, le plus haut village d'Algérie avec ses 1900 m d'altitude, au nord-est de Tamanrasset, où se déroule chaque année, du 3 au 5 août, la traditionnelle ziara de moulay Abdallah. Un sage venu un beau jour de Reggane pour s'établir à Tazrouk auprès des Touareg qui l'ont naturellement accueilli et qui lui ont toujours voué un grand respect. Depuis son décès, en 1982, le moulay continue de rassembler des gens de partout, comme il le faisait de son vivant : cela se déroule dans le recueillement et dans la liesse, au village des Aït Loayen et des Issaqamaren, tribus qui composent essentiellement Tazrouk, à côté des Kel-Ghela, la tribu noble originelle du village. Evocation d'une ziara incontournable pour nous. « M'salmine ! ». Ainsi répond Lifa à notre question de savoir ce que lui inspire moulay Abdallah dont la ziara s'est déroulée, comme chaque année, le vendredi 5 août. La reconnaissance qu'exprime Lifa, une Imohagh de l'Ahaggar, est aussi celle de tous ceux, Touareg et autres, qui ne manquent point le rendez-vous de la ziara qui est, en même temps, un grand rassemblement d'échanges cordiaux, voire commerciaux. Le sage célébré au sein du village targui qui l'a accueilli très jeune n'était-il pas lui-même un grand commerçant, en même temps qu'un religieux très respecté par les Touareg avec lesquels il entreprenait de longues caravanes de chameaux, depuis Tamanrasset jusqu'au « Soudane », comme disent les gens d'ici pour désigner le Niger ou tout autre pays au-delà du Sahara. Des caravanes où s'échangeaient encore, et jusqu'aux années 1960, le sel, la datte, le mil et les tissus ; ces deux derniers le « charif » et ses compagnons touareg du voyage les rapportaient avec eux pour les habitants. Le fruit de ces caravanes ne s'arrêtait pas aux seules denrées, puisque moulay Abdallah transcendait le commerce des caravanes pour s'enrichir, le long des haltes, de savoir et d'enseignements dont sont très riches les gens du Sahara. Le retour au village de Tazrouk était, alors, généreux et prolifique en histoires à raconter. « C'est ainsi, aime à narrer la vieille Fatna, que, grâce à sa sagesse et à ses dons exceptionnels, moulay Abdallah a tout naturellement réussi à calmer un lion qui voulait prendre pour proie un des chameaux de sa caravane, en lui passant la main sur sa crinière et en le caressant ! Amadoué, le lion a, alors, renoncé à son intention ! », s'exclame la vieille Kel-Ghela qui nous prie de croire que l'histoire ne relève guère de la fiction, mais plutôt de la réalité. La transmission de la sagesse du moulay poursuit ainsi sa voie, et la ziara annuelle est en ce sens la grande occasion pour évoquer l'homme, ses mérites, lui consacrer, à lui et à tous, la traditionnelle prière qui se déroule tôt le matin au cimetière où il repose dans sa zaouïa. Une grande tache blanche au milieu de l'ocre dominant du roc qui inspire, avec les prières récitées, le recueillement. Dans tout le village, aux centaines de jardins, la ziara de Tazrouk est aussi une grande liesse : les sons et chants du tindi (percussion targuie faite avec un mortier en bois et une peau de chèvre) ; l'ilouguen : danse des chameaux autour des femmes qui battent le rythme langoureux du tindi ; l'incontournable course de chameaux ; les illéchane et les taré : voiles et taguelmoust (chèches) portés par les hommes et femmes, plus joyeux encore en pareille occasion. Des notes et des couleurs que l'on ne trouve nulle part ailleurs et qui embellissent particulièrement en cette circonstance le village de Tazrouk habituellement tranquille. Vendredi soir, après trois jours de fête, la nuit clôt la ziara avec d'ultimes tindis qui résonnent dans le silence du moment, sous les étoiles, un peu partout au village... c'est alors que l'on se salue en se disant « Imassinagh aha n'aghdi izogaren tan azen ! » - que Dieu nous rassemble encore l'année prochaine !