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ASSIKEL, AVEC CEUX DU HOGGAR
Voyage au tempsdes caravanes
Publié dans El Watan le 05 - 09 - 2004

Assikel : pour raconter le voyage... celui des Imohaghs, Berbères du Sahara central : les Touareg. Assikel signifie voyage en tamahaq, la langue écrite et parlée par eux. Et c'est bien à cet Assikel que nous sommes ici, initiés pour plonger dans sa signification profonde : avec les vaisseaux du désert, c'est une longue méharée qui nous mènera. « Comme au temps jadis », avec les gens du désert pour vivre avec eux la plénitude de cet autre espace... Suivons, donc, notre chef de caravane !
Vingt-six juillet : c'est la veille du voyage. La méharée est fin prête : onze chameaux de selle, onze de bât, nos provisions ainsi que celles de nos chameaux. Pardon ! de nos dromadaires ! Mohamed Rouani, enfant du Hoggar, est l'initiateur depuis toujours de cet « assikel » qu'il répète chaque année pour perpétuer la tradition des caravanes et pour que l'histoire de celles-ci ne s'arrête jamais malgré le temps. Avec Moussa Ag Aberguali notre chef de caravane, ils ont tous deux veillé à chaque détail des préparatifs, auxquels chaque membre de la caravane a contribué. L'un des objectifs de note long voyage sera la ziara annuelle de Tazrouk qui célèbre Moulay Abdallah, un sage de la région. 27 juillet : cette évasion dans une partie du plus beau désert du monde tous les connaisseurs sont unanimes s'annonce différente. Le 4 x 4 est troqué contre une longue méharée qui se déroulera toujours nord-nord-est à travers la chaîne montagneuse de l'Atakor et au pays des Kel-ghella, des Adjuh-N'tehle des Issaqumaren et des Aït Tougen, tribus occupant notamment les régions de Wahelégène et au Tazolète, les aires de notre Assikel A'tizelaïne. Dans une immense ahenssa, cuvette sablonneuse parsemée d'acacias et entourée des montagnes proches de Tamanrasset, nous attend notre caravane que nous rejoignons en 4 x 4. Entre Mohamed et les caravaniers les Issalane, les échanges de salutations se font avec la mesure et la sobriété connues aux Kel-Ahaggar (ceux du Hoggar). Nos montures sont sellées, alors que sur chameaux de bat sont encordés nos effets, nos provisions et les « abéyough » (outre, guerba en arabe) qui portent notre eau. Deux chameaux seront offerts à la ziara de Tazrouk, comme participation. Alors que la piste caravanière se profile devant nous, dans sa perspective longiligne, majestueusement campés sur leurs montures, Moussa Ag Aberguali et Mohamed donnent le ton à notre caravane qui, déjà, s'ébranle en file indienne.
En quête d'absolu
Dans un mouvement de vagues, Awragh (le blond en tamahaq) mon chameau, me projette très haut perchée à plus de deux mètres du sol, alors que je suis, bien campée sur ma tarik (selle). Un plaisir toujours renouvelé, me permettant de dominer les paysages dans une pleine quiétude, bercée alors par le rythme de va-et-vient de ma monture.Tamanrasset est déjà à quelque distance derrière nous au Sud, pensant que les hautes montagnes de la chaîne de l'Atakor, ses oueds, ses sables, ses points d'eau et ses centres de vie commencent à se décliner sur la cadence de notre piste : le ressourcement s'annonce exaltant, et l'air doux de cette fin de juillet sur les altitudes hoggariennes nous ouvre les portes secrètes de l'infini désert. Izzernène : nous l'atteignons aux heures douces du jour, avant le couchant, à la takest, disent les Kel-Ahaggar. Cette première halte à un goût de fête : c'est l'espace des Adjuh N'téhélé, ceux du roseau, tribu à laquelle appartiennent les compagnons de la méharée. Tandis que Belkèche nous attend sous un absagh (cet acacias en forme de parasol) avec un feu de camp où se prépare déjà notre thé, Khaya, Doudou, Bakha et Brahim se lancent au pas de course sur leurs méharas vers notre arbre : signe de liesse accompagnée des « iih ! » et des cris de joie poussés par les autres méharistes, cette envolée jubilatoire explique que nous ne sommes pas loin du campement des compagnons, un campement de huttes en téhlé (le roseau). Dans la mémoire collective des Touareg, le retour des hommes au campement, après une absence, est toujours une fête ponctuée de tindi, d'imzad et d'atal, ces soirées poétiques à l'ombre des étoiles. Nous baraquons nos chameaux, les déchargeons, les desselons puis les entravons aux pattes antérieures pour leur permettre de paître sans trop s'éloigner. Repos du soir pour nous qui commence avec le rituel des trois verres de thé, accompagné de melfoufe. Ces délicieuses brochettes de foie enrobées d'une fine graisse. La succulente taguéla galette cuisant sous le sable chauffé par la braise et accompagnée de sauce agrémentée à la viande de chameaux, composera notre dîner. Autour du feu de camp, long palabre dans le silence nocturne. 28 juillet : l'ahokhak, l'aube en tamahaq. L'instant où le feu de notre petit-déjeuner est déjà allumé. Tout le monde l'entoure déjà. Dans le milieu récurrent du désert, le sommeil ne dure que peu. « N'amaghrou ! » : c'est Moussa qui appelle son petit-fils et cela signifie, en quelque sorte, mon homonyme ! Le jeune Doudou s'appelle en réalité Moussa. Etant son parrain, son grand-père lui a donné son prénom comme le veut la tradition. Mais il l'appellera toujours « N'amaghrou », comme le veut la tradition aussi. Le grand-père et le petit-fils vont tous deux rassembler les chameaux qui sont allés la nuit, les pattes entravées par la tifart (l'entrave en corde torsadée), brouter. 7h 30, l'heure où notre caravane emprunte la piste. Avant, nos affaires sont soigneusement rangées et portées sur les chameaux de bât. Seller les méharas est une opération solennelle et précise que chacun entreprend de son côté : enlever la téfart des pattes du chameau ; mettre la rêne en cuir la « tarent ») à l'anneau en cuivre qui pend à la narine droite du méhari. Placer comme il se doit les trois petits carrés de tapis tout brodés sur son dos. Bien caler la tarik en la fixant avec l'ahaïf, la sangle), ajouter l'ahéloum », une très longue corde en poils de chèvre que l'on fait passer autour du ventre, puis plusieurs fois autour du train de derrière de l'animal, un renfort par la tarik mais surtout un objet de décor. Les Ighatimène (mules en cuire) et la talouhénit (sac en cuir) sont accrochés de part et d'autre de la monture. Tout harnachement présente un ensemble d'éléments utilitaires et esthétiques qui font la fierté du méhariste targui. Un saut et « ourt ! » pour lancer le trot. Moussa Ag Abserguali et Mohamed Rouani toujours à la tête de la caravane. Notre file ondule de pas réguliers sur notre piste gravée depuis toujours par les milliers de dromadaires qui ont porté les caravaniers en quête d'espaces et d'échanges. Heureux, nous cheminons dans le silence ambiant. Devant, le port altier et l'allure digne, Mohamed (un Kel-Guella, tribu dominante du Hoggar) entonne des allégories empreintes de nostalgie. Pense-t-il aux lointains campements de son enfance ? Derrière, je me laisse bercer par les ondulations d'Awragh, suivie par la longue file ocre de nos chameaux qui portent les autres, les vieux Bokha, Khoni, Brahim, Hamayden, Khaya, Abderahmane et son fils Doudou. Dans le ressourcement, je m'émerveille de toutes les images qu'offre infiniment le Hoggar. Je suis vide des artifices citadins. Je suis sereine ! Comme le sont naturellement mes compagnons.
Fascinant Atakor !
8 h, début de matinée, l' Ag Delsset disent les Touareg qui partagent les 24 heures en dix moments : à mesure que nous progressons vers le nord, le Hoggar s'impose par son côté monumental. Son allure montagneuse, déjà abordée la veille par ses pics, ses volcans et ses chaînes l'Ihtagen, le Tindi, l'Aounahant, l'Akar-Akar, l'Adrar Haggaren, se prononce de plus en plus. Filiforme, notre piste chamelière déroule devant nous des paysages géologiques essentiellement gréseux et volcaniques que l'on croirait sans vie floristique. Pourtant, à côté des différentes espèces d'acacias (absagh, tanat, tadjart...) et de tamaris ; une infinie variété d'arbustes et de plantes aux vertus thérapeutiques se suivent sans cesse le long de notre Assikel : tataï, le fenouil sauvage, tahareguéli, l'armoise, tehoune l'aubépine et autre tedjouq, tinetfert et aouhihet. Une vraie pharmacie écologique qui fera également le bonheur de chameaux durant nos haltes. Taguerfest : c'est la deuxième montagne dont nous sinuons les pistes montantes, après celle de la veille de Telaous. Nos montures ont une prise extraordinaire sur le sol très rocailleux. Défilent sous nos yeux d'innombrables Idebni (tombes en tamahaq) préhistoriques et anté-islamiques, tout de pierres noires volcaniques édifiées sur des talus bordant les oueds qui traversent taguerfest. Ce sont là aussi plusieurs foyers et monuments préhistoriques qui s'offrent à notre regard tranquille. « Les multiples cercles de pierre que tu vois sont d'anciennes cuisines de la période préhistorique », explique Mohamed à la tête d'une des plus anciennes agences de tourisme qui privilégie dans sa philosophie de la découverte du désert marche à pied et mehari et pour ceux qui désirent trouver vraiment le désert. Pour celui-ci, notre initiateur de la caravane voue un sacro-saint respect qu'il veut absolument transmettre aux autres : « Le désert est comme une mosquée, on n'y foule pas le pied sans enlever ses chaussures. » Une métaphore qu'il emploie pour dire toute la sainteté de ces lieux du Sahara central où la civilisation humaine, une des plus anciennes (voire la plus ancienne) date de 2,5 millions d'années lorsque l'homme a commencé à aménager les premiers galets. 9 h 30 : notre progression sur les hauteurs de Taguerfest aboutit à l'émerveillement lorsque nous atteignons le col Obédène. Une beauté à couper le souffle, que laisse entrevoir le col : c'est le massif de l'Atakor dans toute sa plénitude sous nos yeux ! Le tizouyag, l'essaouinane, la pyramide hadédou, le Hawhawen, tel un visage qui contemple le ciel, l'Oul... Le cœur du Hoggar est là, autrement accessible avec notre méharée, loi des sentiers touristiques. L'Atakor (le nœud en tamahaq) : une grande masse sombre au centre des Tassilis (plateaux), qui constitue avec l'Immidir et la Tefedest, au nord, le plus grand massif d'Afrique septentrionale, et l'un des plus vieux reliefs du globe. L'Atakor est surtout aussi le réservoir d'eau du Hoggar d'où partent tous les grands oueds (Tamenrasset, Tanget, Ighergher) qui continuent très loin leurs chemins vers les autres frontières sud et nord. C'est dans l'Atakor également que s'est déchaîné l'activité volcanique du tertiaire et du début quaternaire sur un bouclier granitique vieux comme le monde : tout ce domaine de la géologie que je contemple de notre col est, en effet, âgé d'un milliard et demi d'années ! Sur les pas réguliers de notre file, nous dévalons Taguerfest en sinuant parmi des rochers qui cèdent, parfois, des passages étroits. Les vents et les eaux ont bien fait, ici comme ailleurs, leur travail d'érosion. L'eau ! Sa présence se ressent ! Tiens, des flaques d'eau ! « Il a plu ici ! », pensai-je ! Des plantes ici et là fraîchement nées, se blotissent fragilement contre les rochers. D'autres bordent notre chemin. Miraculeuse cette naissance, après la pluie, d'une végétation qu'on croyait morte. Une ondée peut suffire à faire pousser ces éléments de la vie nécessaires aux pâturages. « Toutes ces plantes sont nées d'une pluie toute récente dans le Hoggar, nous sommes à la saison des pluies qui commencent à la mi-juillet et il devrait bien pleuvoir Incha Allah », explique Mohamed. Notre descente de Tagerfest est très sinueuse à travers les gros blocs de pierres et de rochers. Pourtant, ouverte depuis toujours par les milliers de caravanes qui ont traversé le temps, notre piste est intacte s'étirant à l'infini en un long trait blanc, qui allonge notre file. Le silence domine ; je le romps, des fois, par mes questions sur telle plante que je surplombe du haut d'Awragh, mon chameau, ou sur telle montagne insolite qui se profile là-bas au loin ; ou encore sur telle trace d'animal sur notre passage. Dans mon école du désert, mes savants enseignants satisfont toutes mes soifs d'apprendre ces milieux d'un autre monde.
Les oueds : un riche apprentissage de la nature
« Le désert n'a jamais cessé de parler à qui sait l'entendre », dit la maxime. Et à celui qui lui prête ses sens, il lui apprendra, par exemple, cette merveille des multiples instants que je vivrai, là, toute de suite, lorsque nous baraquons pour midi sur notre premier grand oued : l'oued Tagleft, prélude à tous les autres oueds que nous ne cesserons de traverser ou de cheminer durant toute notre méharée et qui se croisent presque tous. A 10 h 30, notre halte, comme toutes les autres, est dictée, parfois, par la présence de l'eau lorsque nous la soupçonnons. Dans ce oued, très arborescent, il se trouve deux gueltas que nous espérons remplies d'eau. Sinon, il n'y a pas de problème. Nos abeyough (guerbas) nous assurent toujours cet élément précieux que nous puiseront au fur et à mesure du voyage, là où cela est possible. Nous baraquons. Systématiquement, Mohamed et Khoni vont chercher des brindilles d'herbe sèche et du bois mort pour notre cuisine, qui commence à la halte toujours par le thé. Pendant que l'équipée est en train palabrer sous notre acacia géant, Khaya prépare le déjeuner, tandis que j'accours vers les gueltas. Et ô merveille ! de l'eau ! « Amane imane ! », « l'eau c'est la vie ! »... Etagées dans un superbe granite bleuté et patiné par le soleil, c'est un parfait écosystème humide que ces gueltas renforcées par l'eau des premières pluies ! Habillé de ces couleurs bleu ciel et orange, un anataghtag (gros lézard commun au Sahara central) ne remarque même pas ma discrète présence, alors qu'il demeure agrippé à la paroi de la guelta. Tel un fond marin, celle-ci abrite une faune et une flore sous l'eau à ravir le regard ! De petits poissons, les uns rouges, les autres blancs, frémillent avec leurs nageoires dorsales, à côté de petits mollusques. « Tiens ! même qu'il y a un petit crabe, là ! Et de petites fleurs blanches, telles des nénuphares ! Des algues d'un autre genre aussi ! Des libellules rouges et violettes qui survolent telle des hélico l'eau !... » Je suis ébahie par ce petit monde du minuscule domaine miraculeux et secret du désert. C'est la « tadéguet », l'après-midi. Il est 16h15. Nous poursuivons l'oued sablonneux, gravissons de nouveau la montagne durant une demi-heure et retombons sur un autre oued, que nous longeons une heure et demie durant. C'est Téhél Araghnine, les canyons jaunes. « Nous sommes à quelque 2000 mètres d'altitude et il est surprenant de se voir facilement passer d'un oued à l'autre, tant ceux-ci s'enchevêtrent tels les fils d'une toile. Des oueds qui se suivent mais qui ne se ressemblent pas. Chacun son charme. Chacun sa particularité. Avec son gros sable. » Téhél Araghnine serpente dans les dédales de parois rocheuses, de grès jaune. Evolution tranquille le long de l'oued. La file chamelière change de forme : tous les compagnons avancent alignés les uns à côté des autres, endulant au rythme des méharas et plaisantant entre eux. Un grand air de joie les anime, accentué par le plaisir de la première rencontre du genre : Ihenkadh ! des gazelles ! Nous soupçonnions, il est vrai, leur présence avec les traces que nous avions observées mais leur rencontre est toujours une réjouissance. Nous ne sommes pas au bout de notre quête. Troisième nuit à notre hôtel aux milliards d'étoiles. Mercredi 30 juillet : nous entamons notre quatrième jour de l'Assikel en poursuivant sur l'oued Téhél Araghnine qui ne tarde pas à nous confier à son élue, le nom, ici féminin de l'oued qui lui succède : Tanafarent : en tamahaq. La halte de la mi-journée que nous y faisons est une autre merveille. Avec Téhél Araghnine et Tanafarent, nous sommes dans les premiers microclimats du voyage où l'eau affleure à même le sol parmi les « tahlis » (roseaux plats et verts), les lauriers roses, le dis, la mousse qui tapisse le sol, ainsi qu'une myriade d'autres plantes aquatiques autour desquelles gravitent libellules, ahankouker (grosses guêpes jaunes et rouges) et autres insectes. Notre chevauchée nous plonge sans cesse dans le monde végétal et animal à mesure que nous pénétrons ces oueds humides de notre cap tantôt nord, tantôt nord-est. Des oueds qui sont aussi, en plus de l'ahenkadh (la gazelle Dorcas), le domaine du moufflon à manchette, l'ouded, fabuleux animal aux yeux d'or que nous rencontrerons plus tard. Les précédentes rencontres botaniques sont de plus en plus appuyées par d'autres plus étonnantes encore : nos nouveaux oueds commencent à nous familiariser avec une flore aussi riche que tedjouq aux vertus cicatrisantes et qui parfume également notre thé. Tassa, autre arbuste aux feuilles dodues curieusement savonneuses (riche en soude) qui servait jadis à la toilette ou à la lessive des nomades et qui résiste à la pluie lorsqu'elle sert au feu de camp. L'afézzou, un graminé qui sert entre autres à la confection de l'asseber, le brise-vent qui orne élégamment les tentes des nomades. Tanetfert et aouhihet bons pour les ulcères et la colopathie. Tadénémi ou le graisse-lèvres qu'utilisent les femmes, explique Mohamed... : une alchimie de plantes aux parfums capiteux qui constituent la pharmacopée populaire et le pâturage des troupeaux de chameaux et de chèvres. La tahat, acacia femelle, du latin Acacias Séyal, trône aussi avec ses boutons de fleurs jaunes à côté de l'acacia Radiana (absagh, très courant) aux boutons blancs. Dans le Hoggar, l'on compte cinq espèces d'acacias, famille des mimosacées... Cheminer dans les oueds est un riche apprentissage de la nature ! Notre caravane continue d'avancer, toujours lentement. Régulièrement, sous nos yeux, gravées au sol, des traces de pas d'animaux de toutes sortes : celles des gazelles s'apparentent à deux traits parallèle furtivement posés par les lancées légères de l'animal. C'est la gazelle Dorcas. Les traces du chacal ont la forme d'un grand trèfle. « Tiens ! Et celles-ci ? Ce sont des traces de gazelles aussi ? » « Kala, kala ! Adérih awagh wan ulli ! » « Non, non ces traces sont celles de chèvres ! », me répond Moussa. Un troupeau de chèvres est en effet passé par là, marquant de son empreinte le passage que nous entreprenons droit devant. Les larges pas de nos montures laissent pour leur part de grandes traces circulaires. C'est l'heure de baraquer sur l'oued Tanafarent. Et c'est en surplomb, sous un grand absagh très épineux, que nous campons pour cette fin de matinée : pas trop près du point d'eau ! La sagesse locale veut que l'on s'écarte toujours des gueltas, aussi grandes ou petites soient-elles, pour ne pas déranger d'autres éventuels voyageurs ou les animaux qui viennent s'abreuver. Sur le gros sable gorgé d'eau, j'observe, amusée, Mohamed, Bokha, Hamayden et Brahim l'air très content, accroupis en cercle et têtes penchées creusant de leurs mains rapides un grand trou : c'est un abankor qu'ils font, un grand trou en profondeur où l'eau, très limpide, est filtrée par le sable. L'abankor nous servira pour remplir les abéyough, faire notre repas, un brin de toilette et enfin pour abreuver nos chameaux. Les abéyough sont suspendus à notre arbre. Leur eau, fraîche et particulièrement désaltérante, est marron en raison du tanin, prélevé du fruit de la taguart (un des multiples acacias), qui est appliqué par les femmes sur la peau de l'abéyough. Tayni, des dattes comme à chaque fois que nous campons pour accompagner notre cérémonial des trois verres de thé, du plus amer au plus doux. A l'horizon est, de gros nuages noirs laissent penser qu'il doit sûrement pleuvoir sur notre destination. Tazrouk. Repas, palabres sous le grand acacia, alors que le vieux Moussa, notre « iminir » (guide) s'en va chouchouter « Zaïtek », un de nos chameaux coursier en lui mettant dans sa gueule quelques restes de pastèques qu'il avale goulûment. Notre sieste se déroule sous les airs très bavards des ahankouker et des cigales.
Une leçon de biologie animale
Au loin, les chameaux sont allés prendre leur repas dans la nature. Sans cesse amusée par plusieurs images insolites que m'offre l'extraordinaire désert, j'observe, le sourire aux lèvres, certains chameaux telles des girafes dans la savane africaine se régaler sur les hautes branches des acacias. Ceci alors que d'autres comme nous font la sieste, mais curieusement, la tête toujours face au soleil ! Pourquoi ? : « C'est pour protéger leur crâne plat de ses brûlures », m'explique Mohamed, et « tu auras remarqué qu'en adoptant cette position face à l'astre, ils ont tendance à tourner avec lui ! » Quel curieux animal et quel apprentissage je fais de lui ! Ma leçon de biologie animale n'est que plus passionnante, car c'est par-dessus tout avec Awragh, mon dromadaire, que je vais en savoir davantage. Très élégant dans ses airs tout aussi aristocrates qu'amicaux ! Entre ce méhari de choix qui m'est dévolu, et moi, une complicité se construira au fur et à mesure de nos périples caravaniers, voilà trois ans. Awragh m'apprendra ce qu'est véritablement un chameau (pardon pour lui encore une fois, un dromadaire !) Digne et fier, il est comme tous les autres, avec son harnachement l'élément de choix de la parure masculine du Targui. Signe d'élégance, Awragh porte autour de son long coup la « tazeguate », collier en laine de chèvre finement tissé. Comme les autres méharas de notre caravane, son cou est également marqué d'un insigne en tifinagh stylisé, présentant une forme de T, fermé par un cercle au bout de sa barre verticale. C'est le sceau par lequel Mohamed marque son troupeau : le T, lettre du féminin dans la langue targuie, symbolise aussi l'« Imottagh », l'« haggaren », le targui noble. Tandis que le cercle représente en tifinagh (écriture Imohagh) le R roulé qui est la première lettre du nom de famille de Mohamed. Awragh, « le Blond » (tous les chameaux portent un prénom en relation avec leur couleur) est un « amali », un étalon qui sert aussi à la reproduction. Ma familiarité avec lui, qui m'a facilement adoptée, m'a permis d'observer ses moindres traits et attitudes. Particulièrement coquet, le crin de son dos est soigneusement tondu. Ses petites oreilles verticales contrastent avec ses grands yeux coiffés de très longs cils recourbés et très fournis, accentuant la douceur de son regard. A observer de très près ses pupilles, je suis surprise ! Elles sont, non pas rondes comme je tendais à le croire, mais en torsades horizontales ! Etonnant ! Et cette bosse plate sur le bas de son buste ? Comme celles sur ses quatre genoux, elle lui sert pour être bien calé au sol, lorsqu'il baraque. Et s'il n'a pas de dents sur la gencive supérieure, c'est pour ruminer le fourrage qu'il a ingurgité en choisissant bien ses plantes préférées ! Quel enseignement me fais-tu Awragh !


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