Honte à la direction des moudjahidine, à l'organisation de wilaya, à l'APC et à ceux qui ont décidé de déboulonner en catimini, comme des voleurs, le fronton portant collège des Frères Rahabi situé dans la cité Emir Abdelkader. Ils l'ont fait dans la nuit du jeudi au vendredi, jour de repos et de prière, alliant la lâcheté à l'obscurité pour ne pas affronter les regards innocents des collégiens, les interrogations du corps enseignant et la mémoire des lieux. Honte à ceux qui ont fait que Ammar, mon grand-père, et son frère Tayeb se retournent dans leurs tombes et ne reposent pas en paix. Petits-fils de Si Mohamed Boukhentech des Ouled Sidi Rahab, guide de la résistance populaire de 1860 dans le Hodna, leur mère Messaouda a été forcée à l'exil par les hordes du général Nesmes-Demarest pour se réfugier dans le piémont du majestueux djebel Maouna, sur les hauteurs de Guelma. Aujourd'hui, ils subissent l'affront des enfants naturels de la soumission que leurs ancêtres ont combattue il y a un siècle et demi. Héritiers de la noble lignée des cavaliers légendaires de la tribu des Ouled Derradj, ils contemplent les asseaux guignolesques des dons Quichottes locaux. Exécutés en 1959 à une heure d'intervalle dans la ferme familiale qui servait de centre de transit et d'approvisionnement à la glorieuse ALN, ils doivent mesurer le niveau de dépréciation de son héritage. Honte à ceux qui infligent aux nombreux descendants de Ammar et Tayeb la douleur de restituer l'attitude posthume des deux frères aux caractères si différents. Ainsi, Tayeb qui n'a pas eu de garçon était courageux et dur. Ammar, le patriarche aisé, militant de l'UDMA, avait rejoint le FLN dès 1955 ; il était plutôt sage et père de trois chouhada, Chérif, Mohamed et Salah. Un collège porte le nom de ce dernier – à la cité Bara depuis novembre 2004 – mais n'a pas reçu, à ce jour, les autorisations administratives et continue de fonctionner avec l'ancienne appellation. De même que la grande cité des Frères Rahabi a été découpée en trois ensembles administratifs depuis mon départ du gouvernement, ces dix dernières années. Honte à ceux qui se sont érigés en chevaliers de la défense des symboles de la révolution pour s'affairer dans les multiples formes de rente et délivrer des brevets de patriotisme. Honte à ceux qui, dès qu'il s'agit de défendre le devoir de mémoire, se murent dans le silence, à l'image du pouvoir politique actuel qui, tout comme ceux qui l'ont précédé, a caché aux Algériens qu'il n'a jamais réclamé à la France les archives de la colonisation. Comme le Président algérien silencieux, qui souriait mécaniquement à son homologue français en décembre 2007 à Zéralda quand celui-ci déclarait ne pas être venu demander pardon pour les crimes du colonialisme. Ou encore comme ce ministre des Moudjahidine qui se cache chaque fois que l'arrogant Bernard Kouchner débarque à Alger. Honte à eux, car toutes ces attitudes indignes ont immanquablement fini par servir de modèle social et politique et favoriser l'émergence au sein de notre nation de légions d'immémorants aux convictions flottantes et prédisposées à la servilité. Honte aux relais politiques et administratifs à Guelma et ailleurs en Algérie si prompts à bomber le torse dès qu'il s'agit de distribuer comme une aumône des plaques, des pensions ou des licences, comme si ceux qui ont perdu des êtres irremplaçables et leurs biens allaient céder aux caprices du temps des ingratitudes. Honte enfin aux organisations des enfants de chouhada qui ne sortent de leur hibernation que pour se constituer en comités de soutien aux puissants du moment et s'accommodent du statut d'auxiliaires au lieu de se hisser au rang de gardiens vigilants des valeurs pour lesquelles leurs parents ont fait don de leur vie : la liberté et la dignité. Guelma , le 10 février 2009