Elle aurait pu être un personnage de roman. Elle aurait pu être aussi un personnage de film. Le grand rôle qu'elle a eu dans la vie réelle, un soir à Montgomery dans l'Alabama, s'est transformé en un rôle historique qui a été porté à l'écran sous le titre The Rosa Parks Story, (l'histoire de Rosa Parks). Le film qui lui a rendu honneur a été tourné en 2002, avec l'actrice noire américaine, Angela Bassett. En interprétant le rôle de Rosa Parks, Angela Bassett a reçu l'Emmy Award, une récompense méritée pour sa magistrale interprétation du personnage de Rosa Parks, dont l'histoire a été à la fois simple et extraordinaire. En effet, Rosa Parks, dont on a vu les images sur toutes les télévisions du monde ces dernières semaines, est décédée à Atlanta, et l'Amérique entière lui a rendu le plus grand hommage qui soit. Sa dépouille mortelle a été même transférée d'Atlanta à Washington où son corps a été exposé dimanche 30 et lundi 31 octobre à la Rotonde du Capitol, au Congrès, bâtiment qui abrite le Parlement américain. Elle est la première femme noire américaine à recevoir cet honneur national, réservé principalement aux Présidents des Etats-Unis. C'est certainement un signe fort, un symbole d'une grande importance pour les Afro-Américains. En rendant hommage à Rosa Parks, la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice a affirmé la semaine dernière que c'est grâce au courage de Rosa Parks qu'elle peut occuper aujourd'hui un poste aussi important que celui qu'elle détient dans le gouvernement américain, ce qui démontre si besoin était, l'importance de Rosa Parks, de cette femme du fin fond de l'Alabama dans l'inconscient des Noirs américains. Rosa Parks a été à l'origine d'un des plus grands mouvements de révolte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Le soir d'un certain 1er décembre de l'année 1955, en rentrant chez elle après une longue journée de travail, une journée où elle était particulièrement fatiguée, la couturière Rosa Parks s'est assise à l'avant du bus, la partie réservée aux Blancs américains. A l'époque, les bus étaient divisés en deux parties, l'avant pour les Blancs avec des places assises, et l'arrière pour les Noirs avec moins de sièges. Dans les années 1950, après avoir pris leurs billets auprès du chauffeur, les Noirs devaient redescendre du bus pour monter à l'arrière. Le chauffeur du bus où était assisse Rosa Parks lui a donné l'ordre de se lever et de céder sa place à un Blanc américain qui venait de monter, et donc d'aller à l'arrière du bus. Rosa Parks a refusé d'obéir, elle a refusé de se lever et de céder sa place, d'abord parce qu'elle était épuisée mais aussi par défi. Furieux, le chauffeur appelle un policier qui procède à l'arrestation de Rosa Parks qui ne voulait pas se plier aux lois raciales. Cette dernière se retrouve au commissariat, menottée, humiliée et emprisonnée. A cet instant-là, elle ne savait pas qu'elle allait révolutionner l'Amérique, chauffer les esprits et activer le cours de l'histoire des Noirs américains. Dans un de ses ouvrages Quiet Strength (Force tranquille), publié en 1994, elle révèle qu'elle avait agi ainsi parce qu'elle avait pensé ce jour-là à sa mère et à ses grands-parents, à leur force de résistance et à l'humiliation, et ce jour-là, elle avoue que la possibilité lui avait été donnée de faire ce qu'elle exigeait des autres, c'est-à-dire refuser de toujours obéir aux Blancs. Elle écrit : «Le traitement que les Blancs nous réservait n'était pas juste, et j'en avais assez de tout cela.» Ce sentiment a fait que le nom de Rosa Parks est à jamais lié à celui de Martin Luther King, et si ce dernier est devenu «Martin Luther King», le symbole fort de la lutte des Noirs pour l'égalité raciale, pour l'équité entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis, c'est grâce à Rosa Parks. Comme elle a été condamnée à payer une amende pour violation des lois de l'Etat de l'Alabama, un vaste mouvement de soutien s'en est suivi, un véritable mouvement de solidarité pour cette couturière, devenue à son insu héroïne, et tout le peuple noir s'est enclenché. Elle ne voulait que défendre ses droits civiques. Un jeune pasteur de la rue Dexter à Montgomery prend la tête du mouvement de protestation et décide un boycott général des bus dans l'Alabama qui a duré 381 jours. Le mot d'ordre a été appliqué à la lettre par la population noire. La compagnie des Bus de Montgomery a perdu beaucoup d'argent et la presse nationale et internationale a pris le relais de cette affaire pour dénoncer les mesures racistes par la voix infatigable de Martin Luther King. Rosa Parks, Martin Luther King et tous les Noirs américains ont réussi à ce que la Cour fédérale condamne les règles ségrégationnistes en vigueur dans les bus le 4 juin 1956 et le 13 novembre de la même année, la Cour suprême des Etats-Unis déclare la ségrégation raciale dans les bus «inconstitutionnelle». La petite couturière, fille d'esclaves noirs, celle qui dans son enfance a toujours eu peur du Ku Klux Klan, celle qui ne comprenait pas pourquoi il fallait baisser la tête parce qu'elle était noire, a réussi à changer la loi américaine en faveur de son peuple. Suite à ces évènements qui ont secoué l'Amérique et qui ont abouti à la fin d'une ère, Rosa Parks a été menacée de mort par la frange ultra raciste de Montgomery. Avec son mari elle se réfugie alors à Détroit où elle a vécu jusqu'à la fin de ses jours. Elle a travaillé durant près de vingt ans auprès de John Conyers, un député Afro-Américain, en s'occupant particulièrement des sans-abri et des SDF. A l'annonce de son décès, le député Conyers a déclaré : «Il y a très peu de gens qui peuvent dire que leurs actions et leurs attitudes ont changé la nation, Rosa Parks fait parti des individus qui ont changé ce pays.» Ensuite, elle a créé l'Association Rosa et Raymond Parks, qui s'est occupée du développement social auprès des jeunes sans avenir. Rosa Parks a dédié toute sa vie à aider les autres, à faire progresser la situation des Afro- Américains. A la tête de cette association, elle a organisé justement des voyages en bus pour faire découvrir l'Amérique aux jeunes des quartiers défavorisés, le Rosa Parks Bus. Cette grande dame au grand cœur a reçu de nombreux témoignages de respect, de nombreux prix et médailles. En 1999, le Président Clinton lui a décerné la Médaille du Congrès, qui est la plus haute distinction aux Etats-Unis. Il y a quelque temps un journaliste lui demandait si au soir de sa vie elle était heureuse. Elle a répondu avec un sourire : «Je fais ce que je peux pour voir la vie du côté positif, toujours. Je veux toujours être optimiste et pleine d'espoir, et je regarde toujours vers des jours meilleurs, mais je ne pense pas que le bonheur total existe. Je suis toujours attristée de voir que le racisme existe, que le mal est ancré. Si on pense qu'être heureux, c'est tout avoir, posséder tout ce dont on a besoin et avoir tout ce que l'on souhaite, et donc ne plus souhaiter autre chose, alors je peux vous dire que je n'ai toujours pas atteint ce stade-là.» Voilà ce que l'on appelle une femme de combat, une femme qui jusqu'à l'âge de 92 ans a lutté pour la justice sociale. Jusqu'au dernier souffle, elle a lutté contre la plus grande des bêtises humaines : le racisme. Le 1er décembre prochain, les enfants de l'association Rosa Parks, des milliers d'enfants de Montgomery, marcheront de l'endroit où Rosa Parks a été arrêtée, il y a cinquante ans, jusqu'au Capitole pour lui rendre un dernier hommage. Ce sera la «Marche des enfants de Montgomery», en l'honneur de celle qui un certain 1er décembre 1955 a été tout simplement «têtue».