pour tout le monde, chaque année qui débute est l'occasion de secrètes et définitives résolutions. Du genre maigrir, faire du sport, garder le moral, voyager, etc. Sauf que ces résolutions se heurtent, hélas, bien souvent (et trop vite) au mur de la réalité quotidienne. Bien souvent donc, il suffira de quelques jours pour que tout retombe comme un soufflé raté et que le train-train quotidien reprenne le dessus : embonpoint, paresse, déprime, etc. Pour l'écrivain, il n'en est rien (croit-il). Comme tout un chacun, il fait aussi des vœux secrets et définitifs persuadé cependant qu'il a le pouvoir secret et définitif de les réaliser, d'aller jusqu'au bout de ses résolutions par la force de son entêtement, de sa patience et de sa foi en l'écriture. Il projette ainsi de : 1. Se réveiller chaque matin à l'aube et d'écrire sans interruption, durant trois heures au moins. C'est, de loin, la résolution la plus difficile à mettre en œuvre. Il y a plusieurs façon d'écrire à l'aube. On sait que Nabokov écrivait dès 6 h, debout, sur un pupitre à l'aide d'un crayon. Puis il allait se baigner dans un lac (suisse de préférence), faisait la sieste, etc. Nathalie Sarraute, elle, s'installait dès le matin dans un café, et écoutant les conversations, se laissait gagner par le brouhaha général tout en écrivant fiévreusement. Quant à Naguib Mahfouz, il écrit : « Le temps que je passais installé au Fichaoui fécondait ma réflexion, le narguilé stimulait mon imagination et, à chaque bouffée, je voyais une scène nouvelle se dérouler dans mon esprit. » A dire vrai, une variante de cette résolution peut consister à écrire très tard la nuit, comme Proust, Kafka ou d'autres. Mais cette solution possède de trop nombreux inconvénients, comme celui d'interdire toute vie sociale. Lire le livre des animaux 2. Lire un livre par semaine. Au moins. Quoique facile en apparence, cette résolution est profondément pernicieuse et implique une organisation sans faille. En effet, lire est tout aussi important qu'écrire, il faut donc choisir les livres selon des besoins précis, ne pas disperser son attention tout en gardant une disponibilité pour les heureux accidents de lecture, éviter les lectures superflues (la presse quotidienne, les revues, les magazines,...), éviter de lire pendant que l'on écrit, éviter de penser qu'on peut éviter les erreurs d'un auteur (très grave erreur). Quant à déterminer les heures les plus propices pour la lecture, on peut se rapporter à l'alinéa précédent, ou encore (beaucoup plus chic), prendre pour référent les 24 noubas de la musique arabo-andalouse et le fait que chacune d'entre elles corresponde à une heure de la journée et à une humeur particulière. On pourra lire confortablement Le Livre des animaux de Jahiz sur le mode maya pour toute la vie et la joie qu'il apporte ; on conseillera de lire certains romans de Mohammed Dib sur le mode zaydan pour son calme et sa sérénité. 3. Lire Nedjma de Kateb Yacine, du début à la fin, sans interruption, en essayant si possible de le comprendre. C'est probablement la résolution la plus dangereuse. Comme tout un chacun, l'écrivain algérien se doit d'avoir lu ce chef-d'œuvre, de pouvoir en parler avec un air entendu, de le citer à l'occasion. Toute proportion gardée, Nedjma est au lecteur algérien ce que La Recherche de Proust est au lecteur français, La Montagne magique de Thomas Mann au lecteur allemand, Les Mille et Une Nuits au lecteur arabe et Ulysse de Joyce au lecteur universel, bref, c'est-à-dire ces livres dont nous pressentons bien qu'il faut absolument avoir lu sans pour autant que nous ayons jamais pu en dépasser les premières pages. Une idée intéressante consiste à commencer par acquérir ces livres, à les feuilleter négligemment, d'un air faussement détendu (histoire d'endormir la bête) en ne sous-estimant pas leur imposante dimension (plus de mille pages à chaque fois). Un emploi bien rémunéré 4. Ne plus jamais prononcer les expressions du genre « littérature de l'urgence », « écriture du témoignage », « écriture de l'exil », ... 5. Faire du sport. Outre que cela peut être bon pour la santé, une activité sportive régulière, simple (comme marcher le long du Front de mer et rêver aux bateaux qui partent) et peu onéreuse nous procure un supplément d'âme. A vérifier cependant. 6. Trouver un emploi très bien rémunéré et relativement peu prenant. C'est une des résolutions les plus importantes et, il va sans dire, des plus difficiles à réaliser. Pour un écrivain algérien, un travail à mi-temps accompagné d'un salaire mensuel de 100 000 DA me paraît correct, afin qu'il puisse s'épanouir, écrire, lire Nedjma, ne plus jamais prononcer d'expressions idiotes, faire du sport, etc. Pour peu, bien entendu, qu'on n'exige pas de lui une trop grande assiduité et de trop grands efforts. C'est ce qu'ont parfaitement compris St John Perse, Paul Claudel, Salah Stétié ou Sergio Pitol qui, tous, furent ou sont diplomates et d'immenses écrivains. Du reste et dans une mesure relative, Kafka l'avait lui aussi parfaitement compris, lui qui, sur recommandation (un genre de piston) travaillait jusqu'à 14 h à l'Office des assurances contre les accidents du travail pour le Royaume de Bohème (un genre de Sonatrach slave), faisait la sieste, mangeait, allait au théâtre puis écrivait fort tard la nuit. Une variante improbable consiste à faire tout simplement un bel héritage. Heureux Proust qui avait eu l'intelligence de ce choix. 7. Ne pas oublier qu'écrire c'est vivre, et que, pour reprendre la terrible formule de Cesare Pavese, si « le métier de vivre » est épuisant, le métier d'écrire l'est tout autant, le second ne pouvant, en rien, venir en aide au premier. Et inversement. Ne pas oublier que le premier livre de Pavese, édité en 1936 à l'âge de 28 ans, s'intitulait Vivre fatigue (un recueil de poésie). Il montre, sans contestation possible, que la lucidité n'a rien à faire avec l'âge, tandis que Le Métier de vivre, publié après son suicide en 1950, prouve que la vie et la mort se consultent rarement. Ne pas oublier alors d'accrocher au-dessus de son bureau (si tant est qu'on en possède un), cette phrase de Naguib Mahfouz : « J'admets n'avoir pas réussi sur le plan de la vie sociale... les relations, les visites et tout le reste... mais mon temps était compté et il me fallait veiller à ne jamais le dissiper. » C'est du moins, avec l'importante question du narguilé, ce qu'a soufflé Naguib Mahfouz à Gamal Ghitany dans un livre d'entretiens.