A notre arrivée hier matin dans la daïra d'El Birine, au lendemain des violentes émeutes ayant secoué la commune durant une journée entière, la ville semblait retrouver le calme. En apparence seulement. L'arrestation de dizaines de jeunes continuait d'alimenter l'effervescence. « Nous comptons reprendre les manifestations de colère au cas où les jeunes arrêtés abusivement ne seraient pas libérés avant le jour de l'Aïd », lanceront les centaines de jeunes qui nous ont accompagnés tout au long de notre visite. Ils n'ont cessé de crier leur douleur, leur misère et leur exclusion. « Nous avons faim et nous allons mourir de froid à cause de l'augmentation du prix du gaz butane qui coûtait déjà 300 DA la bonbonne, qui n'est pas disponible et pour laquelle il faut faire la queue de 5h du matin à minuit », lance Brahim, 30 ans, un repris de justice condamné à 10 ans de prison pour vol qualifié et qui a cru bon nous protéger pendant nos déplacements. « J'ai volé pour subvenir aux besoins de ma famille », tenait-il à préciser. « La presse, c'est tout ce qu'il nous reste. Les responsables locaux nous ignorent et nos cris de détresse restent sans écho depuis des années. La hogra est à l'origine de ce qui s'est passé hier », ajoutent encore les jeunes, qui nous informent que l'alimentation en gaz de ville reliant le sud du pays à M'sila se trouve à quelque 30 km de leur commune sachant que leur région est l'une des plus glaciales du pays. D'autres jeunes enchaînent : « Le problème du gaz a fait flamber le reste. » Le chômage - évalué à 90% par nos interlocuteurs et à 65% par un autre citoyen - est la source de tous les problèmes. En particulier le trafic et la consommation de la drogue. « Les jeunes n'ont plus d'autre alternative que de se détruire pour oublier leur misère », a tenu à nous dire un ancien moudjahid en précisant que la colère de ces jeunes, qui constituent 75% des 40 000 habitants d'El Birine, n'est que le résultat de l'indifférence des autorités locales, qu'il s'agisse de l'administration ou des élus locaux. Au fil de nos déplacements, les institutions de l'Etat (daïra, impôts, P et T, EPEGED), encore fumantes, offrent un spectacle des plus désolants : tout a été incendié et détruit jusqu'au plafond. Les portes et les fenêtres en fer couvrent le sol, les équipements sont saccagés et des tonnes d'archives ont été brûlées. Le siège de la daïra n'est plus qu'un énorme labyrinthe vide, aux murs noircis par le feu. Le chef de daïra qui se trouvait devant le siège avec des employés refusera de commenter la situation. A côté, le siège de l'APC est tout aussi endommagé. Seuls quelques registres de l'état civil ont pu être sauvés. Tout le reste est parti en fumée. Même les 10 véhicules qui se trouvaient au niveau du parc de voitures. Le feu a vidé tous les locaux : plus d'archives, encore moins d'équipements. Idem pour les P et T et l'EPEGED. Seule la polyclinique a été épargnée « par respect aux malades et aux médecins qui se battent depuis treize ans afin d'assurer un minimum de couverture sanitaire ». Les médecins rencontrés sur les lieux nous feront part des difficultés qu'ils rencontrent. « II nous arrive d'enregistrer trois urgences en une heure, alors que nous ne possédons qu'une seule ambulance. La leishmaniose fait encore des ravages, alors que les médicaments ne sont pas disponibles dans cette zone d'endémie qui a enregistré plus de 100 cas en quelques semaines. Le matériel consommable (gants, seringues, compresses, etc.) manque cruellement et l'anti-D est inexistant. » La polyclinique, qui dépend du secteur sanitaire de Aïn Oussera, est complètement isolée. Les citoyens et les praticiens réclament la réalisation d'un secteur sanitaire décent. La structure et les moyens n'ont pas évolué depuis plus d'une décennie, alors que la population est passée de 12 000 à 40 000 habitants. Les protestataires ont également dénoncé le détournement des aides de l'Etat (ANSEJ, agriculture, emploi de jeunes, etc.) au profit des proches des différents responsables... Pour les représentants de la société civile, une intervention plus rapide des services de sécurité aurait évité la catastrophe : « Les manifestations de colère ont débuté à 10h et les services de sécurité ne sont venus qu'à 16h », nous ont-ils déclaré. Chose confirmée par le chef d'agence de la SAA protégée à temps par le personnel. « J'ai bien contacté le chef de la sûreté urbaine. Il a refusé de se rendre sur les lieux. » Interrogé, ce dernier entrera dans une vive colère. « Allez poser vos questions au wali et au directeur de la sûreté de wilaya. » Le chef de groupement de la Gendarmerie nationale nous demandera de nous adresser à ses supérieurs. L'imam dira que « cette région n'a jamais été violente », même pas au moment des événements du 5 Octobre 1988, ajouteront des citoyens présents. Sur le chemin du retour, dans la commune de Aïn Maâbed, des dizaines de taxis collectifs attendaient depuis des heures la distribution du gaz sous la surveillance... des éléments de la Gendarmerie nationale.