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L'enrichissement illicite
Publié dans El Watan le 25 - 06 - 2006


Gestion du risque de prolifération
Le savoir-faire en termes de techniques nucléaires, étant essentiellement le même pour toutes les applications, est une réalité qui pose un double défi historique à la communauté internationale. Comment respecter le droit de tous les pays à accéder à cette source d'énergie sans compromettre la sécurité de tous ?
Décréter l'opération d'enrichissement comme activité illicite ne respecte pas la première partie du principe, du moins pour les pays qui ont la capacité d'une autonomie en matière de technologies nucléaires. Laisser faire qui peut ? Le risque est à l'évidence trop grand pour être accepté.
En effet, ces interrogations ne sont pas nouvelles, elles sont même à l'origine de la promulgation du traité de non-prolifération (TNP), d'il y a près de quarante ans. Ce traité interdisant explicitement : «Toute réception de tous les Etats non nucléaires de quelques destinations que ce soit ainsi que toute fabrication ou acquisition d'armes nucléaires ou tout autre mécanisme ou explosif nucléaire». Comme il invite les pays nucléaires à s'engager dans une dynamique de réduction de ces armes. En échange, les pays non nucléaires pourront bénéficier de la technologie nucléaire pour les applications pacifiques. La mise en œuvre de ce dispositif, en vigueur depuis près d'un demi-siècle, n'a pas abouti aux objectifs escomptés dans ses deux volets.
D'abord, les pays nucléaires ne se sont jamais astreints à un calendrier fixe et précis pour la réduction de leurs arsenaux nucléaires ; sinon de simples déclassements de vieilles armes au profit du développement de nouvelles générations d'armes plus sophistiquées encore. Quant au transfert de technologies pour les applications civiles vers les pays non nucléaires, qui se fait essentiellement dans le cadre des coopérations bilatérales mais toujours sous la supervision de l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA). L'assistance technique de cette agence onusienne, en termes de transfert de technologie se limitant à des projets ciblés qui restent à la périphérie des besoins réels des pays en voix de développement. Ces projets ont trait, souvent, à quelques applications dérisoires, presque ludiques dans le domaine de la médecine et de l'agriculture notamment. En comparaison aux vrais besoins de ces pays, c'est comme distribuer des petits fours, produits ailleurs, à une population souffrant de la famine.
Quels sont les pays qui ont bénéficié de l'assistance technique de l'AIEA dans les projets qui auraient abouti à la production de l'énergie nucléaire ?
Par contre, là où ses efforts sont réellement concentrés et qui constituent l'essentiel de ses tâches principales, ce sont les opérations de surveillance et d'inspection des projets de recherche des différents pays ainsi que leurs installations (équipements de laboratoires, stations d'expérimentation, etc.) acquises dans des programmes de coopération, où ses inspecteurs interviennent en tant qu'experts, surtout, dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. En outre, le TNP, dans sa forme actuelle, a l'allure d'un simple «gentleman's agreement» auquel on souscrit volontairement et son respect reste tributaire de la bonne foi. Bien que si cette dernière est transgressée par un pays, celui-ci se voit attirer les foudres de guerre, embargos, isolement et toute la panoplie de menaces qui va avec. C'est le cas de l'Iran, actuellement, qui résiste à renoncer à ses activités d'enrichissement d'uranium et qui est soumis à de fortes pressions de la part de la communauté internationale. Celles-ci allant des menaces de résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, synonyme de sanctions potentiellement punitives, à d'autres plus conciliantes, de la part des pays européens notamment et qui proposent à l'Iran une assistance accrue dans le domaine de l'utilisation pacifique de la technologie nucléaire, s'il venait à mettre un terme à ses activités d'enrichissement.
Par ailleurs, ce pays a été contraint, dans un premier temps, de négocier avec la Russie pour accomplir cette opération si sensible chez elle. Une rançon trop élevée pour être payée par l'Iran à en juger par la suite donnée à ce projet. De plus, en d'autres temps et avec d'autres rapports des forces en présence, l'Empire persan, tout fier de son histoire, aurait-il accepté cette agression contre sa souveraineté par une telle proposition si indécente qui le relègue au statut de pays mineur ? Cet état de fait est totalement inédit dans les annales des relations internationales et qui consiste à forcer un pays, en temps de paix, d'admettre sa culpabilité avant même de commettre la faute. Au fait, pourquoi les Iraniens iront-ils jusqu'en Russie pour enrichir leur uranium ? Accepter cette délocalisation, n'auront-ils pas payer un lourd tribut pour prouver à la communauté internationale leur bonne foi, quant à l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire ? Même si on sait par ailleurs que l'Iran n'est dans aucune urgence ou besoin immédiat d'utiliser d'autres sources d'énergie, étant lui-même grand exportateur d'hydrocarbures. Et même s'ils veulent simplement diversifier leur bouquet énergétique, d'autres stratégies s'offrent à eux, comme par exemple, acquérir tout simplement des centrales nucléaires de Russie ou d'ailleurs et mettre fin à toute cette crise. Et dans ce cas précis, ce serait à l'Iran, s'il le souhaite, d'exiger que certaines étapes du cycle du combustible se fassent chez lui et non l'inverse. N'a-t-on pas vu la Chine, en signant un contrat d'acquisition d'avions de ligne, exiger de la France de construire les airbus en Chine ? Et c'est bien d'un transfert de technologie aéronautique qu'il s'agit et non de la restauration rapide. Ceci est évidemment le chemin traditionnel où le transfert de technologie se fait du fournisseur vers le client. La tentative de cette joint-venture russo-iranienne pour enrichir l'uranium va à contre-courant de tout point de vue de cette logique. Et c'est la spécificité du nucléaire qui engendre ce genre de situion.
Une affaire de prestige et de monopole
La réalité est que le développement endogène du cycle du combustible nucléaire est devenu un signe ostentatoire de prestige et de puissance pour beaucoup de pays. Lui ôter cet aspect, c'est le dénuder de tout intérêt.
Cette notion ne peut être reconnue et revendiquée ouvertement par les Iraniens ; elle est plutôt passée sous un silence assourdissant, par crainte de spolier l'impact destiné à la consommation interne, qui est certainement l'objectif majeur de leur action. Le prestige d'un pays est défini par une relation intimement liée à sa culture, et celui de la force et de la puissance est le plus prépondérant. En effet, beaucoup de pays ne se reconnaîtront pas à travers des distinctions aussi prestigieuses aux dimensions culturelles universelles telles que l'obtention d'un prix Nobel ou même une médaille d'or aux Jeux Olympiques, qui peuvent exciter la fierté d'un peuple mais dont la portée reste limitée. Quoi qu'il en soit, cet épisode iranien ne peut être une simple parenthèse conjoncturelle dans l'évolution de l'énergie nucléaire qui alimente une presse en manque de sensations, c'est plutôt un prélude à un ordre énergétique mondial qui pourrait engendrer un tournant historique dans les relations internationales, dans un monde à la recherche d'un équilibre stable, paisible mais qui semble de plus en plus difficile à cerner. Avec ce regain d'intérêt certain pour l'énergie nucléaire, le consensus atteint par les deux superpuissances lors de la réunion ministérielle du G8 est conçu pour interdire aux pays en voie de développement d'utiliser la technologie nucléaire à des applications militaires. Cette convergence de vue n'est-elle pas une esquisse d'une forme de mondialisation du marché de l'énergie, particulièrement sa filière nucléaire ?
Apparemment tout converge vers une nouvelle carte du potentiel énergétique du monde, qui est appelée à se dessiner et elle sera forcément différente de celle de l'ère des hydrocarbures. Il suffit simplement de ne pas perdre de vue que les pays occidentaux ne sont pas près d'oublier les chocs pétroliers successifs et les embargos auxquels ils étaient soumis dans un passé pas très lointain.
La situation se présentant sous un aspect plutôt favorable à sa propre défense, ou sous le problème de la prolifération gît celui de l'octroi et même du monopole des sources d'énergie de demain, le premier étant un alibi de taille pour justifier le second. Un cercle vicieux qui serait difficile de rompre, mais en revanche qu'on peut facilement durcir. Pour cela on peut, à l'occasion, rajouter au discours une sémantique plus agressive taillée sur mesure pour certains pays qu'on qualifierait de «voyous» ou «sponsors» du terrorisme et de les priver d'accès aux nouvelles sources d'énergie. Il est clair que ce chemin nous éloigne du principe noble et généreux qui est celui du progrès scientifique qui génère un patrimoine commun à toute l'humanité. D'autant plus que loin des débats passionnés, il est reconnu que «la disponibilité de l'énergie et l'accès à cette dernière sont des conditions essentielles du développement humain». Ce qui implique le droit d'accès des pays en voie de développement à tout savoir-faire, leur assurant leur indépendance énergétique quelle que soit la nature des sources d'énergie fut-elle nucléaire ! Toutefois, ceci n'empêche nullement la communauté internationale de garder le droit et la responsabilité de se protéger contre tous les comportements malveillants qui constitueraient des menaces pour la paix dans le monde. Dans le contexte actuel des rapports de forces en place, la conciliation de ces deux exigences reste très difficile à satisfaire. Et pourtant la situation actuelle est condamnée à évoluer inévitablement.
Responsabilité et prolifération
Dans sa forme actuelle, le TNP, par son asymétrie, est considéré, par beaucoup de pays voulant acquérir la technologie nucléaire, comme un frein à leur développement. Si cela est vrai pour certains, il n'est qu'une simple excuse ou alibi pour d'autres.
Beaucoup d'arguments peuvent être avancés sur ce sujet. Si le TNP a tendance à favoriser les pays qui maîtrisent la technologie nucléaire au détriment de ceux qui ne la possèdent pas, d'aucuns arguent que cette situation existait avant l'arrivée de ce traité et il n'est pas là pour la corriger mais pour prévenir une mauvaise situation d'empirer. De toutes les manières et à l'évidence, s'il n'y a pas eu de crises majeures de prolifération, le TNP n'est pour rien. Car ce sont les difficultés inhérentes à la technologie nucléaire qui ont été, jusqu'à présent, les véritables remparts contre la prolifération. Il faut se rendre à l'évidence, qu'en réalité, «ne fabrique pas de bombe atomique qui veut !»
En effet, lancer un programme de séparation des isotopes pour obtenir de grosses quantités de matière hautement enrichie et faire une démonstration académique sur une paillasse de laboratoire pour obtenir des traces, d'un certain isotope au fond d'un Becher, ne font absolument pas appel aux mêmes métiers ni le même savoir-faire. Faire l'amalgame entre ces deux échelles pour les uns, ils se leurrent éperdument et pour les autres, c'est vouloir noyer leur chien en l'accusant d'avoir la rage.
Toutefois, cette ère où la technologie nucléaire s'était auto-interdite par ses difficultés intrinsèques est appelée à prendre fin sous peu avec les évolutions diverses, à commencer par la démocratisation de l'information scientifique et technique qui commence à circuler à grands flux. Il y a aussi la prise de conscience de certains pays qui commencent à investir plus dans la formation d'une élite scientifique compétente. La motivation à l'origine de ce redéploiement n'est pas simplement un sursaut d'orgueil ni l'aspiration à un bien-être meilleur des peuples, mais surtout une réponse à la politique des relations internationales qui paraît ouvertement de plus en plus injuste, inéquitable, et surtout faite de deux poids, deux mesures. Ce qu'il ne faut pas oublier de souligner, c'est que tant que les pays nucléaires non seulement clament haut et fort que les armes de destruction massive ont une utilité politique, mais surtout qu'ils les brandissent comme potentiellement utilisables à chaque fois qu'ils rentrent en conflit avec d'autres pays, est une forme d'arrogance qui poussent les pays non nucléaires à ne pas respecter l'ordre établi et chercheraient avec véhémence à acquérir les mêmes avantages. Cette motivation de prolifération par contagion ne doit en aucun cas ouvrir la voie vers de simples raccourcis qui feraient croire que seuls les pays non nucléaires sont responsables de cette prolifération. Car en réalité, celle-ci ne peut être que verticale. Et historiquement elle a été ainsi ; en effet, c'est bien un pays nucléaire qui a fourni le réacteur de Dimona à Israël, et sans crainte de trop verser dans le cynisme, par souci d'équilibre régional, le même pays avait construit le réacteur Osirak en Irak réalisant ainsi, délibérément, un échiquier géopolitique potentiellement explosif. Avant que la tension ne régresse d'un cran quand Osirak fut détruit, dans l'indifférence et l'impunité totale, par la chasse israélienne en 1981. Pour la petite histoire, ces deux réacteurs étaient les meilleurs systèmes de l'époque, pour le développement de la technologie nucléaire militaire (combustibles hautement enrichis, modérés à l'eau lourde, avec quelques dizaines de mégawatts de puissance, etc.). Par ailleurs, il y a un autre aspect très sensible lié à la prolifération et qu'il est important de souligner. C'est le cas où de simples accusations génèrent un impact dont seul le pays désigné peut en tirer un profit parfois énorme. Accuser un certain régime, pas nécessairement l'Iran ou la Corée du nord, de vouloir développer l'arme nucléaire, c'est leur apporter un support politique inestimable et inespéré, particulièrement pour la consommation interne qui renforcent certains pouvoirs, pouvant être despotiques, foulant sous leurs pieds tout respect de la démocratie et le bien-être de leurs populations.
Le nucléaire, en tant que thème, est une arme à plusieurs facettes en lui-même. Il suffit qu'un pays décrète un programme de recherches dans le domaine pour se mettre sous les feux des projecteurs, il est immédiatement traité, dans un premier temps, par l'euphémisme de pays au «seuil nucléaire» et au premier soubresaut géopolitique le concernant, les médias s'emparent du sujet, le phénomène du doute préparant les esprits, et finissent par doter ce pays de l'arme fatale. Et c'est là aussi où certains régimes, pour des ambitions politiques démesurées, tout en faisant courir des risques importants à leur pays, profitent de la situation, se recroquevillent sur l'ambiguïté et manipulent les opinions à leur guise. C'est ainsi que certains pays pourront entrer dans le club très fermé des vraies puissances nucléaires, avec des armes fictives ou n'existant que dans les archives des rédactions de certains médias et qu'on brandit périodiquement à l'occasion des événements politiques. Pendant le demi-siècle écoulé, la technologie a beaucoup évolué ; les instruments juridiques doivent suivre l'évolution, et rien que pour cela, le TNP, dans sa forme actuelle, a fait son temps. Le moment est peut-être venu d'appeler une conférence internationale sur la mondialisation de l'énergie nucléaire où il faut mettre à plat tous les problèmes rencontrés durant le demi-siècle écoulé. Les débats peuvent concerner les aspects les plus divers à commencer par des problèmes de fond tels que les stratégies utilisées jusqu'à présent dans la conception des systèmes de production de l'énergie nucléaire et voir dans quelles mesures, de nouvelles conceptions peuvent être adoptées tels les réacteurs de quatrième génération qui sont sur le point de s'implanter. Ces systèmes sont caractérisés par «un niveau de sûreté accru, une meilleure compétitivité économique et une aptitude à recycler le combustible afin de valoriser les matières fissiles (uranium, plutonium) et de minimiser par transmutation la production des déchets à vie longue (actinides mineurs)».
Une nouvelle organisation de la coopération dans le domaine du nucléaire est suggérée où il s'agira de créer des clubs énergétiques. Chaque puissance nucléaire se portera garante de tous les aspects de la prolifération, d'un certain nombre de pays adhérents volontairement et faisant partie du club. Les leaders, pour ne pas dire tuteurs, de ces ensembles peuvent aider les pays membres de leur club à valoriser leur potentiel en matière première, le minerai d'uranium. Ce schéma pourra lever certaines aberrations flagrantes qui règnent actuellement, où des pays qui disposent sur leur sol ou leur sous-sol de richesses naturelles et dont ils ne peuvent en tirer profit. Car il paraît tout à fait anormal qu'un pays comme le Niger, par exemple, qui possède des quantités prouvées d'uranium supérieures à celles de la France, du Japon et de l'Italie combinées (ces pays bénéficient de l'énergie nucléaire), n'y ait pas accès.
Beaucoup d'autres points peuvent être soumis aux débats à la conférence. A l'image de l'AIEA, qui est une agence pour promouvoir l'utilisation pacifique des techniques nucléaires, on peut suggérer la création d'une agence qui supervisera le démantèlement des arsenaux nucléaires dans leurs différentes phases de réduction ; cela servira au moins à atténuer les ressentiments soulevés chez certains pays qui voient que l'ordre établi, actuellement, dans les affaires nucléaires, est basé sur des critères aléatoires, discriminatoires, servant de freins à leur développement et portant atteinte à leur souveraineté.
Quoi que l'on puisse dire ou faire, il restera toujours quelques pays pour lesquels la notion de souveraineté est érigée en doctrine et qui chercheront, en courant tous les risques, leur indépendance en termes de développement et de savoir-faire. Ils feront partie de la nature des choses et viendront confirmer que le nucléaire n'est pas la panacée aux problèmes énergétiques de l'humanité. Mais une simple option très imparfaite, et malgré son aspect très attractif, n'empêchera pas que le ver soit dans le fruit. La nature offre beaucoup de ces particularités très curieuses parfois, à l'image de l'isotope, le californium 252 qui fissionne spontanément sans la présence d'aucun neutron externe à l'atome ; ce phénomène vient nous rappeler que cette même nature, aussi généreuse qu'elle soit, garde pour elle beaucoup de ses secrets et autres informations hautement classifiées.
Par Dr Abdelhamid Khalfaoui – Directeur de recherche/ CDTA (MERS).


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