Les circonstances de l'enlèvement de Robert Fowler (diplomate onusien au Niger) et de son collègue Louis Gay par des contrebandiers, et la transaction dont ils ont fait l'objet pour se retrouver quelques jours plus tard entre les mains du groupe de l'ex-émir de la zone 9 pour le Sahara et le Sahel, pour le GSPC, Mokhtar Belmokhtar dit Abou Al Abbès, sont un fait révélateur. Il lève le voile non seulement sur la collusion entre le terrorisme, le banditisme et sur certains Etats de la région. Une région, faut-il le préciser, qui évolue dangereusement vers une zone d'insécurité au point où certains spécialistes la présentent comme base arrière d'Al Qaïda au Maghreb, comme cela fut le cas pour l'Afghanistan. Pour une source sécuritaire nigérienne, jointe par téléphone, Fowler aurait été contacté par ses ravisseurs pour des raisons non encore connues. « Personne ne savait que le diplomate allait rendre visite à la mine d'or Samira exploitée par une société canadienne. Il a renvoyé sa garde et n'a pas pris son véhicule doté d'un GPS. Il a été enlevé à quelques kilomètres de la capitale et personne ne le savait. Il était invité à 20h à un dîner par un diplomate canadien et c'est lui qui avait alerté sur sa disparition, lorsqu'il a vu qu'il n'avait pas donné signe de vie », a déclaré notre source. Pour elle, les ravisseurs sont des contrebandiers connus, sans donner plus de détails. « Néanmoins, nous savons que les auteurs du rapt ont par la suite remis Fowler et son accompagnateur au groupe de Belmokhtar. La transaction a été faite en dehors du territoire nigérien. Quelle a été la contrepartie ? Est-ce qu'il s'agissait d'une commande ? Nous n'en savons rien. Par contre, nous sommes convaincus que l'argent est la principale contrepartie, d'autant que les contrebandiers n'ont pas la logistique nécessaire pour garder les otages trop longtemps. Belmokhtar est actuellement avec son groupe et les deux diplomates au nord du Mali, tout comme d'ailleurs les quatre autres touristes enlevés, au mois de janvier dernier, par le groupe de Abou Zeïd, appartenant également à Al Qaïda », a précisé notre interlocuteur. En fait, il s'agit de la première prise d'otages que Belmokhtar organise, lui qui était contre ce type « d'opération », et il est même entré en dissidence avec Abderrazak El Para, à cause de l'enlèvement des touristes allemands en 2003, au sud de l'Algérie. Abou Al Abbès estimait, à cette époque, que le rapt des touristes allait attirer l'attention sur la région, ce qui pourrait menacer la logistique qu'il avait installée et les liens tissés avec la population locale et surtout les notables. Mais les négociations avec le gouvernement allemand par l'intermédiaire de responsables maliens vont aboutir au paiement d'une rançon de 5 millions d'euros en contrepartie de la libération du groupe de 14 touristes transférés du sud algérien vers Kidal, au nord du Mali. Une première qui a ouvert la porte à une série d'enlèvements de touristes suivie de demandes de rançon. L'on apprendra par des sources sécuritaires maliennes et nigériennes que la libération des deux touristes autrichiens enlevés par Abou Zeïd, au sud de la Tunisie et emmenés au nord du Mali, a coûté la somme de 10 millions d'euros, et ce, en attente d'arrêter le montant de la nouvelle « dîme » pour la libération des quatre touristes suisses, allemand et britannique, pris en otage toujours par Abou Zeïd, au mois de janvier dernier. Dans toutes ces opérations, les négociateurs sont toujours les mêmes : des notables, agissant officiellement pour le compte des gouvernements occidentaux concernés, et officieusement pour le compte des terroristes et des responsables maliens. Le choix du nord du Mali, comme refuge et terrain de négociations, n'est pas fortuit. Le nord du Mali ou le wasiristan de l'Afrique Cette région est celle où les terroristes du GSPC ont constitué une base arrière avec une logistique et des réseaux de soutien, notamment parmi les tribus arabes. Au Niger, en Mauritanie, en Tunisie ou en Libye, les terroristes ont du mal à agir. L'excuse de l'étendue du terrain et du manque de moyens ne convainc plus personne, car le nord du Mali n'est pas plus pauvre que le nord du Niger ou de la Mauritanie. Dans l'affaire des touristes allemands, libérés en juillet 2004, le groupe du GSPC était constitué d'à peine une trentaine d'éléments, dont des Maliens. Aujourd'hui, ses effectifs dépassent quelque peu les 200 éléments, dont une vingtaine de Libyens et d'autres nationalités, entre autres, des Marocains, des Maliens, des Mauritaniens et des Tunisiens. L'argent récupéré des « rançons » a permis d 'armer lourdement le groupe, de le doter de moyens de communication modernes, de véhicules tout-terrains, et de tisser des alliances avec les populations locales et certains officiels. Dans le cas de l'affaire Fowler, dont le chauffeur a été libéré samedi dernier, certaines sources sécuritaires algériennes se sont interrogées sur la tergiversation des autorités maliennes autour des enlèvements des quatre touristes occidentaux par Abou Zeïd et de Fowler, actuellement entre les mains de Belmokhtar. En effet, après avoir accusé les Touareg du nord du Mali de l'enlèvement des quatre touristes (suisses et allemands), voilà que Bamako tergiverse sur l'implantation d'Al Qaïda au Maghreb sur son territoire. Belmokhtar et son groupe, une vingtaine d'éléments, n'ont jamais été inquiétés sur le sol malien où le GSPC semble très présent jusqu'à août 2008. Deux artificiers, nouvelles recrues mauritaniennes de Belmokhtar, Sid Ali Naban et Ould Yahdih, ont déclenché une explosion suite à une mauvaise manipulation d'explosifs dans une maison à Gao, ce qui a alerté les services de sécurité. Les deux artificiers ont été alors arrêtés. Tenant beaucoup à l'un d'eux, Ould Yahdih, Belmokhtar va tout faire pour tenter de le récupérer, mais les autorités maliennes ont préféré les garder, sans les faire juger, refusant de les extrader vers leur pays d'origine. Certaines sources sécuritaires ont expliqué que les Maliens ont gardé les deux artificiers dans la perspective de les utiliser comme monnaie d'échange. Contre quoi ? Tout comme on ne sait pas pourquoi les Maliens gardent encore en prison, sans jugement (et refusent de l'extrader), Oussama El Merdaci, cet ancien Afghan-Algérien, très actif au sein d'Al Qaïda au Sahel, qui a une parfaite connaissance des réseaux londoniens et qui a été arrêté à Tombouctou, alors qu'il se dirigeait vers la Somalie. Dans sa revendication de l'enlèvement de Fowler, Belmokhtar a demandé la libération des deux artificiers mauritaniens en contrepartie de la libération de Fowler et son compagnon, mais les autorités maliennes affirment que Ould Yahdih aurait trouvé la mort dans un accident de voiture fin février lors de son transfert vers Bamako. Comme preuve de cette affirmation, nous a t-on affirmé de source sécuritaire algérienne, le ministre de la Défense a présenté le témoignage du second Mauritanien, qui dit avoir assisté à son enterrement. Est-ce possible ? Mais ce sont là des interrogations qui laissent croire que le GSPC n'a pas trouvé mieux pour sa base arrière que le nord du Mali, du fait surtout de la passivité lucrative des autorités locales. Belmolkhtar et Abou Zeïd ont fini par comprendre que dans ce no mans land qu'est le Sahel et surtout le nord du Niger, que les intérêts purement pécuniaires priment sur tout et les prises d'otage ne sont en fait qu'un commerce comme un autre, pourvu que chacun, contrebandiers, terroristes et officiels maliens, trouve son compte, surtout que les négociateurs attitrés sont toujours disposés à faire augmenter les enchères et obtenir une meilleure rançon, ou plutôt une meilleure « prime d'encouragement » au crime. Ce qui est à craindre aujourd'hui, c'est le fait que cette région devienne de plus en plus une menace sérieuse pour la stabilité de tous les pays riverains et même au-delà, car il ne faut pas oublier que l'Afrique n'est qu'à 14 km de l'Europe et que la Somalie, devenu un lieu de piratrie n'est pas très loin non plus.