Les Libanais ont donc droit à un dialogue, voire à un duel à distance engagé par le chef du Hezbollah qui a réussi vendredi dernier une véritable démonstration avec des centaines de milliers de Libanais, présents à son meeting. C'est ensuite le chef des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, qui n'a pas fait autant, deux jours plus tard dans la capitale libanaise, tout en tentant ce qui apparaît comme une remise en ordre. Vendredi, rappelle-t-on, le chef du Hezbollah ne s'était pas contenté de parler de la guerre israélienne, mais aussi de ses prolongements comme la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies demandant le désarmement des groupes armés, incluant par conséquent celui de son propre mouvement. Il a ainsi déclaré : «Nous ne disons pas que les armes vont rester éternellement, mais la première étape normale est de construire un Etat fort, juste, qui protège la patrie et les citoyens, et vous verrez que le problème des armes se résoudra tout seul sans même avoir besoin de recourir à la table de négociation. Attaquez-vous aux causes, et les symptômes se régleront d'eux-mêmes… Mais parler de désarmer la Résistance… avec cet Etat, ce régime, ce pouvoir, cela signifie laisser le Liban à découvert face à Israël afin qu'il tue, vole et fasse ce que bon lui semble», a poursuivi le chef du Hezbollah. Même si son mouvement siège en son sein avec deux ministres, Hassan Nasrallah, semble s'en démarquer, voire même qu'il adopte une attitude de défiance à son égard, et réclame un gouvernement d'union nationale. «C'est l'Etat fort qui protège, mais les larmes n'ont jamais protégé personne», a lancé Nasrallah, en allusion sans doute au Premier ministre. «Le gouvernement actuel est incapable de protéger le Liban, de reconstruire ou d'unifier le Liban», a insisté le leader du Hezbollah. Mais cette fois, l'approche semble différente qu'il y a trente ans. «Il existe une profonde division nationale, mais nul ne peut dire que cette division est de nature confessionnelle, qu'elle oppose le sunnite au chiite, ou le chrétien au musulman, ou le druze aux sunnites et aux chiites. Pas du tout.» Et de réclamer : «Une grande stratégie politique sur laquelle se mettraient d'accord les forces politiques chiites, sunnites, druzes et chrétiennes.» Il reste que l'idée d'un Etat fort n'est pas perçue de manière univoque, et en ce sens le Hezbollah concentre sur lui l'essentiel, sinon toutes les attaques. Samir Geagea partage cette vision. «Nous sommes les vainqueurs car nous réclamions le déploiement de l'armée, épaulée par une force de l'ONU, alors que (le Hezbollah) y était opposé», a déclaré M. Geagea devant ses partisans. «Nous sommes les vainqueurs, et pourtant, nous n'avons pas le sentiment d'une victoire, mais d'une véritable catastrophe qui s'est abattue sur le pays», a ajouté M. Geagea sans jamais citer le Hezbollah ou son chef, Hassan Nasrallah. «Les larmes versées exprimaient exactement le sentiment de la population», a poursuivi M. Geagea, en réponse aux critiques de Hassan Nasrallah visant le Premier ministre libanais Fouad Siniora qui avait pleuré lors de la réunion du Conseil de la ligue arabe à Beyrouth durant la guerre. «La résistance a protégé le pays d'une guerre civile ? Non, c'est le degré de conscience des dirigeants et du peuple libanais qui l'ont empêchée», a dit en réponse au leader chiite M. Geagea, membre des forces souverainistes, dites aussi du 14 mars, majoritaires au Parlement. «Ils demandent un Etat fort : comment cet Etat fort peut-il être construit avec un petit état à ses côtés… Nous leur disons que lorsque nous trouverons une solution aux armes (du Hezbollah), il sera possible d'édifier un Etat fort comme il faut.» En réponse à la demande d'un gouvernement d'union nationale, M. Geagea a répondu qu'«avant un gouvernement d'union nationale, il nous faut une union nationale stipulée par les accords de Taef» de 1989 qui ont mis fin un an plus tard à la guerre civile. L'ancien chef de guerre n'a pas perdu de vue cet aspect de la crise libanaise qui a reconduit le système confessionnel que personne ni aucune partie ne semble remettre en cause, même s'il est contraire à toutes les règles de la démocratie Il reste que, dans ce débat, l'opposition n'est pas toujours celle à qui l'on pense. La preuve, l'ancien général Michel Aoun que l'on présente déjà comme un possible candidat à la prochaine élection présidentielle, partage la position du Hezbollah, signant même avec lui un engagement stratégique. Michel Aoun adopte, quant à lui, une position de défiance à l'égard de la mouvance souverainiste, la guerre israélienne ayant, selon ses arguments, conduit à une véritable décantation.