Surpris qu'on s'intéresse, près de cinq ans après, jour pour jour, à cet événement ayant ébranlé le vieux quartier de la capitale, chacun des jeunes rencontrés y est allé de son couplet. Encore interloqués, ils se remémorent ces moments qui ont frappé leurs quartiers. Celui qui fut le plus touché est le quartier Rachid Kouache, situé en contrebas du rond-point de Triolet. Des habitations y furent ensevelies alors que d'autres ont vu leur premier niveau, submergé par les flots. Aussi, l'usine de la SNTA et une partie du collège El Kettar se sont affaissés. Ayant fait plus de 700 morts, les eaux en furie qui ont charrié des tonnes de boue, attestent-ils, ont entamé leur chemin à partir des hauteurs de la localité de Frais Vallon, passé par Triolet, Groupe Taine, les Trois horloges, avant de déboucher sur le boulevard Mira et de là se déverser à la mer, laquelle, à les entendre, est devenue noire de cadavres. Un peu plus haut, non loin de ce même rond-point, le bain maure ayant vu la mort de plusieurs citoyens, qui s'y étaient réfugiés, est toujours là, narguant le temps. Son propriétaire, à en croire les citoyens, ne veut plus s'en occuper. «Comment peut-il le faire, assurent-ils, alors que le hammam, ayant accueilli les citoyens pris de peur, est la preuve vivante du drame ?» Prenant de cours plus d'un, les averses n'ont duré que quelques minutes. Les pluies ont commencé à s'abattre, tôt dans la matinée, pour ne s'arrêter que vers 8 h. Néanmoins, vingt minutes ont suffi pour provoquer ce cataclysme. Un container a dévalé les pentes avant de finir sa course au bas d'un immeuble. Une famille de Sétifiens habitant au rez-de-chaussée a eu la vie sauve grâce à ce container qui a obstrué les fenêtres de leur appartements. «Les gens qui en ont pâti le plus sont les gens étrangers à notre quartier, surtout ceux retenus par les flots sur la route de Triolet menant à Chevalley, à hauteur de l'actuelle poste de la Protection civile», indiquent-ils. Les Babelouédiens du cru, touchés en partie, se sont privés de couvertures en couvrant les morts. Interrogé dans un entretien, le directeur de l'Egpfc nous dira que des corps restent toujours entreposés à la morgue d'El Allia, personne n'étant venu les réclamer. Evoquant la débandade qui s'est emparée des autorités locales, nos interlocuteurs assureront que les gens du quartier ont été les seuls à s'occuper des morts. «Aucune autorité ne s'est déplacée sur les lieux du désastre aux premières heures de la catastrophe. C'est à croire qu'on s'est retrouvé, pendant trois jours, dans une zone de non-Etat. Les Mozabites, tenant des boutiques de quincaillerie, nous ont été d'un grand apport en nous fournissant du matériel de secours», explique Rachid, employé à l'hôpital Maillot. Pour lui, ce ne sont pas les pluies qui ont causé ce cataclysme mais la bêtise des hommes sûrement. Lui emboîtant le pas, ses copains parleront ainsi des baraquements construits dans le pourtour du bassin versant du Frais Vallon. Vilipendés, les pouvoirs publics ont expliqué le drame, au lendemain du sinistre, par le fait que «les ouvrages existants ne pouvaient aucunement résister aux coulées de boue». A cela s'ajoutent, selon eux, «l'urbanisme anarchique, la prolifération des décharges, en somme l'inexistence d'un Plan urbain». Sur la lenteur des secours ayant marqué les interventions, ils ont affirmé que les réquisitions ont été opérées et le plan Orsec déclenché, dans les temps. Il ne reste qu'une question à laquelle les autorités n'ont pas donné de réponse franche, elle est sur toutes les lèvres : quelle est la raison du drame ? Pour beaucoup, sinon pour la plupart de ceux qu'on a interrogés, la raison en est les égouts obstrués qui ont cédé aux torrents venus des hauteurs de la localité. Tout en parlant des efforts louables des agents publics, les citoyens ne manqueront pas de tirer à boulets rouges sur les services de la commune de Bab El Oued. Pour eux, les responsables de la mairie «se prélassaient» en Tunisie, le jour du drame et ne se montrent que lors du passage des officiels. Entamés par plusieurs entrepreneurs, les travaux de réfection des habitations ne les ont pas agréés. Seule satisfaction : les logements que les sinistrés ont occupés «dans les temps». Aucune autorité sollicitée ne semble vouloir s'exprimer, préférant laisser la vérité «sous des tonnes de boue». Celle-ci éclora-t-elle un jour ? Rien n'est moins sûr.