Des dizaines de corps sont retirés chaque jour à Frais-Vallon et à Triolet. Bab El-Oued offre un spectacle de fin du monde. Selon les estimations faites sur place, le nombre des morts avoisinerait le millier. Au troisième jour du drame qui a frappé Alger, les sauveteurs continuent de dégager les victimes enfouies sous les tonnes de gravats et de boue. La mer a rejeté, hier, des corps emportés par les crues. Le chiffre de 575 morts est à revoir à la hausse. Hier, du côté de Bab El-Oued, l'armée et les pompiers ont déterré, en l'espace de deux heures, 8 personnes: un homme et une femme à Frais-Vallon, 4 personnes au marché Triolet, et 2 autres rejetées par la mer. «Nous sommes certains que d'autres corps sont toujours ensevelis sous la boue», nous dira un sapeur-pompier qui marque une pause après des recherches qui ont commencé au petit matin. Au même moment, les cortèges funèbres, qui prennent la direction du cimetière d'El-Kettar, continuent leur marche. «Pour cette seule journée, on a enterré 20 personnes», nous dira un citoyen. Les familles des victimes accompagnées de leurs proches et d'amis ont pris d'assaut le gigantesque cimetière, au début de la journée. La foule n'a pas cessé de circuler entre les tombes. Il faut faire vite, car il y a d'autres morts à inhumer avant le retour de la pluie. Plus loin, vers Triolet, où des tentes ont été dressées, d'autres familles attendent pour avoir des informations sur les disparus. Qui un frère, qui une mère, qui un fils ou encore un ami qui n'a pas donné signe de vie, depuis ce maudit samedi. Sous une tente, un bureau de renseignement a été mis en place. «Notre rôle est d'informer les citoyens sur les morts identifiés», nous explique l'homme derrière le bureau. Aux alentours du sinistre marché de Bab El-Oued, un bouclier de sécurité a été dressé par les services de l'ordre pour empêcher les curieux d'avancer davantage. «C'est pour leur bien... le pont qui sépare le marché de la route menace de s'effondrer.» En effet, outre le pont branlant, un nombre important de maisons et de locaux menacent ruine, l'eau les ayant énormément affectés. Ce sont les scènes qui forment le funeste décor d'un quartier frappé de plein fouet par la plus catastrophique des inondations, qu'il n'ait jamais connues. L'horreur n'a pas empêché les sauveteurs de poursuivre leurs recherches. La Protection civile, divisée en trois équipes A, B et C, assiste à tour de rôle les militaires, qui creusent dans des tonnes de gravats. Autour, les hommes des services de l'ordre veillent au grain quand ils ne mettent pas la main dans la boue. Par moment, on entend la sirène des camions-sapeurs: c'est un signe qu'une autre victime vient d'être dégagée. Alors, un va-et-vient se déclenche. «On est presque certain qu'il n'y a plus de vivants, mais on doit faire vite pour dégager toutes les victimes», nous dira un jeune pompier. «On doit aussi faire attention pour ne pas abîmer les corps», ajoute-t-il. Les chiens renifleurs ont fait leur apparition dans plusieurs quartiers de Bab El-Oued. «Ils sont d'une grande utilité pour avancer dans la recherche», nous affirme un policier qui se plaint du manque de moyens. La fouille aurait été, de l'avis des sauveteurs, plus facile si des moyens adéquats avaient été fournis. C'est vrai que des bulldozers, des Poclain, des camions et d'autres engins ont été dépêchés sur les lieux du drame, dès dimanche, mais beaucoup de moyens manquent pour «gagner du temps et faire mieux». On a constaté également que le nombre d'engins est très réduit par rapport aux montagnes de détritus qui s'allongent sur des kilomètres. Effectivement, vu à l'oeuvre, les sauveteurs paraissent impuissants devant des centaines de branches d'arbres, de carcasses de voitures, de pneus, de poteaux, ou carrément des voûtes de maisons effondrées. Le pire pour les pompiers et les militaires est de réussir à «dénicher» un corps inerte au milieu de ces amas, mélangés aux gravats et à la boue. Une tâche draconienne qui devient quasiment impossible par endroits. Force est de constater que les unités d'intervention travaillent dans des ruelles sans accès. «Je ne crois pas qu'on puisse dégager ces rues avant une semaine», estime un membre de l'unité du quartier Rachid-Kouache, situé à quelques mètres des Trois-Horloges. Ce quartier s'est transformé en un vrai cimetière, en l'espace de 24 heures. Coupé du monde, il renferme en son sein pas moins de 10 victimes, selon le témoignage des habitants. Justement, c'est cette situation qui stresse le plus les sauveteurs. «Nous sommes contraints de continuer les recherches, même durant la nuit... mais, encore une fois, sans assez de moyens», soutient un sauveteur anonyme.