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Un enjeu militaire décisif
Publié dans El Watan le 25 - 12 - 2006

Il y est affirmé que les Etats-Unis entendent désormais «préserver tous leurs droits, leurs moyens et leur liberté d'action dans l'espace», cette liberté d'action «étant jugée aussi vitale que la puissance aérienne et navale.» En clair, il s'agit pour l'Administration américaine de s'opposer explicitement à toute sorte de traité ou de législation internationale interdisant ou limitant les moyens militaires ou d'expansion commerciale utilisant l'espace. Bien entendu, les Etats-Unis se réservent le droit d'empêcher leurs «ennemis potentiels» et tous ceux qu'ils considèrent comme leurs adversaires «d'user de leurs capacités d'armement hostiles aux intérêts nationaux américains».
Une initiative peu surprenante
Malgré les dénégations de l'Administration américaine, beaucoup craignent aujourd'hui que Washington cherche à tester, à développer et à déployer des armes spatiales, conformément aux plans de la Missile Defense Agency et à la politique menée par G. Bush dans ce domaine depuis son accession à la Maison-Blanche. Le refus américain d'entrer dans toute négociation ou discussion sur l'utilisation de l'espace ne peut en être que renforcé. Cette politique était déjà toute entière contenue dans le rapport Rumsfeld de janvier 2001. Il s'agit donc d'une affaire de longue haleine. Le rapport de celui qui allait devenir le secrétaire à la Défense de G. Bush décrivait les dangers d'un «Pearl Harbor spatial». Pour l'empêcher, il préconisait la mise en place de nouvelles capacités militaires pour des opérations dans et à partir de l'espace et il mettait en garde contre les réseaux d'accords et règlements qui pourraient gêner, par leurs conséquences «inattendues», les activités américaines dans l'espace. C'est donc dès le début de la décennie 2000 que resurgit le débat autour de ce qu'on appelait, à l'époque, le «contrôle stratégique», dont l'instrument par excellence est la puissance spatiale. Selon Paul-Marie de La Gorce, «elle permet à la fois d'avoir en permanence sous les yeux la situation de l'adversaire, de surveiller son comportement et ses activités, d'analyser continûment» les informations obtenues, d'en déduire les objectifs à détruire De fait, l'espace est déjà hautement militarisé, mais non armé. Des centaines de satellites y circulent, pour observer, écouter, guider et aider à la destruction les armements terrestres. Pour l'instant, ces moyens sont sanctuarisés. Compte tenu de leur nature, ils ne nécessitent donc pas de protection particulière. Mais l'introduction d'armes dans l'espace les mettrait en danger, déstabiliserait la situation globale et ouvrirait la voie à une nouvelle course aux armements. De ce point de vue, on peut dire que la directive de Bush représente un véritable «coup de pied dans la porte», selon l'expression utilisée par un expert américain.
«L'occasion» nord-coréenne
Ce n'est pas un hasard si la nouvelle politique américaine a été rendue publique neuf jours après l'essai nucléaire nord-coréen, alors qu'elle avait été mise au point et décidée avant. Elle peut ainsi se présenter comme une «réponse». L'essai nucléaire annoncé le 9 octobre est en effet arrivé à point nommé pour donner une apparence de justification aux projets américains de déployer une défense antimissiles et de militariser l'espace. Il a fallu plusieurs jours pour confirmer la nature réellement nucléaire de l'essai, vu sa puissance exceptionnellement faible, environ 0,5 kilotonne, alors que la bombe de Nagasaki, la première bombe à plutonium, était 40 fois plus puissante. De plus, la Corée du Nord ne dispose pas d'ogives nucléaires militarisées susceptibles d'être délivrées sur un objectif par des moyens aériens ou par des missiles. Cependant, pays proliférant en matière nucléaire, la Corée du Nord l'est aussi en matière de missiles. Déjà en 1998, elle avait lancé un missile Taepodong-1, d'une portée de 2500 km, qui avait survolé le Japon avant de s'abîmer en mer. Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Il avait à l'époque prétendu qu'il ne s'agissait pas d'un essai de missile, mais d'une tentative pour mettre un satellite en orbite, explication peu convaincante. Le 4 juillet de cette année, alors que le débat sur le nucléaire nord-coréen faisait rage, le régime de Pyongyang a lancé une salve de 6 missiles Taepodong-2, d'une portée de 6700 km, et qui pourrait donc atteindre en théorie le nord de l'Alaska et une partie de la côte ouest des Etats-Unis. Ce véritable feu de salve s'est à nouveau traduit par un échec, puisque les missiles ont sombré dans les eaux territoriales russes moins d'une minute après leur lancement avant la séparation du premier étage. Certes, on peut imaginer que la Corée du Nord déploie des missiles Scud-D (700 km de portée) ou Nodong-1 (1300 km de portée) sur des plateformes navales opérant au large des côtes japonaises ou américaines, mais compte tenu du sévère embargo qui pèse sur la Corée du Nord et de la surveillance étroite de ses navires marchands, cela relève plus du domaine du virtuel que du réel. Il est donc exagéré de parler aujourd'hui d'une «menace» nord-coréenne. Par son programme nucléaire et missilier, la Corée du Nord entend avant tout préserver son régime et se prémunir contre une attaque américaine en «sanctuarisant» son territoire. Jamais personne n'a osé attaquer une puissance nucléaire, même par des moyens conventionnels. Pour cela, elle cherche à faire croire qu'elle pourrait atteindre des objectifs situés en Asie du Nord-est (Japon et Corée du Sud) et même sur des franges du territoire américain. Elle veut aussi convaincre les dirigeants américains qu'il leur faudra bien un jour accepter le principe de négociations bilatérales. Cette attitude nord-coréenne a toutefois encouragé les éléments les plus durs de l'Administration Bush, qui ont toujours soutenu que les pourparlers à six la Chine, les deux Corées, la Russie, le Japon, les Etats-Unis sur le nucléaire nord-coréen étaient voués à l'échec et que la seule voie possible est de développer plus rapidement la défense antimissiles et de militariser l'espace.
Une évolution inéluctable ?
La militarisation de l'espace s'inscrit déjà dans le temps historique. Les premiers projets américains datent de l'immédiat après-guerre, avant d'être relancés spectaculairement par les présidents Reagan et Bush junior. Les Etats-Unis sont plus convaincus que jamais qu'ils doivent tout mettre en œuvre pour protéger leur population aussi bien contre un missile lancé par erreur par l'un des grands acteurs de l'équilibre militaro-stratégique que face à un missile en provenance «d'un» Etat voyou. D'une façon générale, tout le monde est bien obligé de prendre acte des projets américains qui déterminent en grande partie les paramètres stratégiques au niveau mondial. La défense antimissiles et la militarisation de l'espace risquent de s'imposer non en raison de leur efficacité militaire réelle très discutable mais parce qu'il est fort peu probable que les Etats-Unis y renoncent. Les évolutions technologiques poussent aussi dans ce sens. Ces évolutions rendront de plus en plus difficile de prohiber la militarisation de l'espace, même si la volonté politique existait. Il serait pourtant important de réfléchir et de faire preuve de retenue avant de s'engouffrer dans cette voie. Les Etats-Unis bénéficient aujourd'hui d'une position militaire remarquablement favorable dans l'espace et ils sont capables de préserver cette situation pendant longtemps. Si cette situation venait à changer dans les années à venir, il serait plus important pour eux de «durcir» leurs moyens actuels, c'est-à-dire de mieux protéger leurs moyens de communication et de renseignement plutôt que de menacer les capacités naissantes et fragiles d'adversaires potentiels.
De plus, les évolutions stratégiques et technologiques sont graduelles. Elles ne se présentent pas sous la forme de dangers imminents nécessitant une réponse précipitée. L'image d'un «Pearl Harbor spatial», créée en 2001 par la commission Rumsfeld, est tout à fait exagérée et ne correspond pas à des dangers réels pour les intérêts américains, même à moyen terme. Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays. 6, av. Mathurin Moreau ; 75167 Paris Cedex 19 [email protected] org Abonnements 4 numéros par an 50 euros, Etranger 75 euros.


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