Créé en 1998 par le Programme des Nations Unies pour l'environnement et par l'Organisation météorologique mondiale, le GIEC (ou IPCC en anglais), a pour mission de rassembler les informations scientifiques, techniques et socio-économiques du monde entier concernant les changements climatiques pour en tirer, tous les quatre ans, de nouvelles conclusions. Qu'annoncera la dernière version ? En avant-première, un membre français du GIEC résume : «On sait maintenant de manière certaine que les gaz à effet de serre sont responsables du réchauffement. Les estimations autour des augmentations de température se sont aussi affinées.» Quel sort est réservé à l'Afrique? «Au mois d'avril sortira un autre rapport avec les répercussions du réchauffement spécifiques à chaque continent, ajoute l'expert. Il apparaît malheureusement pour l'Afrique que la sécheresse se confirme, en particulier au Maghreb et en Afrique du Sud.» Lors de la 12e conférence internationale sur le réchauffement climatique organisée en novembre au Kenya, les experts l'avaient déjà souligné : le continent sera lourdement affecté par le réchauffement de la planète. En 2005, des simulations climatiques menées par des scientifiques français de l'Institut Pierre-Simon-Laplace et du Centre national de recherche météorologique avaient déjà permis, pour la première fois, de coupler l'étude des courants atmosphériques, dont on se contentait jusque-là pour élaborer des scénarios, à d'autres données (banquise, rôle de la circulation océanique…) prenant plus largement en compte la complexité du système climatique. Ces simulations avaient également confirmé ce dont les scientifiques se doutaient : les bouleversements qui toucheront l'Afrique, associés aux activités de l'homme sur le continent, pourraient être tragiques pour les pays déjà les plus pauvres. Et il n'est pas uniquement question de désertification. En marge de ce fléau – 700 millions d'Africains seront touchés par la sécheresse d'ici 25 ans si rien ne change –, qui fait toutefois l'objet d'un suivi particulier, de conventions, de politiques de coopération entre les chercheurs de différents pays…, bien d'autres maux guettent le continent. Des espèces amenées à disparaître Une augmentation constante de la température au-delà de 1°C suffira à modifier considérablement les étendues de savanes, brousses, forêts – déjà mises à mal par la pression démographique et la déforestation – ou le comportement migratoire des espèces (oiseaux, poissons…). Un mauvais présage pour le GIEC qui rappelle dans un rapport spécial sur l'Afrique en 2001 : «Bon nombre d'organismes vivant dans les déserts ont déjà presque atteint leur limite de tolérance, et quelques-uns seront peut-être incapables de s'adapter à un climat plus chaud.» Des pluies irrégulières Un des membres français du GIEC, scientifique au Laboratoire de météorologie dynamique du CNRS, confie : «Les travaux ont permis de dégager deux grandes tendances. Les précipitations seront encore plus abondantes là où il pleut déjà beaucoup, et se feront encore plus rares dans les régions déjà sèches. Ensuite, dans les régions intermédiaires, concernées par la mousson, les modèles se contredisent. Certains prédisent que la mousson se déplacera vers le nord, une bonne nouvelle pour les pays du Sahel. Mais d'autres assurent qu'elle n'arrivera pas jusqu'à eux…» Un chercheur, membre du programme AMMA sur la mousson africaine, ajoute : «Les pluies pourraient être plus importantes en Afrique de l'Ouest. Par ailleurs, on s'attend à des changements de saisonnalité, notamment sur le début de la mousson.» Des tsunamis et des tempêtes sur les côtes Les experts annoncent aussi une détérioration de plusieurs zones côtières d'Afrique, consécutive à l'élévation du niveau de la mer (d'environ 25 cm d'ici 2050). Des calculs ont déjà permis de chiffrer l'érosion dans certains secteurs, entre 23 à 30 m par an. Il pourrait en être de même sur tout le littoral ouest et centre (Sénégal, Gambie, Sierra Leone, Nigeria, Cameroun, Gabon et Angola). Des experts américains alertent les autorités des villes comme Banjul, Abidjan, Lagos, Tabaou… toutes situées au niveau de la mer et jugées particulièrement vulnérables aux inondations. «La côte ouest, érodée, risque d'être souvent frappée par des raz de marée et touchée par de violentes tempêtes», estime-t-on au GIEC. D'autres études prévoient aussi qu'une bonne partie du nord du delta du Nil disparaîtra sous l'effet conjugué des inondations et de l'érosion et qu'il s'ensuivra une perte de terres agricoles et de régions urbaines. Des famines récurrentes au Sahel Le rapport spécial du GIEC sur l'Afrique relève : «Presque partout en Afrique, l'exploitation agricole est entièrement tributaire de la qualité de la saison des pluies, ce qui rend ce continent particulièrement vulnérable aux changements climatiques. La fréquence accrue des sécheresses pourrait considérablement amoindrir les disponibilités alimentaires, comme ce fut le cas dans la Corne et le sud de l'Afrique pendant les années 80 et 90.» Le rapport prévu pour avril est tout aussi pessimiste. «Le manque d'eau affectera le bétail, diminuera les terres arables et raccourcira les saisons de pousse et de récolte», révèle un des membres du GIEC. Un réchauffement de 3 à 5 degrés supplémentaires d'ici 2100 aura un impact direct sur les cultures. Par exemple : une diminution de 20% des récoltes de maïs. «L'évaporation – en hausse de 5 à 10% d'ici 2050- constitue un véritable stress pour les plantes qui ne pourront pas s'adapter, prévient Dominique Jolly, chercheur à l'Institut des sciences de l'évolution de Montpellier, spécialiste de l'histoire des écosystèmes en Afrique centrale. Pour les champs de manioc ou de sorgho dans les pays de la bande sahélienne, les rendements sérieusement diminués pourraient conduire à des situations de famine comme en connaît actuellement le Niger.» Des épidémies favorisées «Dans un monde de plus en plus urbanisé, où le climat se réchauffe, les populations de rongeurs, qui servent de réservoirs pour les agents pathogènes, tendront à augmenter, souligne le rapport du GIEC. Les changements de température auront d'autre part sur les insectes ravageurs (tiques, mouches tsé-tsé…) et sur les maladies des effets dont la plupart sont encore inconnus.» Mais si les problèmes s'accentuent avec l'augmentation progressive de la température, ils seront surtout aggravés par des changements d'ordre humain. «L'augmentation incessante de la population, l'urbanisation anarchique qui entraîne un agglutination de populations autour des grandes villes dans des conditions d'hygiène déplorables, l'arrêt des campagnes de démoustication jugées trop onéreuses, et les mouvements de populations fuyant les guerres civiles auront un effet direct sur la transmission, indique Claude Chastel, virologue, membre de la Société de pathologie exotique. La raréfaction de l'eau poussera l'homme à concentrer ses troupeaux autour des rares points d'eau, facilitant ainsi l'éclosion et la transmission de maladies : choléra, fièvre typhoïde, dysenterie bacillaire…» Et tout le problème est bien là. Le climat évoluant naturellement au cours des millénaires, les prévisions n'ont, a priori, rien d'alarmant. Malheureusement, les scientifiques sont unanimes pour affirmer que les changements les plus importants seront induits par l'homme. Ainsi, les nouvelles pratiques culturales se greffant au processus d'aridification naturelle laissent entrevoir les pires scénarios. «Depuis une vingtaine d'années, des puits sont creusés dans les villages pour fournir de l'eau toute l'année, constate Dominique Jolly. Du coup, les éleveurs qui suivaient le front de la mousson se sédentarisent, les troupeaux s'agrandissent et on assiste à une désertification de certaines régions, à l'image de celles s'étalant du Soudan à la Mauritanie. De plus, toutes les manœuvres de l'homme pour canaliser l'eau entraînent une sursalinité favorisant l'assèchement des sols. C'est le cas par exemple à Assouan, où le barrage a supprimé les grandes crues qui lavaient le sol et prévenaient la remontée du sel à la surface.» Dans ce cercle vicieux, les déplacements de populations à la recherche de nouveaux points d'eau seront de plus en plus importants. «On y assiste déjà, relève Alfred N'Gomanda. Doctorant à l'université Paul-Valéry à Montpellier, il a étudié l'impact des changements climatiques sur la forêt du Gabon. Au Nigeria, pour échapper à l'aridification provoquée par la déforestation de la forêt tropicale, les Bantu sont partis s'installer en Afrique Centrale.» Au rang des pays concernés par ces flux migratoires irréversibles : le Niger, le Tchad, le Soudan, le Mali ou encore le nord du Togo. Autant de pays que les catastrophes laissent déjà exsangues.