Kader Abderrahim, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), auteur de L'Indépendance comme seul but, paru aux éditions Paris-Méditerranée. Comment expliquez-vous que le taux de participation en France soit en deçà de celui enregistré en Algérie ? C'était déjà la même chose pour les précédents scrutins. Les Algériens de France vivent dans un environnement de culture démocratique. Et de ce fait, ils sont exigeants et plus regardants sur les pratiques politiques et électorales. Quand ils voient que les jeux sont faits d'avance, ils considèrent que, pour eux, cela n'a pas de sens d'aller voter. La France a longtemps été un refuge pour les opposants aux régimes. Abdelaziz Bouteflika s'est présenté sous l'étiquette de candidat indépendant. En termes d'affichage et d'image, c'est négatif. Il n'assume pas son appartenance au FLN. Depuis octobre 1988, il y a un divorce profond entre les Algériens et leurs dirigeants. Il n'y a pas de médiateurs entre la société et les responsables politiques. Et les partis d'opposition ? La fonction principale d'un parti politique, c'est de parler aux citoyens, de représenter une alternative crédible. Si l'opposition estime qu'elle ne peut pas s'exprimer librement, elle pouvait le faire dans l'émigration et délivrer son message. Le boycott est une erreur politique. Les Algériens qui vivent à l'étranger ne comprennent pas que l'on n'utilise pas le scrutin présidentiel pour faire entendre une voix différente. Louisa Hanoune l'a fait et ses propos ne sont pas particulièrement modérés à l'égard du régime. Un tiers des électeurs a voté mais l'écrasante majorité des votants s'est exprimée pour Bouteflika. Quelle lecture faites-vous de ce choix ? Cela prouve que le FLN et les partis de l'Alliance présidentielle disposent de moyens pour mobiliser leur électorat. Pourquoi Bouteflika mobilise-t-il et non l'opposition démocratique que l'on croyait bien implantée en France et en Europe ? Les jeunes générations d'Algériens ont des problématiques sociales différentes de celles de leurs compatriotes en Algérie. Quand on se fixe quelque part, on fait des choix, une sorte de détachement se produit progressivement. Ce n'est pas facile pour les jeunes nés en France ou qui ont grandi en France ; ils sont déchirés. Sont-ils Français ? Algériens ? Quand ils fondent un foyer, ils se demandent quelle éducation donner à leurs enfants. C'est aussi inévitable que les jeunes se sentent pas concernés ou moins concernés dans la mesure où il n'y a pas d'enjeu, pas de débats contradictoires. Même s'ils conservent un lien affectif avec le pays de leurs parents, ils veulent éviter de vivre dans la schizophrénie. Un candidat a pu participer à l'élection présidentielle, alors que son parti n'est même pas légalisé. Tout cela montre le mépris du peuple. Les Algériens d'ici le ressentent de la même manière. Ils sont solidaires des Algériens du pays. Je vois une preuve de maturité politique dans l'attitude des Algériens de France. Même si l'immigration reste un enjeu, les différents gouvernements qui se sont succédé n'ont jamais mis en place de réelle politique pour leurs nationaux, souvent perçus comme suspects, contrairement au Maroc qui s'appuie très fortement sur sa communauté. Dans son programme de candidat à la présidentielle, Bouteflika fait référence à un conseil consultatif des Algériens résidant à l'étranger... Chadli avait conçu le même projet au milieu des années 1980 et puis l'idée est tombée en désuétude. Le temps politique est un temps lent et long. Ceux qui succéderont à Bouteflika devront faire des réformes structurelles et comprendre que la seule légitimité valable est celle issue des urnes, le récit de l'histoire est destiné à bâtir un projet national, mais il ne peut se substituer à la volonté des peuples.