Bureaux de vote déserts dans la matinée, une affluence timide, sinon exceptionnelle dans l'après-midi, cela n'a pas empêché la Kabylie d'enregistrer une participation autour des 30% (29,36% à Béjaïa et 30,75% à Tizi Ouzou). Même si les agents affectés dans les bureaux de vote ne paraissaient à aucun moment débordés de travail, près d'un électeur sur trois s'est finalement rendu aux urnes, selon les statistiques officielles. Bouteflika à lui seul aura donc fait voter la Kabylie presque autant que le RCD et le FFS réunis, lorsque ces deux partis avaient pris part aux élections locales de novembre 2007, où une participation de 40% avait été enregistrée. Ce taux n'était que de 18,34% lors de la présidentielle d'avril 2004, en dépit de la participation de Saïd Sadi. Le boycott du FFS, joint à celui des archs, avait mené alors à l'abstention de 4 électeurs sur 5. Lors du scrutin de jeudi dernier, le rejet de l'élection exprimé par tous les acteurs politiques de la région (FFS, RCD, archs et MAK) ne s'est pas traduit par une désertion significative des bureaux de vote. Rapporté au taux national de 74,11%, la Kabylie n'a que très modérément participé à l'euphorie électorale décrite par les chiffres rendus publics jeudi soir par l'administration centrale. Les rues de Tizi Ouzou n'ont pas connu de scènes de liesse hier, mais la machine électorale mise en branle par les soutiens de Bouteflika a bel et bien fonctionné. La région se sent étrangère à la victoire, même si elle y a contribué. Des électeurs éprouveraient même la gêne de celui qui a marqué contre son camp, celui de la démocratie et de l'alternance, d'avoir apporté une pierre à l'édifice hideux de l'autoritarisme. La perspective démocratique a été repoussée encore un peu plus. En vérité, ce n'est pas la campagne officielle qui a « payé ». La logistique déployée lors de la campagne présidentielle, dont le caractère monumental affiche une vocation totalitaire digne des régimes révolus, n'a été que la partie visible de l'iceberg. C'est la campagne sournoise, parallèle, faisant peser des pressions individuelles, qui a été déterminante. Même si cette tradition implacable du bouche à oreille ne date pas du dernier scrutin, cela a été l'argument décisif qui a fait sortir l'électeur de sa position d'attentisme. Le cachet du bureau de vote n'a jamais été aussi précieux. Pourquoi se priver d'un atout supplémentaire pour aspirer à plus de considération au niveau des administrations ? La couleur avait été annoncée bien avant le lancement de la campagne électorale et soulignée au fil des meetings et discours. Effacement des dettes, augmentation des bourses, plans de développement spéciaux… Ce qui est valable pour une corporation peut l'être aussi pour un simple citoyen. Un crédit Ansej, une subvention pour l'autoconstruction, un poste préemploi, une demande de pension, le citoyen moyen a toujours un dossier en suspens. C'est à ce niveau que le forcing électoral a opéré, loin des programmes, encore moins des bilans. La Kabylie a donc apporté un peu d'eau au moulin d'un régime qui affiche, au moins, une santé électorale de fer. Mais a-t-elle définitivement déserté le terrain de la protestation politique ? La question choque plus qu'elle n'interpelle ceux à qui elle est posée. « Ses représentants et ses élites sont peut-être fatigués, mais on ne peut pas enterrer le combat de la région. Ce n'est qu'un au revoir », lancent des militants qui se sont mêlés les sigles ces derniers temps. Le coup de fatigue est réel. Karim Tabbou, premier secrétaire du FFS, s'est retrouvé seul face au staff de Bouteflika à Tizi Ouzou. D'anciens militants du combat démocratique ont brillé par leur absence, déchirés entre l'opposition politique et la compromission économique. Beaucoup ont déjà vraisemblablement un pied dans le système, qui sait mener un travail patient avant de refermer le piège. « On ne peut pas décapiter une région même si on récupère quelques têtes connues. L'université reste vitale et dynamique, et c'est de là que partent tous les combats », disent certaines voix qui ne croient pas à l'avènement d'une ère glaciale en Kabylie.