Une interview que le recteur de la Mosquée de Paris a accordée à un magazine israélien, publié en France, SVP Israël, et qui a provoqué de vives réactions. L'interview recueillie il y a plusieurs semaines a été publiée le 1er avril, soit le jour de la prise de fonction en Israël du gouvernement de coalition de droite et d'extrême-droite, dirigée par Benyamin Nétanyahou. Dalil Boubakeur s'en explique. L'interview que vous avez donnée à un magazine de tourisme israélien, SVP-Israël, a suscité une vive polémique au sein de la communauté musulmane. Comment avez-vous été amené à donner cet interview à ce magazine ? J'étais persuadé qu'il s'agissait d'un entretien avec un journaliste qui représente la communauté juive de France, seule avec laquelle j'ai un dialogue et un échange. C'était à l'occasion de la cérémonie d'intronisation du grand rabbin de France, Gilles Bernheim, à la Grande synagogue. Le journal est édité en France et il fait la promotion du tourisme en Israël. Nous ne connaissions pas ce rattachement à Israël, pour nous, c'était un journal français et communautaire. L'objectif de cet interview était de connaître les conséquences du conflit israélo-palestinien sur le dialogue entre juifs et musulmans de France. J'ai rappelé qu'entre les communautés juive et musulmane, nous souhaitons vraiment qu'il y ait un respect et une estime, que nous avons un passé commun, que nous avons beaucoup de choses qui nous ont unis dans le passé ici et dans nos terres d'origine. En travaillant en France, j'ai eu très souvent de bons rapports avec des médecins ou des gens dans le domaine de la médecine ou dans d'autres domaines et qui étaient souvent utiles pour les musulmans. C'est pour cela que j'ai dit lorsque des juifs et des musulmans travaillent ensemble, cela donne de bons résultats. La position de la Mosquée de Paris est une position de dialogue, du vivre ensemble, de recherche des points de convergence entre les communautés qui vivent en France. Il s'est passé des incidents graves à Ghaza qui nous ont amenés, le 15 janvier dernier, à quitter les instances de l'Amitié judéo-musulmane. Devant les excès de l'armée israélienne à Ghaza, nous avons dit qu'on ne pouvait pas continuer un dialogue dans ces conditions-là et nous avons retiré notre participation à ces contacts. Devant l'excès de paroles qui avaient été tenues ici-même en France par des responsables juifs, des mises au point nombreuses nous ont amenés à donner nous-mêmes notre position et notre désir de ne pas voir ni du côté de la communauté musulmane ni du côté de la communauté juive se produire des heurts. Avez-vous retrouvé vos propos dans l'interview rendue publique, notamment ceux relatifs au Hamas (concernant les derniers événements à Ghaza, je crois personnellement que lorsque des organisations comme le Hamas bombardent pendant des années le territoire d'Israël, elles suscitent forcément des réactions d'Israël et exposent les populations palestiniennes à des représailles. Ce qui est irresponsable et très dangereux) ? Non, j'y ai vu une orientation politique qui m'a déplu et que je ne voulais pas donner à mes propos. Mes paroles on les a fait déborder et détourner de leur sens, on leur a donné un sens politique qui n'est ni dans mes intentions ni dans la nature de ma fonction qui ne concerne absolument pas la politique. Pour moi, la limite, c'était le terrain communautaire en France. Mon intention était de dire mon attachement à la Palestine, ma pitié du peuple palestinien et notamment des enfants pour qui nous avons envoyé d'ici bien des dons, des aides. Moi je souhaite que tout soit fait pour protéger les populations. Je vous renvoie à nos communiqués du 29 décembre 2008 et du 12 janvier 2009, notamment. Qu'il y ait eu des paroles de sympathie pour les juifs, pour ce qu'ils font, je veux bien le reconnaître, le reste a été un peu extrapolé, exagéré. Ma pensée a été complètement débordée par le journaliste et les interprétations données dans cette interview et les commentaires qui en ont été faits ne correspondent pas du tout à ma pensée profonde, qui est une pensée de soutien au peuple palestinien, je suis Arabe, je n'ai aucune tendance à me substituer à une autre race ou à une autre religion, je suis tout à fait conscient de ce que je dis. Je dis à nos sœurs et frères musulmans de France que nous devons tenir compte de notre vie avec une autre communauté, importante en France, qui est la communauté juive et avec laquelle nous partageons des liens de cousinage. C'est pourquoi, nous avons créé à Paris une Fraternité d'Abraham, un Dialogue judéo-musulman, une Amitié judéo-musulmane. Nous voulons être un facteur d'apaisement et nous ferons tout pour apaiser la situation, quelles que soient les circonstances et les difficultés. Je l'ai dit au président Sarkozy, lors de la présentation des vœux de la nouvelle année. Vous voyez que les difficultés sont grandes pour faire entrer un peu de paix dans le cœur des uns et des autres et que la politique, la polémique, les mauvaises intentions sont toujours prêtes à faire sauter ce fragile équilibre de paix entre les communautés. Mon seul rôle ici est d'être une parole de paix, que ce soit dans mes rapports à l'intérieur de ma communauté ou avec les autres communautés. Quelle est votre réaction aujourd'hui ? J'ai fait un communiqué le 4 avril dans lequel je conteste catégoriquement les propos qui m'ont été attribués. Nous n'avons vis-à-vis de la Palestine absolument aucune restriction ni dans le soutien, ni dans la fraternité, ni dans la défense et nous continuerons à souhaiter la création d'un Etat palestinien viable reconnu par la communauté internationale et qui permettra l'avènement d'une ère de justice, de dialogue et de paix. Vous n'avez pas demandé une mise au point au journal ? J'ai chargé les conseils de la Grande Mosquée de Paris, Me Hafiz et Me Spiner, d'examiner la question. La fédération de la Grande Mosquée de Paris a gelé sa participation au bureau du CFCM. Que reprochez-vous exactement au CFCM ? Notre présence dans le bureau du CFCM a été discutée, négociée avec les plus hautes autorités de France, en particulier avec l'Elysée. Compte tenu des critères qui ont été mis en place pour l'élection du CFCM, nous étions devenus une partie très faible (16% de l'électorat), alors que d'autres organisations, notamment marocaines avaient 60%, et pourtant les deux communautés, par le nombre de croyants, sont à peu près équivalentes. Les critères étant injustes, nous voulions simplement participer au plus haut niveau du CFCM et non pas aux élections régionales. Ce qui a été fait. Nous avions trois membres dans le bureau d'un CFCM entièrement dominé par les autres formations. Dans cette participation symbolique, nous avions demandé que les critères de représentation soient revus et corrigés. Aujourd'hui, le travail sur ces critères semble être en stand-by. Que préconise la Grande Mosquée de Paris ? Nous préconisons un correctif de ces critères qui donnent à la communauté que nous représentons, essentiellement d'origine algérienne, son équilibre avec les autres communautés. Nous représentons une immigration ancienne, historique, remontant au XIXe siècle, implantée surtout dans les villes où les surfaces de prière sont petites, mais où il y a beaucoup de monde. Alors que les nouvelles immigrations vont dans les campagnes, les banlieues où il y a beaucoup de surfaces et peu de monde. La Grande Mosquée de Paris a toujours réclamé des critères théologiques, soit l'affluence dans les mosquées le vendredi, la présence d'imams titulaires, l'enseignement. Nous préconisons 50% de cooptation et 50% d'élection. C'est-à-dire des quotas ? Nous voulons une représentation paisible des musulmans de France, nous souhaitons que la présidence ne soit pas l'objet d'une telle compétition ou de combines politiques ou autres, mais de convenir d'une présidence tournante qui ne donne pas aux élections ce caractère de confrontation et de prise de pouvoir. L'Islam est une religion de paix, une religion qui cherche à diffuser la fraternité islamique entre tous les musulmans et l'amitié entre les musulmans et les autres, mais introduire la confrontation à l'intérieur de la communauté musulmane, c'est introduire la fitna. Laisser aux musulmans le soin de gérer eux-mêmes leur pratique religieuse. L'Islam algérien est-il sorti des caves et des garages ? Il est en bonne voie, mais ses moyens sont très limités. Le ministère des Affaires religieuses algérien apporte des aides concrètes, financières à beaucoup d'associations pour construire des mosquées. Et cette aide est tout à fait nécessaire et à sa place .