La «femme de plume» alternait avec talent travellings extérieurs et portraits, entretiens intérieurs pour écouter, recueillir, transmettre les récits de vieilles femmes, la mémoire orale de sa région natale. Dans cette œuvre, mélange de fiction et de documentaire, pleine d'émotions, de tendresse mais aussi d'inquiétude lorsqu'on évoque la période tragique de la guerre et de l'occupation coloniale, Assia Djebar est entrée dans l'intimité quotidienne de femmes qui lui sont familières, six femmes dont l'une est une cousine de sa mère. C'est une chronique à plusieurs épisodes, docu et fiction, racontée comme une nouba musicale. Le spectateur est suspendu au va-et-vient d'une autre femme d'une autre génération entre le Chenoua et Cherchell. Il s'agit de Lila, une architecte jeune encore, partie il y a 20 ans et qui revient dans sa région natale pour découvrir tous ses secrets perdus. Lila écoute, regarde le paysage, tout un enchaînement de choses qu'elle a perdues. En même temps, Assia Djebar met à plat une autre histoire : celle de Lila avec son mari, un vétérinaire victime d'un accident et immobilisé. Le couple est en crise. Mais ça s'arrête là. Cette histoire n'a rien d'un mélo égyptien. La caméra glisse vite sur ça. Le fond de l'histoire est exclusivement dans les récits des femmes du Mont Chenoua. Comme la nouba andalouse, Assia Djebar a construit son film en six mouvements. Chaque mouvement (ou partie de l'œuvre) est séparé des autres et peut être joué ou monté séparément. La Nouba des femmes du Mont Chenoua a été fait pour la télévision algérienne. Le film pouvait donc être montré par épisodes. La très vive singularité de cette œuvre, rehaussée aussi par une musique de Béla Bartok qui a vécu en Algérie, a été saluée avec enthousiasme dans les plus grands festivals, à la Mostra de Venise, au Festival de Berlin et en Amérique. Assia Djebar était chaque fois repartie avec des honneurs pour ce travail radicalement différent de ce qu'on voyait d'ordinaire sur les écrans. Encore une fois, les années 1970-80, c'était le bel âge du cinéma algérien. La télévision du boulevard des Martyrs produisait beaucoup et tous ses films frappaient fort et juste. Sans doute les exigences des cinéastes de cette époque-là ne sont plus les mêmes aujourd'hui. Il y avait des esthètes, aujourd'hui il n'y a plus que des fabricants.