Monument de la littérature féminine algérienne d'expression française, Assia Djebar le restera même après sa mort survenue vendredi, à Paris, des suites d'une longue maladie. En septembre 2013, l'académie suédoise chargée de remettre, comme chaque année, le prix Nobel de littérature, décernait la prestigieuse distinction à la Canadienne Alice Munro. Assia Djebar dont le nom avait été cité avec beaucoup d'insistance par les pronostiqueurs s'était, comme en 2012, «fait ravir» le prix, alors qu'elle en avait tout le profil et surtout le mérite. Naissance à Cherchell... De son vrai nom Fatima-Zohra Imalayène, Assia Djebar voit le jour le 30 juin 1936, à Cherchell, superbe ville côtière, à l'est d'Alger, marquée par une histoire riche. La famille Imalayène fait partie de la petite bourgeoisie traditionnelle algérienne. Son père, Tahar Imalhayène, originaire de Gouraya, est instituteur (issu de l'Ecole normale musulmane d'instituteurs de Bouzaréah). Quant à sa mère, Bahia Sahraoui, elle appartient à la famille berbère des Berkani (issue de la tribu des Aït Menasser du Dahra). C'est à Mouzaïa ville (Mitidja) que Fatima Zohra passe son enfance. Inscrite à l'école française, puis dans une école coranique privée, elle apprend à manier les deux langues dont elle va se nourrir. A l'âge de 10 ans, elle rejoint le collège de Blida, en section classique (Grec, latin, anglais). Brillante élève, elle obtient son bac en 1953, puis elle entre en hypokhâgne au lycée Bugeaud (aujourd'hui lycée Emir-Abdelkader) à Alger, puis, une année plus tard, elle est admise en khâgne à Paris (lycée Fénelon). A partir de 1955, elle est pensionnaire de l'Ecole normale supérieure de jeunes filles de Sèvres où elle opte pour l'étude de l'Histoire (Moyen Âge arabe et Maghreb du XIXe siècle), sous la direction de Louis Massignon et Jacques Berque. Cependant, la guerre d'Algérie faisant rage depuis déjà deux ans, Fatima Zohra ne passe pas ses examens, en raison de la grève des étudiants. Passionnée d'écriture, la jeune fille choisit de noircir les pages à ses heures perdues. Il en résulte un premier roman, écrit en deux mois, intitulé «La soif», publié en 1957 aux éditions Julliard. Fatma Zohra prend le pseudonyme d'Assia Djebar à cause de ses parents et à cause de l'administration de l'Ecole. En 1958, elle déserte les bancs de l'école, se marie avec l'écrivain algérien Walid Garn (pseudonyme d'Ahmed Ould-Rouis). Avant de quitter l'Hexagone en 1958, elle sort chez le même éditeur «Impatients». Avec son époux, elle va vivre en Suisse puis à Tunis, où elle travaille comme journaliste, collaborant avec Frantz Fanon. Dès 1959, elle s'inscrit à la Faculté de lettres de Rabat où elle étudie et enseigne l'histoire moderne et contemporaine du Maghreb. Elle ne regagne l'Algérie que le 1er juillet 1962. C'est cette même année qu'elle écrit «Les Enfants du Nouveau monde» (Julliard). Elle enseigne l'histoire à l'université d'Alger, jusqu'en 1965, année où l'enseignement de l'histoire et de la philosophie est dispensé en langue arabe. Puis, à partir de 1974 et jusqu'en 1980, elle est professeur de littérature française et de cinéma. Alors qu'elle effectuait des allers et retour entre Paris et Alger depuis 1966, elle est de retour dans la capitale algérienne dès 1974, pour enseigner à l'université les études francophones. C'est en parallèle à son poste d'enseignante qu'elle décide de se lancer dans la réalisation de d'un long métrage semi-documentaire, dont l'idée lui est venue après des séjours dans sa tribu maternelle des Berkani. Là, elle y a interrogé la mémoire des paysannes sur la guerre, y a intégré des épisodes dans «La Nouba des Femmes du Mont Chenoua», long-métrage de deux heures, produit en arabe et en français par la télévision algérienne, sur une musique de Béla Bartok. Présenté à Carthage en 1978, puis à la Biennale de Venise, en 1979, il obtient le Prix de la Critique internationale. Continuant son travail de mémoire, elle met en boîte un second long métrage documentaire, «La zerda et les chants de l'oubli» présenté en 1982, par la télévision algérienne et primé en 1983 au Festival de Berlin, dans la catégorie «Meilleur film historique». Nommée directrice du Centre d'études françaises et francophones de Louisiane aux Etats-Unis, elle occupe ce poste entre 1995 et 2001, entre-temps, en 1999, elle est élue membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Depuis 2001, elle est enseignante au département d'études françaises de l'Université de New York. Le 16 juin 2005, elle est élue au fauteuil 5 de l'Académie française succédant à Georges Vedel, et y est reçue le 22 juin 2006. Une œuvre prolixe et des distinctions Traduite en 21 langues, Assia Djebar a écrit plus d'une dizaine de romans (L'Amour, la fantasia, 1985, Ombre sultane, 1987, Loin de Médine, 1991, Vaste est la prison, 1995, La Femme sans sépulture, 2002, La Disparition de la langue française, 2003, Nulle part dans la maison de mon père, 2007), récit (Le Blanc de l'Algérie, 1996), nouvelles (Femmes d'Alger dans leur appartement, 1980), poésie (Poèmes pour l'Algérie heureuse, 1969), essais (Ces voix qui m'assiègent : En marge de ma francophonie, 1999), théâtre (Rouge l'aube, théâtre, 1969), cinéma (La Nouba des femmes du Mont Chenoua, 1978 et La Zerda ou les chants de l'oubli, 1982). Assia Djebar recevra tout au long de sa carrière des dizaines de distinctions Prix Marguerite Yourcenar à Boston, International Literary Neusdadt Prize, Etats-Unis, Prix de la paix des libraires allemands, Francfort, Prix international de Palmi, Italie, Prix international Pablo Neruda, Italie, Docteur honoris causa des universités de Vienne (Autriche), de Concordia (Montréal), d'Osnabrück (Allemagne), Commandeur des Arts et des Lettres, Chevalier de la Légion d'honneur (France). Assia Djebar fut et restera l'un des auteurs les plus influents de tout le Maghreb. Paix à son âme.