La place royale qu'elle s'est offerte sur la scène littéraire universelle grâce à une profusion romanesque rarement vue chez un auteur algérien a poussé Assia Djebar à mettre ses œuvres au profit d'un cinéma national déjà au firmament de sa notoriété. Un peu plus d'une année après la Palme d'or obtenue au Festival de Cannes (1975) par Mohamed Lakhdar Hamina pour « Chronique des années de braise », l'écrivaine a, contre toute attente, choisi le langage cinématographique pour raconter ses œuvres littéraires. Ne craignant pas la rivalité des seigneurs du septième art algérien, dont Hamina, Ahmed Rachedi, Slim Riad, Mohamed Zinet, Mohamed Bouammari et bien d'autres, qui incarnaient toute la substance, elle entame, bille en tête, en 1976, son premier film « La Nouba des femmes du mont Chenoua » qui fit découvrir au monde, sa passion et surtout son talent à manier l'image et le son. Son parcours dans les rangs de la Révolution à Tunis et son amour éternel pour sa terre natale, Cherchell, perle de la terre chenouie, ont, de toute évidence, présidé à la réussite de ce long métrage produit par la Télévision algérienne et sorti dans les salles en 1978. « La nouba des femmes du mont Chenoua » met en scène le retour de Leïla, ancienne résistante libérée à la fin de la guerre de Libération nationale, à la maison de son enfance. A 30 ans, architecte et épouse d'un homme immobilisé dans un fauteuil roulant suite à un accident et avec qui elle a eu une fille, elle part à la recherche de témoignages sur la disparition de toute sa famille pendant la Révolution. Questionne les femmes et les saisonnières des coopératives, les femmes qui furent engagées dans la résistance avec qui elle découvre les affres de la guerre et les histoires ancestrales de la région. Ce premier film de l'écrivaine est une fiction greffée d'images documentaires et de renvois à son travail littéraire. Pendant deux mois pour préparer le film, la réalisatrice rencontra les femmes de la région de Chenoua à une centaines de kilomètres à l'ouest d'Alger. Elle voulait traduire, lit-on dans une notice publiée dans le « Dictionnaire du cinéma algérien » d'Achour Cheurfi, à travers ce film, les voix, les cris et les chants des femmes et mettre en lumière la mémoire dont elles étaient gardiennes. « La cinéaste a essayé de construire une architecture cinématographique où des sons et de la musique deviennent des éléments centraux et signifiants du film, structuré en forme de la nouba andalouse, à laquelle elle a ajouté les morceaux de Bela Bartok (qui séjourna en Algérie en 1913) », poursuit l'auteur. Premier film, premier succès. Elle obtient en 1979 le prix de la critique internationale à la Biennale de Venise. Elle remet ça, quatre ans plus tard, en réalisant un film documentaire à caractère historique et musical, « La zerda et les chants de l'oubli ». Un montage à partir d'archives, de la mémoire et de l'histoire sur le Maghreb colonial qui reposait, d'un côté, sur la séparation entre les images exotiques par les forces coloniales afin de fêter et d'applaudir les visites des politiciens français, et la réalité vécue par la population autochtone évoquée dans la bande sonore, de l'autre. « Pourquoi, à un certain moment de mon trajet, suis-je allée au travail de cinéma ? Plutôt que de dire le cinéma, je dirais l'image-son. Ce n'est pas abandonner le mot pour l'image mais effectuer un retour aux sources du langage », plaidait-elle.