La cérémonie de la troisième prestation de serment de Bouteflika que les Algériens ont suivie à la télévision aura été plus « fastueuse » que les précédentes. Le décor ambiant, l'atmosphère, la solennité de l'événement, les couleurs, l'interminable tapis rouge, tout était étudié pour donner au rendez-vous du Palais des nations une tonalité, une intensité politique à la dimension d'une réélection qui a défié tous les pronostics en matière de participation et de suffrages exprimés, même si personne ne doutait un seul instant de la victoire finale de celui qui a dû forcer le destin pour rester à son poste en prenant le risque historique de procéder à la révision de la Constitution. Bouteflika a donc sauté le verrou constitutionnel de la limitation des mandats présidentiels, introduit par son prédécesseur Liamine Zeroual, pour rendre efficient le processus de l'alternance au pouvoir, et d'aucuns pourraient comprendre l'absence très remarquée, pour une question de principe, de ce dernier à la cérémonie d'investiture, le seul chef d'Etat manquant à l'appel, une absence au demeurant qui a été ressentie comme une fausse note dans une partition qu'on voulait réglée comme du papier à musique. Curieusement, dans une ambiance qui devait être festive, les quatre hommes qui ont régné sur l'Algérie à des époques et des conjonctures différentes, en l'occurrence Ben Bella, Kafi , Bendjedid et aujourd'hui encore Bouteflika, avaient des visages fermés. L'émotion a-t-elle à ce point crispé les mines ?... Peut-être. Celle en tout cas du nouveau-ancien président de la République paraissait en décalage avec le caractère d'un triomphe électoral qui devait se terminer en apothéose, au moins avec quelques sourires... Mais qu'à cela ne tienne, face aux grands défis qui l'attendent dans une Algérie en proie au désespoir, qui n'arrive pas à trouver sa juste concordance entre ses richesses naturelles et la vitalité de son peuple, ce sont les engagements de Bouteflika qui comptent le plus pour l'opinion publique. A ce titre, parmi les nombreuses promesses qu'il a faites pour améliorer le statut social et le niveau de vie des Algériens, celle qui a trait à la libre expression et à la liberté de la presse a paru la plus percutante, mais en même temps la plus irréelle pour qui connaît les marques de mépris subies jusque-là par la presse, notamment la presse indépendante. Le Président s'est donc, devant des millions d'Algériens, avancé à faire le serment de respecter la liberté de la presse « qui participe, dit-il, essentiellement de notre projet démocratique » et, mieux, à agir pour faciliter davantage encore et à tous les égards l'exercice et le développement de la profession. Dans la lancée, il s'est engagé à ouvrir aux créateurs et aux artistes des espaces publics au débat libre et à la libre expression. Pris à la lettre, le discours du Président doit normalement nous mener à penser que désormais la presse nationale, celle particulièrement qui est critique vis-à-vis du Pouvoir, ne pourrait plus faire l'objet de persécution ni de chantage. Si elle représente, comme le déclare Bouteflika, un segment clé de la construction démocratique du pays, elle doit donc avoir la pleine liberté de s'exprimer sans craindre pour sa survie. En parallèle, les journalistes qui tiennent à leur éthique professionnelle et refusent par conséquent de faire le jeu des compromissions, ne doivent plus connaître le harcèlement judiciaire qui demeure comme une épée de Damoclès sur leur tête. Admettra-t-il, enfin, que c'est à la presse que revient le quatrième pouvoir, après l'exécutif, le législatif et le judiciaire, et que sans la liberté de la presse, tout projet démocratique est voué à l'échec ? A vrai dire, nourri au concept d'un pouvoir unique, Bouteflika n'a jamais accepté l'idée de partager avec quiconque la moindre petite parcelle de son pouvoir, encore moins avec la presse qu'il a connu aux ordres. A son retour aux affaires, il s'est toujours arrangé pour entretenir des rapports plutôt conflictuels avec la presse indépendante. C'est d'ailleurs l'un des rares présidents au monde qui refuse de communiquer avec cette dernière. Bouteflika a-t-il pris conscience que le monde a changé et qu'il est temps de reconsidérer le rôle de la presse dans le seul intérêt de la réussite du projet démocratique qui conditionne aussi bien le développement économique que la promotion sociale des Algériens ? L'avenir nous dira si c'est un changement de cap salutaire ou bien une simple intention démagogique qui sera vite rattrapée par la réalité du système. Bouteflika a promis d'ouvrir des espaces pour le débat libre, et on ne peut s'empêcher de croire que si tel est son objectif réel, il doit commencer par libérer le champ de l'audiovisuel réclamé depuis longtemps par l'opposition politique. Il n'a qu'un geste à faire pour entrer dans l'histoire et le paysage médiatique s'éclaircira... Alors on prend acte !