Les classements «2007» des plus brillantes universités dans le monde, conçus par le très sérieux Observatoire des activités académiques et scientifiques et de publications sur le web (Webometrics) et l'Institut d'enseignement supérieur de l'université Jiao Tong de Shanghai, font en effet peu cas de l'université algérienne. Au top 100 de Webometrics world ranking, l'Algérie est représentée au classement par continent par l'université de Tlemcen qui occupe la 39e place, suivie de Batna (48e), l'université de Boumerdès à la 69e place, alors que l'université de Bab Ezzouar (sciences et technologie), le fleuron national, est vouée à la 72e place, suivie de l'université de Blida à la 74e place. Le Maroc, la Tunisie, l'Egypte, la Tanzanie… et autres Sénégal passent devant et raflent les meilleures places. L'Afrique du Sud, à elle seule, a réussi à placer 8 universités aux premières loges. Au classement international, les chances pour l'Algérie d'y figurer étaient pour ainsi dire nulles. Sur les 1000 établissements universitaires en lice, aucune université algérienne n'a eu droit de cité. Une bérézina confirmée par une autre étude réalisée par l'université de Shanghai et réactualisée chaque année. Sur les 7000 universités en concurrence, l'université algérienne arrive à la 6995e position ! Une bien piètre prestation qui rappelle, si besoin est, la dure réalité que vit notre université. Pour l'ancien porte-parole du Cnes, Adel Abderrezak, un tel classement illustre parfaitement la «crise structurelle» que traverse depuis les années 1980 l'université algérienne. «Entre la 39e place de l'université de Tlemcen et la 93e de l'INI sur les 100 universités classées dans le continent africain, il y a vraiment matière à réfléchir et à vite réagir», estime-t-il. Ghalam Allah Mohamed, enseignant en sociologie à la faculté de Bouzaréah et chercheur associé au Cread, converge dans le même sens. «On est au mauvais rang dans tous les classements : en bibliométrie, dans la recherche…, loin derrière nos voisins directs alors que notre potentiel est beaucoup plus important», dira-t-il. Selon lui, il y a une convergence de toutes les évaluations, quels que soient les critères utilisés pour concevoir ces classements. Des évaluations qui ont pour critères la taille des établissements, le pourcentage d'articles publiés dans les vingt titres les plus reconnus dans un domaine précis, le nombre de professeurs ou d'anciens élèves ayant reçu un prix Nobel (ou la médaille Fields pour les mathématiques), la part des dépenses consacrées à la recherche ainsi que le nombre d'enseignants figurant parmi les auteurs les plus cités, et aussi et surtout le nombre de citations d'articles dans les revues scientifiques. «Notre niveau de recherche, explique le chercheur, est trop faible pour cause de désorganisation et de manque de visibilité et la dernière évaluation des universités se base sur les publications aussi bien intérieures qu'extérieures.» Le sociologue Omar Lardjane déplore, pour sa part, l'absence d'un classement «national des universités». «C'est un facteur stimulant», plaide-t-il. «Or, chez nous, cela ne se fait pas. Il y a une incapacité à mettre en valeur l'université algérienne, à distinguer ce qui est bon de ce qui l'est moins.» «On n'arrive pas à créer des réseaux de chercheurs qui travaillent ensemble et qui aient une capacité de recherche collective. Il n'y a pas de visibilité, pas d'organisation», explique Ghalam Allah. Enseignant à l'université de Khenchela et ancien porte-parole du CNES, Adel Abderrezak, y voit une réalité «complexe» et «désespérée». Une démographie étudiante qui approche le million qui fait peur alors que c'est un atout. Un système d'enseignement basé sur trois systèmes d'études et de diplômes, le LMD, le système de la licence classique et le système d'études dans les filières médicales supposées protégées. Un corps enseignant (18 000 universitaires environ) dont une part importante a atteint l'âge formel de la retraite et avec un déficit de 15 000 enseignants. Un corps enseignant dévalorisé, déstructuré et fonctionnarisé à outrance, assurant souvent une fonction de garderie universitaire au regard du peu de motivation des étudiants désespérés par le peu d'horizons professionnels. Une recherche universitaire «dépensière» construite autour du consommable et d'inflation de laboratoires (près de 400) où ni pensée critique ni recherche appliquée ne sont vraiment présentes. Une soixantaine d'établissements universitaires où des universités régionales souffrent du poids des structures, des effectifs et d'une administration omnipotente et des centres universitaires qui restent ligotés par le «localisme social» et qui «se scolarise à outrance». Bref, le tableau est des plus noirs. Une situation d'échec qu'exacerbe, selon les universitaires, une gestion aléatoire de la sphère universitaire et la mauvaise gouvernance. L'administration…au pouvoir ! Pour Ghalam Allah, l'université souffre d'abord à cause de ses gestionnaires. «Le plus grand malheur de l'université, dit-il, lui vient du fait qu'elle n'est pas gérée par les universitaires.» L'université, explique-t-il, ne peut pas fonctionner avec une «structure autoritaire, pyramidale, hiérarchique, cela ne peut pas marcher». C'est un problème qui relève de «l'intelligence collective». «La fourmi est un insecte qui a le système nerveux le plus rudimentaire, le moins intelligent. Un groupe isolé ne peut pas survivre parce que pas assez intelligent pour résoudre les problèmes simples de la survie, mais la fourmilière, espace où se développe l'intelligence collective, peut résoudre les situations les plus complexes», imagera le chercheur. Dans les années 1960-70-80, indique Omar Lardjane, le corps administratif était «minimal». «Ce sont les enseignants, dit-il, qui assuraient l'encadrement administratif, la gestion des examens et tous les aspects pédagogiques. Or maintenant, il y a un corps qui s'est constitué, avec un effectif pléthorique, des tâches qui sont parcellisées alors que les besoins en la matière ne sont pas de la même grandeur.» Le nouveau rapport des forces, favorable à l'appareil administratif fait que, selon le sociologue, il y a actuellement un «accaparement de la gestion administrative et pédagogique des cursus des étudiants», favorisé par «l'importance des flux d'étudiants, la désorganisation et la marginalisation du corps enseignant». Les recteurs ou les doyens ne doivent pas être un relais de l'administration, estime Ghalam Allah. «Actuellement, déclare-t-il, les directives prises au ministère sont appliquées tout le long de la chaîne à des réalités très complexes. Ce n'est pas avec des règlements uniformes qu'on gère l'université. Pas dans une logique quantitativiste. Mais plutôt dans la recherche de la qualité, de la décentralisation et du respect de l'autonomie de l'institution universitaire.» Parking pour chômeurs diplômés A la genèse de la crise, dissèque Omar Lardjane, on retrouvera la «conjonction» de deux éléments déterminants qui ont phagocyté l'université. D'abord, les flux importants d'étudiants et l'arabisation entamée durant les années 1980. La «grande réforme» appliquée au début des années 1970 du temps du défunt ministre Seddik Benyahia a vite créé des déséquilibres, en cela que la réforme n'anticipait pas les flux qui allaient pénétrer l'université dix ans après. «C'était une réforme, commente-t-il, assez sophistiquée qui correspondait plus à une université de haut niveau, de pays développé, avec des méthodes pédagogiques d'encadrement assez complexes.». Autre facteur aggravant : le départ massif des coopérants étrangers. La politique «d'algérianisation» de l'enseignement a eu, selon le sociologue, un effet ravageur sur l'université. «Le corps des assistants est vite devenu prépondérant, car il fallait remplacer les partants.» D'après Ghalam Allah, le corps permanent des enseignants ne renferme actuellement que 15% de docteurs. «Ailleurs, précise-t-il, le corps permanent est formé en totalité de docteurs. On est donc en présence d'un corps sous-qualifié par rapport à la norme internationale.» «Les années 1980 verront l'arrivée, poursuit Omar Lardjane, des ‘'premières promotions arabisantes”.» Une «arabisation mal faite», «exclusive» et qui a «disqualifié tout un corps d'enseignants» incapables d'enseigner en arabe. «Ils finiront soit par abandonner comme pour certains alors que d'autres ont été contraints à suivre sans pouvoir pour autant transmettre efficacement leur savoir.» «C'est impossible, souligne-t-il, d'être étudiant aujourd'hui quand on est monolingue arabophone», car les «sources de la connaissance ne sont pas en arabe ou très peu de choses». «Être monolingue arabophone et faire des études supérieures, c'est une supercherie.» Désuet, désorganisé et sous-encadré, l'enseignement supérieur tel qu'il est dispensé actuellement n'est pas en mesure, selon le sociologue, de former des cadres de haut niveau. «A part quelques écoles anciennes, polytechnique, institut d'agronomie… qui continuent malgré la dégradation ambiante sur leur trajectoire d'avant», la dégradation de la qualité de la formation est désormais une réalité incontestable. Même les dirigeants du pays s'en plaignent. Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique déclarait, en 2005, lors de l'installation du Conseil de l'éthique et de la déontologie : «Il ne s'agit plus de faire dans la quantité mais dans la qualité. Le niveau des étudiants a baissé. Nous n'arrivons plus à les placer sur le marché du travail. Les secteurs d'activité nous reprochent de ne pas mettre à leur disposition des diplômés qualifiés.» Chaque année, selon le responsable de la communication au ministère, Ben Hamouda, l'université «lâche dans la nature» entre 120 000 à 150 000 diplômés, sans réelles perspectives d'insertion dans la vie active. L'université est devenue pour certains un «parking pour chômeurs diplômés». «Ceux qui sortent aujourd'hui des universités, je parle des filières des sciences humaines, ne disposent pas tous des pré-requis pour continuer à accumuler le savoir, pour faire face à des situations, analyser, car l'enseignement est basé sur la mémoire, sans contact avec la vie», affirme Omar Lardjane. Université, le vase clos Adel Abderrezak appréhende cette question différemment. Il estime que la première fonction de l'université est d'enseigner les fondamentaux de la connaissance et de la vie, qui permettent au jeune scolarisé de mûrir avec un SMIC, scientifique, culturel et intellectuel, qui le rend apte à la vie active et sociale. «L'université, corrige-t-il, n'est pas un centre de formation professionnelle et sa fonction diplômante n'est pas de caser ses diplômés ni de professionnaliser ses diplômes à tous les niveaux.» Pour lui, l'université n'est pas directement responsable de la réalité du marché du travail. «La sous-qualification des universitaires, ajoute-t-il, bien qu'elle soit réelle, ne doit pas être décontextualisée.» Celle-ci, argumente le syndicaliste, est liée au «niveau dérisoire des salaires», à la démotivation, la «désintellectualisation» de la société et de ses élites, la faiblesse tragique de la lecture, de l'écriture et de l'édition et le fonctionnement bloquant des universités. «Nos diplômes ne sont pas crédibles», juge pour sa part Ghalam Allah. La raison en est, selon lui, le fonctionnement en vase clos de l'université. «Nous dispensons un enseignement vieux de 20 ans et nos universités sont déconnectées en matière de recherche du savoir universel.» Il ne s'agit nullement, précise-t-il, d'un problème lié à la disponibilité des moyens matériels et financiers. «Nous ne consommons que 0,2% du budget alloué à la recherche.» «L'université algérienne a perdu sa vocation de lieu où circule le savoir contemporain», soutient Omar Lardjane, et «la contribution des chercheurs algériens n'est plus en phase avec la réalité scientifique internationale (…) Si on fait les comptes, on se rendrait à l'évidence que la moisson est bien maigre». «Combien de cadres universitaires algériens en liaison avec des centres de recherche, combien sont-ils à participer à des colloques…?», s'interroge-t-il. LMD, la solution miracle ? «L'université déborde sur sa droite. Elle ne peut plus vivre en vase clos», déclarait M. Harraoubia en 2005. Des projets annoncés en grande pompe depuis deux ans ne subsistent que les intitulés. Les semblants d'ouverture prônée par les pouvoirs publics : création de pôles d'excellence pour capter les compétences algériennes en exil, les grandes écoles, attendent qu'ils soient traduits dans la réalité. La «réforme» actuellement en cours, le système LMD appliqué depuis une année dans 29 universités, est appelée à être généralisée progressivement. Loin de faire l'unanimité auprès de la communauté universitaire, le système en question est présenté comme la solution miracle à la crise multidimensionnelle qui ronge l'université. Selon Omar Lardjane, cette réforme LMD «ne résoudra aucunement les problèmes de fond que pose l'université et à peine si elle répond à la question des équivalences et de mise à niveau des diplômes conformément aux normes internationales». Il s'agit là, selon Adel Abderrezak, d'un coup de force des pouvoirs publics pour imposer une réforme qui a réussi à éluder toutes les questions de fond, comme la définition du profil scientifique et intellectuel de l'étudiant, la question de l'arabisation et des langues d'enseignement, la question de la gestion démocratique de l'université, le statut spécifique de l'enseignant-chercheur, la place de l'université dans l'économie et la société.