Si le livre de Yasmina Khadra L'attentat a une certaine épaisseur avec diverses lectures dans la description de la descente aux enfers subi par un médecin arabe israélien pris dans la tourmente du drame palestinien, Sadma de Mourad Senouci, adaptée de l'œuvre sus indiquée et montée par Ahmed Khoudi pour le compte du Théâtre régional d'Oran, avance à grands pas pour ne s'attarder que sur le « prétexte » déclencheur de l'histoire narrée. Un prétexte lié au « choc » reçu par le médecin en question, rangé à tous points de vue, après avoir découvert que sa femme, auteur de l'attentat qui a ciblé un lieu public fréquenté par des enfants israéliens, s'est faite exploser d'abord et avant toute chose pour la Palestine. Dès le départ, le spectateur de cette générale, qui s'est déroulée dans la salle du théâtre régional Abdelkader Alloula, est convié beaucoup plus à une lecture préétablie qu'à un accord pour visiter l'œuvre de l'auteur de A quoi rêvent les loups. Ce choix a priori délibéré règle, il est vrai, un point de l'histoire, mais ne règle pas toute l'histoire. On aura compris que Sadma apparaît, après le premier quart d'heure, comme un solide et sincère appui à la cause palestinienne. Les gros sabots de l'adhésion frappent un peu trop dur, un peu trop voyant. Alors que les thèmes des allers et retours entre devoir et culpabilité, choix des hommes et choix de la terre, aspirations humaines et aspirations nationales, égoïsme et générosité, ambivalences et cris étouffés sont présents d'un bout à l'autre dans l'œuvre de Yasmina Khadra. dans l'adaptation, ils sont mis en retrait pour ne pas dire évacués ici et là dans une mise en scène… suiveuse. Bien agencée dans le rythme accordé aux événements, mais suiveuse tout de même. Il est indéniable que Mourad Senouci a pris de gros risques avec un livre qui pose plusieurs problématiques et surtout des approches complexes à l'intérieur desquelles les descriptions de faits réels ou imaginés, les itinéraires des personnages et les atmosphères ne sont pas linéaires. Il est indéniable également que l'adaptateur s'est laissé dissoudre dans un choix militant avant de se laisser guider par ses sentiments d'artiste et de créateur. Ainsi, très souvent, le spectateur est plus invité à écouter l'explication des origines d'un drame que l'approche déclinée par une œuvre qui pose plus de questions qu'elle ne résout de problèmes. Dans Sadma, il y a comme un surdosage de convictions pour accorder un certificat « d'innocence » à une cause ou, plus exactement, une surdose d'émotion qui place la représentation beaucoup plus dans l'affectif que dans la dimension esthétique proprement dite. Comme si le croisement entre la sensibilité romanesque et la sensibilité théâtrale n'est là que pour donner le quitus de départ, le feu vert, l'adhésion à une option définitive. L'adaptation de Mourad Senouci et surtout la mise en scène de Khoudi insistent, particulièrement dans leur démarche esthético-idéologique, sur l'activisme militant des Palestiniens et donnent l'air (pas de manière frontale peut-être) de ne se préoccuper, qu'en seconde position, de la dimension de « l'homme individu », l'homme d'ici et d'ailleurs placé à un moment T du temps historique, l'homme sous toutes les latitudes, l'homme face à l'épreuve de la vie. Pour ne parler que de la mise en scène, disons que Sadma est plus inscrite dans le théâtre de la parole que dans celui de la parabole. Adossée aux indémontables règles du théâtre classique, elle est dans le déroulement du fait — sans distance — avant d'être dans l'interpellation imagée de ce même fait. Menée à la manière traditionnelle, la direction d'acteurs est plus dans la soumission d'une lecture « tracée » de l'événement montré que dans la redécouverte de la complexité ou mieux du drame intimiste, voire existentiel du Dr Djaâfari, lancé à la quête de la vérité, sa vérité. Il y a comme un décalage entre une œuvre originale écrite pour se questionner en tout et partout et une dramatique montée pour dire ses choix inébranlables. Hélas, cette volonté démonstratrice ouvertement revendiquée presque réduit, par endroit, Sadma à n'être, par-delà l'interprétation d'artistes comédiens plus que méritants, qu'un support du discours engagé ! Certes, l'intention en soi est louable pour que le théâtre descende dans l'arène du combat, mais cela devrait se faire dans les règles de l'art, c'est-à-dire dans une lecture partagée ou, mieux encore, complice dans cette transmission de l'émotion et non de l'alibi prêt à être partagé avec… l'émotion. Dans la mise en scène, la continuation d'une œuvre par d'autres moyens est plus que souhaitable, exigée, à condition, cependant, de faire de la réécriture scénique et non de l'accompagnement. Khoudi, lui, s'est suffi de rendre plus lisible le discours de Sadma grâce, notamment, à la scénographie de Zaâboubi (belle mais un peu trop standardisée à notre humble avis) et la musique de scène (agissante, mais un peu trop bruyante, toujours à notre humble avis), mais ce n'était pas suffisant. L'adhésion à une lecture engagée est aussi affaire d'audace esthétique. Malgré ces remarques, Sadma passe la rampe aisément. Le sujet est d'actualité. Les comédiens le savent et le disent avec leur adhésion.