Nous n'avions nous-mêmes jamais entendu parler de lui dans notre Algérie natale jusqu'au jour où nous découvrîmes, il y a quelques années et lors de notre recherche de DEA en histoire contemporaine du Maghreb, et à notre grande stupéfaction, un militant politique et non des moindres, journaliste et écrivain à la plume flamboyante. Cet «inconnu» a soudain surgi du néant, et il est de notre devoir de le mettre à la lumière, lui qui n a cessé de sa plume et de son action politique de défendre avec ses tripes les Algériens dont il ne pouvait supporter l'injustice subie. Notre recherche de doctorat le mit de nouveau sur notre route, et nous avons été définitivement convaincus que Kessous était de la trempe d'homme dont l'Algérie devrait tirer fierté de le compter parmi ses enfants, et qui mérite, oh combien, que son nom et son combat sortent de l'oubli.Né en 1903 à El Kala (dans l'Est algérien) et décédé en 1965 en France à la suite d'une longue maladie, la tuberculose, qu'il a traîné autant dire toute sa vie. Guy Pervillé (voir notice bas de page) parle de lui en tant que fils de la bourgeoisie commerçante de Collo. Et toujours selon cet auteur «plusieurs membres de la famille de Kessous étaient diplômés de i ‘université française. Lui-même fit des études de droit à l'université d'A iger, puis à celle de Paris. Il fut secrétaire général de l'amicale des étudiants de l'Afrique du Nord (AEMAN) de 1923 à 1924. Il publia plusieurs nouvelles dans la revue Alger-Etudiants. Après ses études, il se consacra au journalisme, tout en travaillant dans i ‘enseignement. Attiré par la gauche française. il adhéra en 1931 à la SFIO ety resta jusqu'en 1940»Mais Kessous mérite d'être connu surtout pour avoir été parmi les apôtres des revendications indigènes. Son livre La vérité sur le malaise algérien publié en 1935 en Algérie, révèle d'abord que l'écriture indigène d'expression française, était de qualité supérieure, venant renforcer la réputation du livre « Le je une Algérien» publié en 1931 par Ferhat Abbas qui avait étonné et séduit au-delà de la terre algérienne. Cet ouvrage de Kessous révèle ensuite un politicien né qui mettra son savoir faire au service de son peuple en proposant des réformes pour sortir l'Algérie du marasme où elle se trouvait, dans le but d'acquérir aux membres de sa communauté des droits au même titre que l'Européen d'Algérie, et dénonçant sans cesse les abus «Plus que jamais on traque les nôtres, on cherche à les atteindre dans leur honneur, dans leur dignité, dans leurs biens et à cet état lamentable, la misère ajoute son cortège de ruines et de souffrances» écrit-il. Et le voilà qui s'insurge : «Et les injures pleuvent, les imputations gratuites s ‘échafaudent parce que nous réclamons notre droit et voulons nous f aire respecter»Dans ces années trente, Kessous est aux côtés de la fédérations des élus du constantinois créée en 1927 par le docteur Bendjelloul, et aussi aux côtés de Ferhat Abbas qu'il connaissait depuis les années de collège. Tout autant que ces deux hommes, Kesssous sera un fervent défenseur du projet Viollette, et même davantage mais tout en restant lucide. Il écrit en effet: «Si le projet était voté, il n ‘aura rien résolu, mais il aura contribué à créer 1 ‘atmosphère propice à une transformation démocratique. Alors le vrai travail devra commencer» (L'Entente).A la lecture du journal L ‘Entente (1935-1942) journal de la fédération des élus du constantinois où il fut rédacteur en chef de 1935 à 1937 (voir El Watan du 19 février 2006) et ensuite à la lecture du journal Egalité créé par Ferhat Abbas en 1944, devenu en 1948 La république algérienne, où il fut choisi par Ferhat Abbas pour être à la tête de la rédaction, nous fûmes de nouveau agréablement surpris par la plume d'excellence qui se confirma, et qui n'avait de pareil que celle de Ferhat Abbas, mais il faut avouer qu'il est arrivé qu'il la surpassât. La maîtrise de la question politique est au summum de son art, et le verbe est revendicateur et frondeur. Cette Algérie de l'entre-deux-guerres est décidément non seulement riches en évènements, mais aussi en hommes d'exception dont faisait partie Mohammed El Aziz Kessous. Charles Robert Ageron dit sur cette période: «Les années 1933-1935 représentent dans la vie politique de l'Algérie musulmane plus qu ‘une période de malaise ou de fermentation, un tournant décisif ». C'est justement en 1935 que Kessous écrit dans L ‘Entente : «Il y a en perspective de grands dangers qui découlent d'une incompréhension totale des imputations et des intentions d'une importante partie de la population indigène» (L ‘Entente) Connu pour son rejet de la violence aveugle, les articles de Kessous à travers L ‘Entente et Egalité témoignent néanmoins d'un homme qui était loin d'être un pacifiste dans le vrai sens du terme. Son verbe est le plus souvent revendicateur et déterminé (parfois violent). De ceux qui détiennent la connaissance et ne peuvent être berné. De ceux qui ne veulent rien monnayer en perdant leur âme. Ce n'est pas pour rien qu'il est l'ami et l'allié de Ferhat Abbas. Il suivra ce dernier dans son projet d'autonomie. Il sera sénateur du groupe UDMA de juin 1948 à novembre de la même année. Ce lien qui paraissait indéfectible entre Ferhat Abbas et Mohammed El Aziz Kessous ne paraît point étonnant tant les deux hommes faisaient la paire dans la maîtrise de la question politique, et tant leur amitié semblait ne jamais se défaire. Guy Pervillé précise que «I'administration eût alors espéré le détacher d'Abbas». En effet la question politique défait des amitiés et parfois mêmes des familles. Lorsqu'en 1948, Ferhat Abbas tourne le dos au Manifeste, parlant d'une république algérienne si nécessaire par la lutte armée, Kessous quitte Egalité. Il poursuivra son combat pour l'égalité, en créant un bimensuel Communauté algérienne (oct 1955- août 1956) où parut une lettre d'Albert Camus à travers laquelle ce dernier écrit cette phrase devenue célébrissime «J'ai mal à 1 ‘Algérie comme d'autres ont mal aux poumons». Et lorsque nous savons que par ironie du sort, ces deux figures illustres souffraient de la tuberculose, nous pensons bien que Camus faisait de sa propre souffrance, celle de Kessous lui-même. Selon Guy Pervillé, Kessous se retira par la suite à Biskra où il travailla comme enseignant et s'éloigna de la politique active à cause de divergences personnelles. Les propos de Guy Pervillé nous confortent dans notre hypothèse émise dans notre article sur Egalité —La république algérienne (El Watan du 08/04/07) selon laquelle Kessous aurait quitté Egalité en 1948 au sujet de divergences avec Ferhat Abbas parce que ce dernier exprima clairement le passage à la lutte armée. Ce que Kessous ne voulait pas cautionner. Mais Kessous fervent défenseur de son peuple, eut selon Guy Pervillé des relations suivies avec le FLN qui respectait son désintéressement »A travers L ‘indépendance confisquée (1984) Ferhat Abbas rend hommage à Mohammed El Aziz Kessous. Rien d'étonnant de la part de ce grand homme, qui, malgré les divergences politiques, ne pouvait renier ce que Kessous a donné, pour son peuple, durant des années de sa vie. Il ne pouvait ne pas rendre hommage à celui qui a tant donné dans une période où peu de gens pouvaient élever la voix si ce ne sont ceux qui avaient décidé l'engagement au service de leur peuple et au péril de leur vie. Pour plus d'informations voir : Mohammed El Aziz Kessous La vérité sur le malaise algérien. Algérie 1935 Guy Pervillé, bulletin Parcours «Algérie, les hommes et 1'histoire» n°5 Haoua Ameur-Zaimèche «Mohammed El Aziz Kessous (1903-1965) Produit et initiateur de reforme» Alfa-Maghreb dimension de la complexité. 2004 : Nos articles «Ferhat Abbas journaliste à L'Entente» El Watan du 19 février 2006 «République algérienne dans 1'autonomie ou par la lutte armée ?» El Watan du 8 avril 2007.