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La fin d'une époque
Publié dans El Watan le 11 - 10 - 2007

L'histoire du cinéma abonde en personnalités marquantes dont l'œuvre laisse une empreinte indélébile dans l'imaginaire des cinéphiles. Anatole Litvak (1902-1974) s'inscrit dans cette catégorie comme en atteste le cycle qui lui est consacré par la chaîne France 3 dans son Cinéma de minuit. Né à Kiev, en Ukraine, Litvak est encore très jeune lorsqu'il tente une carrière internationale en Allemagne et en France avant de s'établir aux Etats-Unis. Il y a donc plusieurs périodes dans la vie professionnelle de Litvak qui touche avec succès à tous les genres.
Des films comme L'équipage, puis Mayerling, tournés en 1935 et 1936, l'affirment comme un réalisateur de tempérament et un remarquable directeur d'acteurs. Ces deux films, devenus classiques, annoncent chez Litvak cette ampleur du registre qui lui permet d'être efficace dans l'action comme dans le mélodrame. Devenu américain, Anatole Litvak est de ceux qui à Hollywood décriront la montée d'Hitler puis les tourments de la guerre. On connaît ses films tels que Confession d'un nazi ou La bataille de Russie et la bataille de Chine. La guerre sera d'ailleurs un thème récurrent dans le travail de Litvak et ce jusqu'à la fin de sa vie. Dans ce domaine, La nuit des généraux (1967) est un modèle du genre.
Dans ce film policier, l'intrigue se noue autour d'un meurtre dans le ghetto de Varsovie en 1942. Le major Grau de la police militaire oriente ses soupçons sur un général allemand, connu pour son implacable cruauté. Confrontation d'une rare intensité entre Peter O'Toole et Omar Sharif, La nuit des généraux est un thriller conduit de main de maître.
Litvak n'avait pas été élève de Stanislawsky pour rien. Ce sens de la mise en scène, il l'avait fortement exprimé dans des films comme Le traître (Decision before Dawn) ou Un acte d'amour (Act of Love), dont les récits se nourrissent de la référence à la guerre. Anatole Litvak pouvait cependant passer à la comédie ou au drame intimiste sans perdre de son légendaire savoir-faire. Parmi ses œuvres impérissables figurent Anastasia, Aimez-vous Brahms ou Le couteau dans l'eau. Litvak savait composer des génériques prestigieux et surprenants, à l'image de Sofia Loren et Anthony Perkins dans Le couteau dans l'eau, ou Ingrid Bergman et Yul Brynner dans Anastasia. Litvak a dirigé les plus grands acteurs et souvent il les a aidés à s'accomplir en les poussant à sortir du typage pour surprendre le spectateur.
Il l'a magistralement fait avec une actrice aussi prodigieuse qu'Ingrid Bergman qui savait si bien jouer de sa transcendance. Litvak n'avait pas la prestance d'un George Cukor ou la fantaisie d'un Frank Capra, mais jamais il n'avait voulu se mesurer aux autres cinéastes, se contentant de donner encore plus de relief à son propre parcours. En plus de quarante années d'exercice, Anatole Litvak a tourné une quantité de films, de valeur certes inégale. Mais dans l'ensemble, il pouvait se prévaloir de quelques réussites avérées. Anatole Litvak était en fait un cinéaste cosmopolite qui ne pouvait pas se résoudre à vivre entre des frontières immuables.
C'était vrai dans la vie comme au cinéma, comme l'illustre la diversité de sa filmographie qui est une recension de tous les genres.
Anatole Litvak était resté un Européen attaché à une esthétique de l'intimisme et ses plus beaux films, comme Anastasia ou Le couteau dans l'eau en témoignent aussi. Mais c'est un cinéaste qui au-delà de sa facture classique n'a pas craint d'innover en se consacrant à des thrillers audi-téléphonnés que Raccrochez c'est une erreur. C'était presque le cas de le dire. Peu avant de disparaître, Anatole Litvak avait livré son ultime opus La dame dans l'auto, avec des lunettes et un fusil.
Difficile de dire qu'il s'agissait là du testament d'un réalisateur qui tout au long de sa carrière avait fait preuve d'une grande rigueur. C'était déjà, pour le cinéaste, la fin d'une époque.


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