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Un des terreaux du nationalisme
Singulière école indigène
Publié dans El Watan le 30 - 04 - 2009

A l'occasion de la commémoration du 19 mars 1962 où le pays fête sa victoire sur une domination coloniale des plus abjectes qu'a connue le XiXe siècle, il est toujours bon de rappeler aux mémoires défaillantes que celle-ci n'est pas de genèse spontanée, mais le résultat de confluences de résistances aussi diverses que porteuses.
Le récit qui va suivre restitue un infinitésimal épisode de cette lutte pour la liberté enfin recouvrée. L'école Sidi Thameur, éponyme du saint patron de la ville, faisait sous le nom de Lucien Chalon, la jonction entre la médina médiévale et la cité coloniale à Bou Saâda. Grande bâtisse dont les ouvertures ogivées sur l'extérieur et les colonnades intérieures rappellent quelque peu le style arabo-mauresque, elle a connu depuis sa création, dans la deuxième moitié du XiXe siècle, une ou deux extensions. La dernière était celle qui abritait le cours complémentaire d'enseignement général (CCEG), dont la première classe s'ouvrait à l'année scolaire 1924-1925. De bonnes volontés tentent d'extirper de l'oubli les noms de certains de ces illustres élèves appelés alors indigènes. Ce haut lieu historique geint sous l'indifférence générale, sa peinture pelée et sa porte principale gémissante et délabrée font partie désormais du tacitement admis. Envahie par un marché jadis hebdomadaire, elle lutte contre le dépit tout en gardant dans ses arcanes un silence oppressant sur des moments où l'histoire se faisait écrire par de futures figures nationales encore inconnues. Mohamed Lakhdar Hamina, l'enfant prodige du Hodna, a eu le grand mérite de l'immortaliser par son film La dernière image. Le devoir de mémoire nous commande, plus que jamais, de dépoussiérer ce trésor à la fois matériel et immatériel qui n'a certainement pas encore livré tous ses secrets. Un document d'anthologie, datant de la première moitié du XXe siècle écrit à la plume, livre les noms et prénoms de 13 élèves de la 2e année (année scolaire1937/1938). Mis à part une Française, deux ou trois juifs naturalisés français par la grâce du Décret crémieux, le reste était composé d'élèves indigènes dont les parents faisaient partie du 2e collège électoral.
Ce dernier, constitué de sujets français-musulmans de deuxième zone, suggérait et de manière, on ne peut plus explicite, la soumission au fait colonial. Considérés comme chanceux pour avoir surpassé l'écueil du cours supérieur qui mettait un terme à l'enseignement élémentaire des indigènes, ces quelques élèves étaient relativement âgés pour une deuxième année de cours complémentaire. Cela n'empêchait pas les tenants de l'acculturation globale de claironner que l'émancipation des indigènes par l'école est bien réelle. En mars de cette année 1937, on serait enclin à appeler la « Glorieuse », naissait le Parti du Peuple algérien (PPA) géniteur du déferlant mouvement nationaliste. Outre Mohamed Boudiaf (futur chef de l'Etat) âgé de 17 ans et aîné du groupe, figurent sur cette liste : Kaddour Benaïssa, futur vice-champion cycliste de la trempe de Zaâf, qui militera plus tard au sein du mouvement national ; il vivra, tout comme ses camarades de classe, les affres de l'internement ou de l'exil dans l'Algérie en flamme. Futur receveur de la poste, Ahmed Méch, détenteur d'une fonction réputée privilégiée, sera plus tard interné et assassiné, le corps abandonné sur une dune. En dépit de leur statut de fonctionnaires, Rahmoun Khaoukha et Hamza Lomri ne dérogeront pas à la règle de leurs compagnons. Militants de la cause nationale, ils seront internés plus tard au centre de transit de Damiette et aux camps de Sidi Chami ou de Bossuet. Les deux seuls survivants de cette prestigieuse lignée d'élèves indigènes sont, Aïssa Baiod, courageux militant présentement à la retraite après une exaltante carrière d'instituteur en langue française et Ali Abdelkrim fondateur de Faoudj El Fadhila des Scouts musulmans. Ce dernier, devenu fonctionnaire des finances après l'indépendance, est âgé actuellement de 88 ans. Pétri des qualités propres aux enfants de cette Algérie fougueuse, il raconte et écrit d'une main encore sûre cette belle épopée qu'il sut faire vivre à ses congénères, en cette année 1940, où l'humanité allait vivre sa deuxième hécatombe génocidaire.C'est ainsi que ammi Ali, nous offre avec sa propre plume, un inestimable présent immatériel.
Défiant l'érosion du temps, d'une surprenante lucidité, sa mémoire restitue à la mémoire collective ce qu'elle a su garder pendant 67 ans durant : « C'est à l'occasion d'un déplacement, alors âgé de 20 ans, à Sétif au mois d'août 1940 que j'ai fait la connaissance d'un jeune scout, Benmahmoud Abdelkrim, et devant mon désir de connaître le mouvement scout, il m'a accompagné au siège où j'ai été bien reçu. Durant mon séjour à Sétif, j'ai assisté aux activités et participé à deux sorties avec mes nouveaux compagnons. C'est ainsi que j'ai pu m'initier au scoutisme selon les principes de Baden Powel, créateur du mouvement, en apprenant son mode d'organisation, les chants patriotiques, les sketchs etc ». Ammi Ali raconte plus loin son retour à Bou Saâda où il avait pris contact avec ses camarades par l'entremise du cercle de la fraternité de l'Association des ulémas, qui avait mis à sa disposition un modeste local. L'administration, qui surveillait les faits et gestes de ces jeunes, exigeait des statuts d'association qui ne pouvaient être évidemment accordés que difficilement. Pour contourner la pierre d'achoppement que constituait l'agrément de leur association, Si Ali et ses camarades prirent la décision d'adhérer aux SMA d'Alger ; leur lieu de résidance relevait à l'époque de ce département préfectoral. « Nous avons pris contact avec Bouzar qui dirigeait le groupe scout de la Pêcherie, qui nous avait mis en contact avec Bouras qui s'était rendu à Bou Saâda à deux ou trois reprises. Celui- ci a animé quelques-unes de nos activités et nous a accompagnés pendant les deux premières sorties et les nuits passées en pleine nature.
Il nous a mis en contact avec le groupe El Felah de La Casbah où activaient, si ma mémoire est bonne, Abderrahmane Aziz, Kaddache et d'autres dont je ne me souviens plus du nom. Instruits de la culture scout et renforcés dans notre conviction après ce séjour, nous avons organisé des activités culturelles, pièces de théâtre et participé aux fêtes religieuses au sein des mosquées etc. Nous participions aux conférences des ulémas, tels cheikh Bachir El Ibrahimi et cheikh Bayodh. » Ammi Ali nous apprend que la population autochtone acquise à la cause a aidé matériellement le groupe scout naissant, pour l'achat de tenues réglementaires, de livres sur le scoutisme et sur l'histoire d'Algérie ainsi que des instruments de musique. Il continue son récit en ajoutant : « Nos amis du cercle de la fraternité, Harkat Ali, Bisker Mohamed et Nadjoui Ali, nous ont servis d'instructeurs et de mourcheds dans les principes religieux et historiques. D'autres personnalités de la ville telles que Hattab Salem, Terfaia Abderrahmane, nous ont couverts au regard de l'administration coloniale qui s'interrogeait sur nos activités. En 1941, je conduisais la délégation de Bou Saâda composée de Benhamida Abdelkader, Ghiouèche Ali et moi-même à un important camp de jeunesse qui s'est tenu à El Riadh, aux environs d'Alger avec la participation des SMA, des scouts et éclaireurs de France. L'activité de notre dynamique groupe s'est étendue rapidement à l'ensemble des agglomérations de Bou Saâda et a rayonné à plus de 100 km autour de la ville. Par la suite et sur instructions de Bouras, nous avons participé à la création des scouts de M'sila et de Djelfa. Suite aux relations de confiance tissées avec lui et au dévouement de notre groupe à la cause nationale, le regretté Bouras m'a invité, à titre personnel, à son domicile à Alger, pour un entretien privé au cours duquel il m'a informé de son activité patriotique, de ses sorties à l'étranger et de sa manière de s'informer. Après sa lâche exécution par le régime colonial en mai 1941, l'activité de notre groupe, douloureusement secoué, s'est quelque peu ralentie. Elle reprenait vigoureusement au lendemain du pogrom du 8 mai 1945 et ce, jusqu'au déclenchement de la lutte armée. Ainsi s'achève le récit de Abdelkrim Ali, camarade de classe et compagnon de route du défunt président Mohamed Boudiaf.
Note de l'auteur : Nous avons, par fidélité au texte original, respecté son intégrité graphique.


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