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De l'identité sociale à la maturité. (2epartie et fin)
Publié dans El Watan le 20 - 11 - 2007

III.2. Contrat social et cohésion sociale : du pacte fondateur à l'alliance ordonnatrice :
Le concept de société dont la signification étymologique est association, se rapporte à la fois à l'espace symbolique d'expression de tous les faits sociaux, leurs principes d'organisation et d'expression, les modalités institutionnelles dérivées et leur intégration dans la totalité signifiante qui les englobe. Elle est constituée de sous sociétés, comme autant de groupements (familles, clans, classes, ethnies,…) qui représentent autant de niveaux hiérarchisés et structurés de la réalité sociale, dotés d'une relative autonomie et des mêmes caractéristiques d'ensemble, à moindre échelle, que l'unité holistique qui les rassemble et les englobe.
Elle est parcourue d'un système de relations, multidimensionnel de l'ordre du politique, de l'économique, du culturel et du religieux. Elle dispose de codes éthico normatifs qui régulent les conduites des individus et leurs motivations et aspirations, en conformité avec les modes de production et l'organisation du travail, en accord avec le modèle familial prévalent, en harmonie avec les données culturelles effectives et autres valeurs civilisationnelles, ainsi que toutes les autres pratiques sociales procédant de ce même système de détermination sémantique commun.
Elle est composée des membres, êtres sociaux répartis, selon un positionnement social assignant fonctions, rôles et statuts, où interviennent des rapports de hiérarchie, de familiarité, de proximité ou de distance, et où sont à l'œuvre des actions d'attirance ou de répulsion, des influences d'affinité ou de rejet, au gré des investissements pulsionnels des individus qui la composent, ainsi que des mécanismes de défense inconscients, telles l'identification et la projection.
En outre, une notion initiée par Hobbes puis abondamment reprise et commentée par d'autres, est celle du contrat social dont la signification étymologique est l'engagement dans une action commune décidant de la vie en société et qui représente le pacte originaire scellant l'acte de passage des hommes de l'état de nature à l'état social. Cet accord originaire témoigne de la volonté commune de s'ériger en une communauté soumise à la loi. Ce contrat, loin d'être un authentique événement historique, est à accepter comme mythique et à interpréter dans un sens symbolique, celui d'un événement imaginaire qui pose l'acte de naissance du social et du politique.
Dans le même ordre d'idées, le terme cohésion, qui veut dire littéralement être attaché avec, désigne le caractère attestant d'une unité renforcée. La cohésion sociale est alors l'état qualitatif d'un groupe social, déterminé par un ensemble de forces et d'actions qui assurent la liaison solidaire de ses membres entre eux, préviennent les tentatives de rupture et de dislocation, en s'opposant à toutes les influences dissociatives.
Cette cohésion s'exprime au travers de marques d'entraide et de solidarité entre les individus qui composent le groupe social, la tendance à l'adoption de conduites standardisées et la valorisation des marques et attentions de reconnaissance par ce dernier. Elle est favorisée par des relations interindividuelles de qualité, intenses et répétées, l'existence d'un consensus scellant aussi bien une convergence d'intérêts que l'accord sur les opinions et attitudes et enfin le couronnement par le succès des entreprises du groupe.
III.3. Famille et tradition : le poids de l'attachement aux valeurs :
La tradition regroupe l'ensemble des institutions communautaires avec les codes du système de croyances et des représentations collectives, ainsi que des compétences, savoir-faire et autres pratiques communautaires, en tant que legs hérités du passé, à entretenir et à pérenniser en vertu des principes sacrés de loyauté et de fidélité entre les générations. Le traditionalisme est alors le mouvement d'idées qui se revendique de la tradition et de la continuité qu'elle assure, et dont il fait la référence primordiale de sa philosophie de la vie et du monde. Elle s'oppose à la modernité, soumise à l'impératif du changement en tant que processus essentiel de développement, en se réclamant de l'impératif de la continuité, la permanence institutionnelle étant alors consacrée comme la garante de la survie du groupe.
Très attachée au passé, elle se fonde sur un code sémantique qui confère sens et intentionnalité aux expériences existentielles, individuelles et collectives, tirant sa légitimité d'un ordre originel des choses, tant immuable que nécessaire, antérieur aux individus et légué d'une génération à l'autre. Cet ordre, héritage des ancêtres, est cultivé et entretenu par la tradition qui tend à le préserver des modifications induites avec le temps, pour lui conserver sa pureté originelle et son authenticité.
Le passé auquel on se réfère ne renvoie pas nécessairement à une réalité événementielle, historique et sociale et peut être d'essence mythique. Ce qui importe, c'est que ce récit mythique, étayant le discours traditionnel, puisse fondre en son sein les nouveautés dues aux péripéties et aléas de l'actualité, en validant constamment le présent et ses innovations. Loin d'être une pure répétition, la tradition réinvente constamment le présent à la lumière du passé, pour pouvoir l'incorporer dans le prolongement de la nécessaire continuité.
De la même façon, il faut souligner l'importance centrale et décisive de la famille. Celle-ci, en tant que première des grandes institutions sociales, représente une entité supra-individuelle, variable dans sa forme et sa composition, regroupant l'ensemble des personnes vivant habituellement sous le même toit.
L'évolution historique et les déterminations socioculturelles ont modelé les différentes formes de familles qui survivent encore de nos jours. Dans une perspective classique, elle est représentée par un ensemble de personnes généralement unies par des liens de parenté issus du mariage, du sang ou de l'adoption, vivant en commun sous le même toit et interdépendants pour ce qui relève des aspects fondamentaux de l'existence (subsistance, sécurité, affection, relation, éducation, etc.).
Elle est une institution sociale qui, à l'origine, avait pour fonction de canaliser, discipliner et moraliser la vie sexuelle et la procréation, la maternité et la paternité. Sa fonction essentielle est d'assurer la subsistance et de garantir la sécurité de ses membres ainsi que de dispenser l'éducation des enfants en leur permettant l'acquisition du langage, des coutumes et des traditions de leur groupe social, le dépassement de l'inclination naturelle à l'égoïsme, la maîtrise des instincts et l'apprentissage de la discipline. La cohésion et l'équilibre familiaux sont essentiels pour le devenir de l'enfant, en en garantissant l'équilibre émotionnel et affectif.
La famille, espace de reproduction des rapports de genre et de classe, est également l'espace d'édification des identités individuelles grâce aux interactions familiales, l'intériorisation des codes sociaux et le jeu des identifications, introjections et projections, respectives, ainsi que les premières relations objectales dont les modèles de référence et les interlocuteurs privilégiés sont constitués par les imagos parentaux et leurs investissements fantasmatiques. Elle s'accommode des marges de manœuvres individuelles, oscillant entre la fusion et l'autonomie, véritable espace de socialisation plus ou moins flexible ou rigide, permettant, avec plus ou moins de bonheur, l'édification des identités respectives de ses membres, accordées aux exigences sociales et aux impératifs de changement.
III.4. Imaginaire social, citoyenneté et nation : de l'idéalité du mythe à la réalité de l'institution
La civilisation est l'état de ce qui confère aux êtres humains plus d'aptitudes à la vie en communauté, découlant de l'atteinte d'un certain niveau de développement matériel et culturel. Elle requiert un certain degré d'organisation sociale avec l'émergence de la codification écrite du langage et l'avènement de l'ordre politique et de la loi comme principes d'ordonnancement de l'Etat, de même qu'une certaine maîtrise technique garantissant une relative emprise sur l'environnement physique et le milieu naturel, ainsi qu'une certaine production intellectuelle à l'origine de ses valeurs. Une de ces principales valeurs est précisément représentée par la civilité, qui est la conformation aux règles de politesse et la soumission aux codes et usages du savoir-vivre qui régulent les rapports interindividuels, dans le cadre de la vie en communauté. Souvent réduite au système de valeurs immatérielles qui la sous- tend, la civilisation a fini par être assimilée à la culture, pour ne représenter que le système idéo-affectif global et commun qui transparaît dans les réalisations intellectuelles et artistiques, les codes éthico-normatifs, les convictions et les croyances, les attitudes et valeurs collectives.
Procédant du même ordre, la désignation générique d'imaginaire social s'est faite par accolement du qualificatif imaginaire transformé en substantif et du qualificatif social s'y rapportant. Ce substantif veut dire, littéralement simulé, qui n'existe qu'en représentation et non réellement. Ce concept se rapporte à un ensemble de représentations symboliques et d'élaborations thématiques fictives, d'essence mytho-poétique, partagés en commun par les membres d'un groupe social, reflétant les aspirations, les rêves, les désirs, les fantasmes collectifs qui se répercutent sur les pratiques sociales, qu'elles peuvent susciter, orienter, modeler ou expliciter.
C'est Freud qui a précisé les relations étroites qui existent entre les pulsions inconscientes, d'essence biologique, contrariées, et leur satisfaction fantasmatique dans l'imaginaire, qu'il a appelé la satisfaction hallucinatoire du désir, relevant de l'ordre de la représentation symbolique.
L'imaginaire social venant, ainsi, agrandir l'horizon de l'imaginaire individuel, en concédant une arène plus vaste pour l'investissement des pulsions inconscientes, en diversifiant le choix des modèles identificatoires qui, en transcendant les limites strictes de l'espace familial restreint, accèdent à un éventail plus vaste de modèles, mieux accordés à l'actualité et aux exigences de la vie d'adulte, en
société. Quant au concept politique de citoyenneté, il a été introduit par la révolution française pour qualifier le statut socio-politico-civil officiel dévolu aux individus libres de naissance, égaux en droits et en devoirs, membres à part entière de la collectivité civile, sur le modèle de la société grecque antique.
En 1949, le sociologue anglais Marshall a individualisé les trois composantes fondamentales du concept. La première dimension est civile et consiste en la liberté de pensée, de parole, de croyance, d'ester en justice et de passer des contrats dans les actes de la vie civile. La seconde est politique avec la reconnaissance du droit de vote et la participation, même indirecte et limitée, à l'exercice du pouvoir politique, dans le cadre de l'Etat-nation. La dernière est sociale, comme autant de droits sociaux, relatifs à la protection médicale et sociale, ainsi qu'à un niveau minimum d'éducation garanti.
Il existe classiquement deux grandes conceptions complémentaires de la citoyenneté: une citoyenneté étatique à l'échelle nationale sous le contrôle de l'Etat, et une citoyenneté démocratique à l'échelle locale, sous le contrôle de la société civile et du mouvement associatif. Depuis peu, il se fait jour une conception plus nuancée et plurielle de la citoyenneté, qui réhabilite les valeurs identitaires, nationalistes, ethniques, culturelles ou religieuses.
Le terme nation, dérivé du latin natio, qui veut dire naissance, désignait initialement, par extension, l'ensemble des personnes nées au même moment, au même endroit. Il tend actuellement à désigner la modalité d'existence des sociétés contemporaines, pouvant englober plusieurs communautés et s'accommoder fort bien des diversités ethniques, religieuses, voire même de plus en plus, culturelles.
Bien que la mondialisation de l'économie actuelle, qui tend à prévaloir de plus en plus et à s'imposer à l'ensemble de la planète, ait quelque peu rendu caduc le cadre étroit de la nation, celle-ci demeure encore une référence identitaire stable dans la majeure partie du Tiers-Monde, pour ne pas dire la quasi-totalité du monde.
Dans une perspective voisine et apparentée, une notion coextensive à celle de nation est représentée par la patrie. Celle-ci, voulant dire étymologiquement pays du père, désigne actuellement le sol du pays natal en tant qu'entité charnelle, espèce de socle matériel et d'assise territoriale de la nation avec laquelle elle est souvent confondue et dont en fait, elle connote et souligne la dimension affective de communion dans la ferveur générale.
Avec l'avènement de la psychanalyse, la transparence du sujet, postulée par le rationalisme classique, va être ruinée par l'inféodation à l'inconscient du moi conscient qui, d'autonome et de souverain, devient le théâtre d'un jeu de forces impersonnelles et anonymes, à l'origine de tensions et de conflits en son sein. Cette œuvre de démystification de la souveraineté autonome du sujet sera parachevée par Nietzsche et Heidegger qui dénoncent le caractère purement virtuel d'un prétendu moi transcendantal qu'ils réduisent au moi empirique, avec toutes ses déterminations singulières de personne humaine.
En fait, la philosophie contemporaine tient, de plus en plus, le sujet individuel comme le résultat d'une genèse et d'une laborieuse acquisition de la subjectivation et de l'autonomie, par l'expérience du monde et de l'altérité, grâce au langage et à la socialisation, réquisits de la culture.
D'autre part, l'abord des rapports entre les deux notions souvent opposées du couple nature-culture, un des grands problèmes classiques de la philosophie, a été également investi par l'anthropologie qui pose la culture comme tout ce que l'homme, par son travail, rajoute à la nature pour la rendre conforme à ses exigences proprement humaines et surpasser son animalité primitive. Ainsi, si la nature chez l'homme correspondait grosso modo à tout ce qui était inné et universel et relevait de la biologie, la culture renvoyait à tout ce qui venait compléter celle-ci, en l'occurrence l'ensemble des productions à transmission sociale qui assurent la substitution de l'ordre culturel de l'humanité au désordre naturel de l'animalité, permettant la constitution de groupements humains étendus en communauté, dont la cohésion était garantie par l'institution d'un code symbolique commun.
Si les phénomènes naturels sont régis par des lois scientifiques, absolues, universelles et nécessaires, qui déterminent rigoureusement leurs conditions de possibilité, les faits culturels sont régis par des lois humaines conventionnelles, contingentes, relatives et arbitraires, qui fixent les obligations, les interdits et les autorisations légales.
En fait, cette opposition nettement tranchée entre nature et culture doit être nuancée, car les récents développements des sciences biologiques et humaines ont montré que les parts respectives de l'inné et de l'acquis, c'est-à-dire de ce qui relève soit de la maturation, soit de l'apprentissage, dans le développement des grandes fonctions psychologiques, conditions nécessaires de possibilité des faits culturels, étaient non seulement intimement liées mais souvent inextricables.
L'auteur est: Professeur de psychiatrie
et psychologie médicale à
la facultede médecine d'Alger
Chef de service à l'hôpital
psychiatrique universitaire
Drid Hocine, Kouba, Alger
Président de la Société
médico-psychologique algérienne


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