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De l'identité sociale à la maturité civique
Nature et culture dans la condition humaine
Publié dans El Watan le 19 - 11 - 2007

« L'homme est un animal politique plus que n'importe quelle abeille et que n'importe quel animal grégaire. » Aristote
Dès sa première aurore, la mystique universelle avait pressenti la finalité de l'existence humaine en l'appréhendant comme du temps limité à la durée enclose en chaque étant consenti à toute conscience individuelle assimilée à une liberté intégrale et une disponibilité radicale, pour apprendre à renoncer à une partie de l'amour de soi au profit du prochain. Lui emboîtant le pas dans une pâle réplique, les maîtres de morale enseignent depuis des lustres, qu'à défaut de s'aimer, il fallait apprendre à mieux se connaître pour mieux se supporter et, en finissant par se respecter, parvenir à mieux vivre ensemble, en s'aidant mutuellement de ses différences et en se complétant de sa diversité. Plus terre à terre et d'un réalisme cynique, les princes de la cité, en tant que maîtres de l'ordre répressif et de la soumission, ont cru comprendre dès le début, qu'à défaut de moraliser, il fallait normaliser et jeter les bases de la vie en communauté, en en fixant au préalable les règles du jeu, quelquefois en limitant l'espace civique et en contraignant les libertés, voire même en réprimant les excès d'individualité. Car en fait, c'est bien de la conciliation de tendances contradictoires, celle de la libre expression des instincts et celle de leur nécessaire intégration à l'ordre culturel, que résulte l'équilibre précaire et réversible de l'individu socialisé et policé. Tendre à l'affirmation de son autonomie individuelle tout en s'accommodant de son appartenance sociale, marquer sa différence tout en restant solidaire de la cohérence d'ensemble, tel est le paradoxe de la condition humaine qui doit accorder nature et culture, ordre organismique déterminé et ordre symbolique institué, le nécessaire et le souhaitable.
I. DE L'ANIMALITE à L'HUMANITE OU LA « SOCIALISATION DE L'INSTINCT » :
I.1. Instinct et économie biologique : L'instinct, dont la signification étymologique est instigation, impulsion ou excitation, consiste en un savoir-faire héréditaire se présentant comme une motion interne assujettie à une finalité spécifique, qui se manifeste par une série de mouvements déterminés, coordonnés et orientés vers un but concret, généralement la satisfaction d'un besoin biologique ou motivation primaire. Cet instinct, caractéristique de l'espèce et variant peu en fonction des individus, est inné, car tant ses modalités d'expression que sa causalité sont héréditaires. Il détermine chez l'animal une conduite d'appétence qui le pousse à rechercher préférentiellement les situations stimulantes se rapportant à son besoin contraignant. Celles-ci doivent déclencher une séquence de coordinations motrices spécifiques, répétitives et stéréotypées, qui doit assurer l'exécution de l'acte de consommation. L'accomplissement de cette activité spécifique, préformée, adaptée à la situation, dépend à la fois de conditions particulières de l'environnement et de l'état physiologique interne de l'individu. Plus on s'élève dans l'échelle des espèces animales et plus cette activité instinctive peut être partiellement influencée par l'apprentissage, constituant en cela les prémices d'une évolution vers l'intelligence. Ainsi, dans l'espèce humaine, les conduites instinctives telles que définies plus haut, c'est-à-dire des conduites innées, organisées et complexes, ont presque entièrement disparu et il n'en subsiste guère que des rudiments sous forme de réactions segmentaires automatiques, comme en témoignent les universaux du comportement humain. Néanmoins, cette notion d'instinct demeure très controversée en psychologie, notamment chez les comportementalistes, et seuls les éthologistes néo-instinctivistes, tels que Lorenz et Tinbergen, lui ont conféré un regain d'intérêt, en modifiant quelque peu la désignation, sous forme de schèmes spécifiques d'action. C'est dans cet ordre d'idées et pour éviter toute ambiguïté, qu'on lui a préféré le terme de pulsion pour désigner la force hypothétique qui pousse l'individu à accomplir une action, faisant en cela référence à l'intensité du comportement motivé, correspondant grosso modo en physiologie à l'intensité d'activation excitatoire des circuits nerveux sollicités.
I.2. Le déterminisme biologique dans l'hominisation : L'hominisation est un processus biologique consistant en une série de mutations génétiques sélectionnées par l'évolution, qui a permis à l'espèce humaine de se constituer en tant que telle, en s'émancipant des autres espèces de primates. Ainsi, les différentes étapes de l'hominisation, celles de l'homo erectus, de l'homo habilis, de l'homo faber et de l'homo sapiens, se distinguent par les capacités relatives de la boite crânienne ainsi que par les différents objets fabriqués correspondants. Cette hominisation s'est prolongée par un processus psychologique, l'humanisation, qui se rapporte à l'acquisition des valeurs humaines, caractéristiques de l'espèce. C'est ainsi que l'homme a été doté par l'évolution, outre d'un cerveau plus complexe et plus développé que celui des grands singes anthropomorphes, d'un organe extraordinaire, la main, avec le pouce opposable aux autres doigts, d'une motricité et d'une sensibilité très développées, enfin d'une conformation particulière du massif facial et de la cavité buccale, avec une musculature faciale très différenciée, particulièrement mobile et expressive. Dans le processus d'hominisation, l'acquisition de la station bipède a été décisive, en permettant la libération de la main et le développement de la région frontale du cerveau, correspondante. Bien plus, l'évolution biologique, grâce au processus d'hominisation, lui a également permis d'accéder à un nouveau mode d'évolution totalement inédit dans le règne vivant, le processus d'évolution culturelle. Le caractère capital de ce type d'évolution est la transmission cumulative de l'acquis qui a été rendue possible par la convergence d'une série de modifications évolutives à l'origine de nouvelles capacités, telles que celles relatives à la fabrication d'outils et ustensiles, à la maîtrise du langage et de la représentation symbolique, à l'acquisition d'habiletés et de compétences sociales, ainsi qu'une capacité d'apprentissage très performante. De la même façon, on ne saurait insister sur le rôle de l'imitation dans l'acquisition d'apprentissages et donc dans la transmission culturelle, notamment chez le jeune enfant. Celui-ci apprend en copiant et en prenant comme modèle, le comportement du congénère socialement plus évolué qui est parvenu antérieurement à en maîtriser maniement et usage et, est capable de les reproduire intentionnellement. En somme, l'évolution culturelle découle de la convergence d'une série de modifications dues à l'hominisation, indépendantes les unes des autres au départ, qui, en se réunissant et en se renforçant mutuellement, ont abouti à une véritable rupture qualitative dans le règne vivant, totalement inédite jusqu'alors.
I.3. Le déterminisme culturel dans l'humanisation : On définit la culture comme « un ensemble organisé de comportements acquis et transmis, caractéristique d'une société particulière ». Car c'est bien par le caractère acquis et transmis du comportement que le fait culturel se différencie notablement du fait biologique. En effet, les innombrables variétés d'expressions culturelles, loin d'être biologiquement déterminées, sont, en fait, le produit de l'apprentissage qui se perpétue par transmission sociale et non pas génétique. Mais toute culture ne peut s'inscrire que dans l'espace permis et concédé par la détermination biologique humaine. Malgré l'extraordinaire profusion de formes culturelles et l'importante variabilité des types physiques humains, l'humanité est constituée d'une seule et même espèce biologique, dont la caractéristique commune universelle en est une formidable plasticité lui permettant de s'adapter à tous les environnements physiques et sociaux. Car du fait de la maîtrise de la pensée représentative et du langage, ce système de communication basé sur des signes conventionnels se rapportant à des substituts de choses, ainsi que de son étonnante dextérité manuelle lui permettant d'agir sur le monde et de prolonger ses attributs naturels par des outils et instruments, l'homme peut varier ses conduites par apprentissage et les adapter aux exigences du milieu. Ainsi, la culture se rapporte essentiellement à trois dimensions fondamentales : ses productions intellectuelles dans tous les domaines d'abord, ses valeurs civilisationnelles ensuite, fondées sur des modalités existentielles concrètes, reflets de ses manières de sentir, penser et agir et les normes sociales englobant prescriptions et proscriptions intériorisées grâce au processus de socialisation, enfin. Par ailleurs, l'existence humaine en société est inconcevable sans culture, véritable matrice de génération sociale, permettant l'établissement de la personnalité sur le socle de l'animalité originelle, comme héritage naturel. Toutefois, le conflit entre les impératifs culturels, notamment le code des prescriptions et proscriptions, et les exigences pulsionnelles, en l'occurrence les motivations biologiques primaires et les motivations sociales secondaires dérivées, constituant les intérêts égoïstes de l'individu, sont à l'origine de tensions et de malaises chez celui-ci, car ses tendances naturelles vont souvent à l'encontre des recommandations culturelles, ce qui donne tout son sens au vieux problème philosophique de « nature et culture ». A ce propos, la nature en tant que milieu naturel, renvoie d'abord à l'environnement physique, minéral, végétal et animal, dans lequel se déploie toute existence, en tant que celle d'un être particulier, elle fait référence aux attributs et caractéristiques innées, c'est-à-dire présentes dès la naissance, car selon l'étymologie latine, « natus » dérive de « nascor » qui veut dire naître. Pour Claude Levi-Strauss, la nature relève de tout ce qui est biologique et possède un caractère universel et inné. A la différence de la culture qui relève de tout ce qui est social et possède un caractère relatif et est apprise et régie par des règles et des normes particulières, la transition en étant assurée par la prohibition de l'inceste qui se situe ainsi à l'interface de l'enfouissement du biologique et de l'émergence du culturel, rendant alors possible l'avènement de l'humanité, substituant ce faisant l'organisation au hasard, la contrainte et l'obligation à la nécessité. Cette antinomie inévitable, essence de la culture pour certains, en représente le fondement pour Freud, pour qui la répression des pulsions est le prix à payer à l'avènement du fait culturel, fondateur de la civilisation qui prendrait origine dans un conflit entre thanatos (la pulsion de mort) et Eros (la pulsion de vie). Assimilant pratiquement culture et civilisation, il les fait dériver du renoncement aux instincts par la contrainte qui permet de transcender la condition animale originaire.
II. DE L'INDIVIDUALITé à L'INTEGRATION SOCIALE OU L'OUVERTURE DE L'EGO SUR L'ALTéRITé :
II.1. De l'individualisme à l'altruisme : Au départ, le terme individualisme était une notion politique qui s'opposait au socialisme, dans la mesure où elle insistait sur l'importance de l'individu, de sa liberté, de ses droits et intérêts, au détriment de la société dont il était loin de représenter le pur produit.
On passe ainsi d'une perspective globalisante de la société où le sujet est considéré comme un élément constitutif de la pluralité collective, à une autre, plus unitaire et personnaliste où la collectivité sociale s'efface devant le sujet, considéré comme entité première et réalité essentielle. Son avènement est un aboutissement de tout un courant de la philosophie remontant aux pré–socratiques et culminant avec Descartes, qui avait fait de la liberté de la raison son credo. Il rejoint en cela, l'humanisme qui lui est antérieur et qu'il dépasse, dans la mesure où il déplace les valeurs humanistes de l'homme, en tant qu'essence abstraite à l'individu concret, sujet de la vie de relation, historiquement et culturellement déterminé. Pour autant, ce mouvement conquérant connaîtra sa limitation et l'expansion humaniste de l'individualisme cédera au désenchantement, dès lors qu'il sera confronté à la certitude et à l'inéluctabilité de la finitude existentielle, contraignant l'être humain à reconsidérer sa vision des choses et à réviser ses prétentions. Ce renoncement pessimiste, véritable obsession mortifère, sera vécu par l'individualisme comme une faille primordiale affectant l'essence même de l'être, qu'il tentera de combler par une quête effrénée d'absolu, auprès des religions, des mystiques, des idéologies ou des idéaux métaphysiques. L'individualisme atteint les dimensions d'une véritable philosophie de la vie et de l'existence, dès lors qu'il affirme la réalité autonome de l'individu, libre de ses opinions et croyances, mais aussi de ses projets et décisions. Néanmoins, la tentation de céder à l'inflation narcissique de l'ego individuel est bien réelle avec toutes les dérives possibles, aux plans de l'intégration communautaire et de la cohésion sociale, de la solidarité collective et des idéaux civiques. En fait, l'individualisme, en affirmant l'autonomie de l'individu et sa suprématie sur toute idéologie collective, ne nie pas pour autant toute possibilité de multiplicité chez ce dernier, dans la mesure où il postule une dimension privée et une dimension publique, dans une coexistence équilibrée et solidaire du singulier et du pluriel. Le siècle d'après, l'évolution des idées en philosophie, en déplaçant le centre d'intérêt de l'individu vers la relation à l'autre, est venu quelque peu tempérer l'hégémonisme de l'individualisme, en mettant plutôt l'accent sur l'intersubjectivité et l'altérité. L'intersubjectivité, terme utilisé pour la première fois par Husserl en 1931, signifiant littéralement ce qui est entre deux subjectivités, désigne une modalité relationnelle impliquant un échange communicationnel entre deux sujets à la fois semblables et proches, mais également différents et distincts l'un de l'autre. Mais bien avant la lettre, Hegel avait déjà affirmé que cette modalité constituait l'essence même de l'homme, dans la mesure où toute conscience de soi ne pouvait se poser que par référence à une autre conscience de soi, celle de l'autre, privilégiant du même coup la dimension altruiste de l'être humain, au détriment du centrage égotiste de l'individu. Pour Husserl, la conscience, pure transcendance, n'est pas refermée sur elle-même mais constitue une ouverture sur le monde des objets. Dans la mesure où elle est toujours conscience de quelque chose, elle est visée intentionnelle de l'objet. C'est en se démarquant du solipsisme dont il réfute l'objection d'exclusivité de la conscience, qu'il en est arrivé à formuler ce concept d'intersubjectivité. Ayant déjà établi la relation moi-monde par l'intentionnalité, il parvient à la relation, moi–autre par l'intersubjectivité. L'altérité, catégorie fondamentale de l'esprit, renvoie à la confrontation constante à l'autre, étranger et différent de soi, dans une expérience le mettant en rapport avec le même, identique à soi.
II.2. L'identification, clé de voûte de l'intégration L'identité personnelle du sujet humain fait référence essentiellement à ce sentiment propre d'exister dans la similarité, la constance et la singularité, avec tous ses caractères et attributs physiques, mentaux ou sociaux, et d'être reconnu par autrui en tant que tel, c'est-à-dire un être humain à part entière parmi les autres. Cette identité, véritable instance conférant l'unité de la conscience de soi, s'organise et s'édifie au travers de l'intersubjectivité, de l'apprentissage social et du capital expérientiel. Le système sur lequel elle se fonde est un ensemble de représentations affectives et cognitives de soi-même, en relation avec autrui et le monde, sous-tendu en permanence par le sentiment subjectif de sa propre existence, avec cette disponibilité radicale et spontanée à l'accueil du monde sensible et intelligible, dans l'unité intégrée et cohérente, la continuité stable et réactive, avec possibilité d'action par la mobilisation des conduites. Cette multiplicité fonctionnelle, en permettant la régulation et le contrôle, est garante de la souplesse adaptative, préalable nécessaire à l'adéquation au réel, complexe et mouvant. L'identité personnelle s'inscrit dans la continuité temporelle et le devenir historique, en intégrant les legs du passé dans le déroulement du projet existentiel à venir, dans les limites de l'horizon temporel. Ainsi, l'identité sociale reflète le repérage catégoriel du sujet au travers de son appartenance à différentes collectivités, classes, organisations et institutions sociales. Aboutissement et produit des identifications, solidaire du processus d'intégration, l'identité sociale s'exprime explicitement au travers des statuts occupés et des rôles sociaux remplis, ainsi que du style de vie adopté. La pratique constante et répétée des relations interpersonnelles renforce la conscience de soi, en mettant en situation l'autoreprésentation de soi, en relation dialectique avec la conscience de l'alter ego. L'identification, littéralement l'action de rendre identique, peut être définie comme le processus psychodynamique qui permet de structurer la personnalité du sujet en le rendant semblable aux autres. Elle se fait dans un premier temps grâce à l'imitation inconsciente, puis ultérieurement grâce à l'assimilation par intériorisation du modèle identificatoire chez un adolescent déjà plus autonome, fortifié par l'expérience et l'apprentissage social qui prétend à égaler ses modèles au lieu de leur ressembler. Par ailleurs, l'identification sous — tend la socialisation à laquelle elle est fortement corrélée. Ainsi, l'élève en apprentissage scolaire peut s'identifier à son maître, ses camarades d'étude ou ses camarades de jeux. L'adolescent s'identifie à des personnages d'exception représentant son idéal, idole, star, champion, leader politique ou intellectuel en vue, dans un contexte trouble conflictuel, voire traumatisant, caractéristique de cette étape de l'existence. L'adulte s'identifie aux différentes structures institutionnelles de référence qui le constituent en tant qu'être social multiple, en l'occurrence la famille, le club sportif, l'entreprise ou la corporation, le parti politique ou la classe sociale, mais également la nation toute entière. En règle générale, ces identifications aboutissent à une forte adhésion communautaire avec respect des normes et valeurs, soumission à l'autorité, avec éventuellement intériorisation des préjugés collectifs. Le processus d'intégration sociale, quant à lui, désigne l'ensemble des modalités qui visent l'incorporation et l'assimilation de l'individu en tant qu'élément à part entière du groupe social auquel il appartient ou auquel il désire appartenir, et dans lequel il est reconnu comme tel avec son statut, ses rôles et son identité sociale. Ce processus est soumis à l'action conjuguée d'une double instance de contrôle, à la fois externe et interne. Le contrôle externe, de type éthico-normatif, repose sur un code des usages et pratiques, fondé sur le respect des prescriptions et proscriptions, ainsi que sur la conformité des motivations et intérêts individuels, aux valeurs consacrées par le groupe. Le contrôle interne, plus psychologique, se fonde sur l'identification normative qui consiste en l'intériorisation du code des valeurs par identification aux modèles parentaux d'abord, puis aux modèles socioculturels dérivés ensuite, et qui constitue la dimension prévalente de la socialisation et sa clé de voûte. L'intégration normative est interdépendante de la qualité et de l'intensité du lien social qui repose sur la croyance partagée en les mêmes convictions, certitudes, attitudes et intérêts, l'investissement des représentations qui leur sont rattachées, l'attachement affectif qui en résulte, et, enfin, l'engagement qui mobilise le sujet dans leur réalisation et consolidation. De plus, l'intégration se rapportant à une caractéristique du groupe et non de l'individu, elle est ce qui permet à un groupe social quel qu'il soit, de la famille à la nation, de fondre l'individu dans le groupe afin d'en assurer la cohésion.
II.3. La socialisation, dimension essentielle de l'humanisation Le terme socialisation désigne un processus continu de la naissance à la mort, par lequel l'être humain intériorise les codes, normes et valeurs du groupe social dont il est issu, en adopte les comportements caractéristiques et en assimile les modes de pensée prévalents, pour en devenir un membre à part entière. Les expériences des premières années seront, de ce point de vue, déterminantes, avec une mention spéciale pour la mère qui représente le premier agent de socialisation. Cet apprentissage de la vie communautaire se fait d'abord de façon informelle et traditionnelle dans la famille, avant de s'effectuer ultérieurement de façon plus officielle et conventionnelle, dans les institutions sociales ayant en charge l'éducation, selon ses différentes formes et dans ses différents paliers. Ce désir d'intégration de l'individu dans sa collectivité humaine, pour être la plupart du temps inconscient, n'en agira pas moins comme un puissant facteur de motivation, stimulant les mécanismes d'identification et d'introjection, pour modeler la conduite du sujet et la rendre conforme aux souhaits et attentes du groupe social. Pour cela, il devra apprendre à respecter les personnes et leurs biens, accepter et adopter les usages et les coutumes et se plier aux conventions sociales pour parvenir à une plus ou moins grande affinité avec les autres membres du groupe, dans l'ordre des représentations, attitudes et intérêts. C'est par l'action d'autrui, en garantissant la transmission de comportements acquis, que l'insertion du sujet dans le groupe social est assurée, de même que son inscription dans le système culturel qui l'organise et le régit, est validée, lui conférant ce faisant, identité, positionnement et signification. Les procédés d'inculcation de types de comportements conformes aux modèles sociaux, explicites ou implicites, varient selon les cultures, tout aussi bien pour ce qui concerne leurs aspects répressifs ou permissifs, que les délais et échéances de leur entrée en vigueur dans la vie du sujet. Mais pour ce qui est du domaine d'intervention, l'on s'accorde généralement à considérer qu'aucun secteur de la vie de l'enfant et, par conséquent, aucun de ses comportements ne peut se soustraire à l'emprise de la socialisation. En dépit de cette immersion a priori dans la culture et de la nécessaire prévalence de la socialisation, la violation des normes et valeurs et la transgression des interdits, toujours possibles, peuvent avoir des conséquences variables chez l'individu, en fonction des sanctions, peines, châtiments ou autres marques de réprobation encourues, mais aussi des caractéristiques éthiques prévalentes, fondées sur des modalités particulières de constitution des instances morales collectives, intégrées par autant de surmois individuels. Ce processus d'intériorisation des codes symboliques est structurant pour le sujet, dans la mesure où il le constitue comme sujet de langage et de la vie de relation sociale. L'espace familial, avec ses déterminations et caractéristiques propres, représente le lieu de la mise en scène du mythe familial et, en permettant le libre jeu des identifications et des projections, va assurer la constitution progressive de la personnalité du sujet.
III. LE LIEN COMMUNAUTAIRE ET LE LIEN SOCIAL OU LE BESOIN D'APPARTENANCE ET DE RECONNAISSANCE
III.1. Conscience collective et esprit communautaire : les avatars de « l'instinct grégaire » Si le terme collectif désigne ce qui se rapporte à un ensemble de personnes s'adonnant à des activités communes, le terme communauté, plus précis et différencié, voulant dire littéralement entité de ce qui appartient à plusieurs, peut se définir comme un ensemble social, constitué de personnes ayant de puissants liens d'appartenance entre elles, ainsi qu'avec la totalité qui les englobe et se réclamant généralement des mêmes valeurs. L'affinité qui relie entre eux les individus est de nature viscérale et organique, ce qui en fait une unité substantielle, contrairement à la société où le lien social qui unit les sujets est d'ordre contractuel, basé sur une alliance calculée, d'intérêts égoïstes. Dans la communauté, le lien social s'étaye sur un consensus à légitimation naturelle, l'attachement charnel à la terre des ancêtres, les liens du sang et du sol, ou sacralisé par les références cultuelles ou culturelles. Dans la société, il s'agit d'une alliance contractuelle, volontaire et réfléchie, devant privilégier les intérêts individuels de sujets libres et responsables, en revendiquant l'accomplissement individuel, tout en perdant de vue l'intérêt collectif. Mais dans la réalité actuelle, même dans les sociétés les plus avancées, il y a une prolifération du mouvement associatif et de la société civile, en autant d'institutions (comités, amicales, associations, clubs, partis, syndicats, etc.) qui resserrent le tissu social et raffermissent les liens communautaires sur la base de préoccupations communes, d'ordre professionnel, idéologique, politique et religieux, ou de partage d'activités ou de divertissements communs, tendant à faire de la société, un assemblage de communautés. Dans la communauté qui représente le prolongement naturel de la famille dont elle conserve les principales caractéristiques, l'éthique se fonde sur l'affectif et s'accommode des liens de parenté, de camaraderie et de piété, donnant ainsi tout son sens à la profondeur du lien communautaire. A l'inverse, dans la société, les personnes et les biens sont distinctement séparés et les échanges se font par relations contractuelles de nature conventionnelle, fondées sur le rationnel. Dans le même ordre d'idées, la conscience collective, notion se référant à l'existence de valeurs communes dans le groupe social, désigne le système des croyances et des sentiments partagés par la majorité des membres d'une même société. Cette conscience collective, qui est en fait une conscience commune permettant les échanges communicationnels, dans ses composantes affectives et cognitives, n'est pas réductible à la sommation des différentes consciences individuelles, mais peut être considérée simplement comme leur dénominateur commun. Elle se présente comme une perception cohérente du monde, accordée aux valeurs et codes communs, dotée d'une autonomie propre, qui transcende les existences individuelles et solidarise les générations. Dans la forme d'organisation communautaire, la conscience collective est marquée par la netteté et l'intensité des sentiments, notamment religieux, alors que dans la société à forte différenciation sociale, caractérisée par l'importance de la division du travail, c'est cette dernière qui vient compenser l'indigence de la conscience collective et se substituer à elle, pour y assurer la cohésion sociale. Les sentiments, moins nets et moins intenses, s'éloignent du religieux pour investir le culte de l'individu et la promotion sociale. Quant à la notion de conformisme, signifiant littéralement dont la forme est semblable au modèle, elle s'apparente à un mode de socialisation qui concède une large place à l'imitation et à l'innovation, dans la recherche de reconnaissance sociale, grâce à l'observance des codes et modèles en vigueur. L'apparente soumission en résultant relève alors d'une stratégie adaptative conciliant les exigences du consensus social et ceux des tendances de personnalitésplus individualistes. Le conformisme, différent de l'obéissance qui est une soumission à l'autorité, est le souhait de conformer ses attitudes et conduites aux attentes du groupe, qui sont du reste considérées comme garantes d'une perception exacte de la réalité. Procédant de l'influence normative du groupe, il s'exprime à travers l'uniformisation des attitudes et conduites et reflète l'équilibre d'ensemble du groupe. La conformité de l'individu au groupe est tributaire tout autant de caractéristiques sociales formelles, telles que les statuts, rôles et stéréotypes, que de facteurs motivationnels internes, la peur du rejet par le groupe l'emportant alors sur des tendances attractives contraires, en cas de conflit de motivations. (A suivre)
L'auteur est : Professeur de psychiatrie et psychologie médicale à la faculte de médecine d'Alger Chef de service à l'hôpital pshychiatrique universitaire Drid-Hocine, Kouba, Alger Président de la Société médico- psychologique algérienne


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