Cet homme qui se distinguait avec brio par son professionnalisme et son sens du devoir d'exemplarité non seulement devant les journalistes de The Sunday Leader, le quotidien dont il était le rédacteur en chef, mais devant toutes les femmes et les hommes de sa profession dans son pays et dans le monde, a été assassiné le 8 janvier dernier. Dans un ultime article intitulé « Monsieur le président, je vous fais une lettre… »*, publié une semaine après sa mort, Wickrematunga qui pressentait qu'on allait l'assassiner, apostrophait sans ménagement le chef de l'Etat srilankais. « Rares sont les professions dont les praticiens sont appelés intrinsèquement à risquer leur vie, en dehors du métier des armes », écrivait-il dès l'entame de son article. Ce dernier rappelle toutes les attaques furieuses que subissent les journalistes srilankais ; cela va du meurtre commis par arme de poing aux attentats à la bombe ciblant les voitures particulières ou les sièges des publications. « D'innombrables journalistes ont été harcelés, menacés et assassinés. J'ai l'honneur d'appartenir à chacune de ces catégories, et en particulier, désormais, à la dernière », précisait-il. Le défunt rédacteur en chef du The Sunday Leader fait état du dur quotidien imposé par « une guerre civile impitoyable menée par des protagonistes dont la soif de sang est sans limites ». Les protagonistes en question sont bien sûr l'Etat srilankais et les Tigres tamoules. Si Wickrematunga s'en prend sans hésitation aux « terroristes séparatistes » préconisant même leur éradication, il dénonce avec autant de véhémence la démarche répressive des autorités : « En fait, le meurtre est devenu le principal outil par lequel l'Etat s'efforce de contrôler les organes de la liberté. Aujourd'hui, ce sont les journalistes ; demain, ce sera le tour des juges. Aucun autre groupe n'a été à ce point en danger pour si peu. » Malgré les pressions et les menaces, la ligne du The Sunday Leader est restée constante grâce au courage de ceux qui le faisaient. « Nous avons également protesté contre le terrorisme d'Etat (…) et n'avons pas fait mystère de notre horreur à la pensée que le Sri Lanka soit le seul pays au monde à bombarder régulièrement ses propres citoyens. Ces opinions nous ont valu d'être brocardés comme des traîtres, mais si c'est là de la trahison, nous l'acceptons avec fierté (....) » Comme beaucoup de journalistes honnêtes, courageux et insensibles aux tentations de corruption, Lasantha Wickrematunga a payé de sa vie son audace. * Connu pour ses positions très critiques, Wickrematunga avait écrit cet article en prévision de son assassinat, demandant qu'il soit, le cas échéant, publié à titre posthume.