Le 19 mars 1990, le chef de gouvernement algérien, Mouloud Hamrouche, en application des décisions d'un Conseil des ministres, réuni quelques semaines auparavant (le 13 février), signe une circulaire adressée aux directeurs généraux des six entreprises de la presse algérienne dans laquelle il donne le ton concernant les réformes à venir dans le domaine. Objectif : « L'émergence, aux côtés des médias publics, d'une presse diversifiée. » Ce texte est la véritable réglementation fondatrice de la presse privée. Il s'appuyait évidemment sur les nouvelles dispositions de la Constitution du 23 février 1989. Ce texte qui donnait une assise réglementaire à ce qui était alors présenté sous le vocable d'« aventure intellectuelle » offre trois options à ceux qui s'engageraient, et qui sont, jusque-là, tous des fonctionnaires, y compris, bien sûr, ceux qui exercent dans les titres gérés par le parti unique et ses organisations satellites. Deux de ces options sont clairement formulées. La première permet le choix aux journalistes de s'engager dans les titres de partis ou d'opinion. La deuxième leur offre la possibilité de « constituer des collectifs professionnels pour la création et l'édition d'un titre indépendant, de revues ou de périodiques ». La circulaire donnait certaines garanties à ceux qui optaient pour ces deux perspectives s'ils souscrivaient « avant le 15 avril 1990 ». Pour les journalistes qui opteraient pour l'une ou l'autre de ces deux possibilités, la circulaire assurait les rémunérations et autres avantages liés au salaire garantis par le Trésor public du 15 avril 1990 au 31 décembre 1992, soit 32 mois et demi. Ce texte promettait de garantir par ailleurs des accès à de nombreuses facilités « Crédits, locaux, impression, facteurs de production) qui seront prévues et aménagées (…) » La troisième option accordait, sans changement de statut, le choix aux journalistes qui le désireraient de demeurer fonctionnaires du secteur public, en réalité sous monopole et à la dévolution du pouvoir en place comme le montreront les années à venir. Un mois plus tard, ce dispositif réglementaire sera adossé à la loi 90-07 du 3 avril 1990 relative à l'information et sa mise en application sera alors lancée. Comment vont évoluer les libertés de presse et d'expression à partir de ce moment ? Quel bilan et quels regards peut-on tirer et jeter sur la presse écrite après deux décennies d'existence ? A quels revirements et quelles dérobades vont procéder les pouvoirs qui se succéderont à la tête de la magistrature suprême et ceux qui présideront aux destinées des pouvoirs législatif et exécutif ? Comment réagiront les propriétaires des titres, leurs gestionnaires, les journalistes et la société (civile et politique) face aux attaques qui viseront les maigres acquis apportés par la circulaire Hamrouche et la loi 90-07 ? 20 ans après la promulgation de ces textes, il faut admettre que le bilan est loin d'être reluisant. Inflation de titres non viables Si la déconvenue n'est pas totale, elle n'est pas très loin de l'être. Quel que soit l'angle d'observation qu'on voudrait prendre, la presse algérienne se présente surtout sous des aspects négatifs (voire honteux au regard de nombre de pratiques journalistiques et des comportements entachés de corruption de certains hommes et femmes des médias) ou à tout le moins non satisfaisants, même si le paysage médiatique semble avoir radicalement changé par rapport à l'étouffant monopole du parti unique d'avant 1989. En effet et pour balayer devant nos portes, il faut bien convenir que l'un des derniers coups, le plus douloureux probablement, asséné à la presse vient de ceux qui la font. Oubliant leur devoir d'exemplarité, voire renonçant aux comportements éthiques et déontologiques nécessaires à la crédibilité de la profession, nombre de dirigeants de la presse, parmi les plus en vue, s'acoquinèrent avec les puissances d'argent ou avec des hommes politiques peu fréquentables de l'ex-parti unique pour ne citer que Ali Benflis, alors que ce dernier a été partie prenante avec Bouteflika dans la régression des médias et la répression des journalistes. N'a-t-il pas, sous l'impulsion de Bouteflika et avec la participation active des Ouyahia et autre Belkhadem, été en 2001, l'artisan de la révision du code pénal dans ses dispositions répressives de la presse ? Le prix de ce compagnonnage contre-nature sera exorbitant pour le crédit de la presse écrite.Pour apprécier la situation actuelle de la presse algérienne, il suffit de jeter un coup d'œil sur les rapports établis par les ONG internationales activant dans les domaines des médias. Ils classent depuis dix ans l'Algérie en queue de peloton parmi les pays les plus hostiles aux libertés de presse, d'expression et des droits de l'homme. De 1992 à 2000, les femmes et les hommes des médias ont été pris entre deux feux avec les conséquences que nous connaissons. La furie assassine des groupes islamistes issus du FIS s'est soldée par plus de 100 morts entre journalistes et autres personnels des médias. Quant au pouvoir, il n'a pas hésité à déployer la panoplie la plus complète au monde en matière de répression : arrestations et emprisonnements des journalistes et même torture, harcèlement judiciaire ininterrompu, suspension des journaux pour des périodes fatidiques pour la survie des publications, saisies de numéros suivies de mise au pilon et utilisation d'un nombre impressionnant de mesures économiques dont le détournement de la publicité, dans le but de nanifier les titres considérés comme opposants ou tout simplement pour les faire disparaître. Pour compléter ce tableau plutôt sombre, ajoutons que le pouvoir, tout en refusant l'agrément à toute initiative de création de journaux suspectée de ne pas lui être favorable, a laissé gonfler l'inflation des titres non viables (avec des tirages ridicules) pour peser sur la scène médiatique et la faire sombrer dans l'inefficacité et l'atteinte au professionnalisme.