Après La Casbah, la muraille, les forts et les cimetières, voici donc un four antique, de quoi réchauffer le cœur des citoyens durement éprouvés par les conséquences du dernier sinistre en date. Conservé à environ 60% de son état initial, ce four est construit en pierre et semble se composer, d'après ce que j'ai pu constater sur place, en deux volumes : l'alandier et la chambre de combustion. L'alandier, c'est-à-dire le foyer où on entretient les flammes, est encore presque intact. Il se présente comme un orifice de taille moyenne maçonné dans sa partie interne de briques rectangulaires (probablement des bessales) formant un élégant arc de cercle soutenu de part et d'autre de briques empilées. De ces deux points partent deux autres murs de briques plus grandes (sesquipédales ?) qui séparent le foyer de la chambre de combustion. C'est dans cet espace que le fournier allume son feu, l'alimente et le contrôle. De forme circulaire, la chambre de combustion, qui fait suite à l'alandier et où l'on place les objets à cuire, est profondément creusée dans le sol. Sa partie gauche est néanmoins mieux conservée que la partie droite qui s'est entièrement affaissée. On peut voir à mi-hauteur de cette chambre l'aménagement d'un rebord d'où partent sept murs de brique qu'on appelle les murs de refend. Se succédant à intervalles réguliers (tous les 20 cm environ), ces murs servaient à soutenir la sole, c'est-à-dire le toit du four qui, bien entendu n'existe plus, car il est dans la plupart des cas démantelé après cuisson pour récupérer les objets. L'ensemble permet de régulariser le flux de chaleur nécessaire afin que les objets n'éclatent pas sous l'effet des variations de température. Les parois de cette chambre portent également un revêtement argileux d'isolement et des traces de fumée noirâtre et oxydée couvrent les murs témoignant des températures atteintes lors de la cuisson. Une rapide analyse nous montre que les matériaux évoqués ou du moins ceux qui sont visibles à l'œil nu sont propres aux fours car ils sont à la fois isolants et réfractaires. Les premiers comme la pierre et le mortier (qui semble être un mélange de sable et d'argile) servent à retenir la chaleur. Cette isolation thermique est d'ailleurs accentuée par l'architecture excavée de la chambre à combustion. Les matériaux réfractaires qui supportent la chaleur se composent quant à eux d'argile et de brique que l'on voit autour de l'alandier et dans la chambre de combustion. Quelques tessons de poterie jonchent encore le sol. Ils appartiennent à première vue à la poterie dite tournée, c'est-à-dire travaillée au tour, une méthode connue depuis la plus haute antiquité. Leur couleur virant vers le rouge orangé est due aux oxydes de fer contenus dans l'argile qui une fois chauffés acquièrent ces tons. Si l'on tient compte des murs de refend qui rendent évidente l'existence de la sole, on peut en déduire également que la cuisson de cette céramique était de type semi-oxydant. Bien que des fours de ce type soient connus dans toute la Méditerranée depuis très longtemps et que leur architecture n'a pas changé au cours des siècles, nous n'avons plus d'équivalent en Algérie ou presque plus. Hormis les fours à chaux très simples, les fours à céramique dont celui de Tipaza, n'existent pratiquement plus. Conscients de l'importance de cette découverte, les membres des associations Delphine et Nouhoudh de Dellys ont tôt fait d'alerter les responsables de la culture de la wilaya de Boumerdès qui ont à leur tour sollicité leur hiérarchie à Alger et attendent toujours son aval pour une fouille de sauvetage. Outre le dégagement des structures apparentes, cette fouille si elle a lieu, devrait orienter ses recherches vers l'aire de chauffe qui en principe devrait se trouver sous la route dans le prolongement de l'alandier. En combinant les données de la thermoluminescence et des dépôts imposants dans lesquels se trouve le four, nous devrions pouvoir préciser l'âge de cette structure. Quant à la céramique que la fouille permettra certainement de mettre au jour, elle nous renseignera sur sa fonction même, car on ne sait toujours pas s'il s'agit d'un four à céramique ou à pain, même si on penche plus vers la première hypothèse. Quelles que soient les incidences de cette étude, il ne faut pas oublier que durant l'antiquité, Dellys a surpris les archéologues par le nombre impressionnant de ses céramiques, à tel point que A. Mascarello baptisa un coin de cette ville du nom de la Colline des poteries. A partir de l'époque médiévale et jusqu'à l'époque moderne, les Dellyssiens pratiquaient quotidiennement un rituel qui consiste à faire cuire le pain fait chez soi dans les fours publics et non à la maison comme c'est le cas un peu partout. Dellys et les fours c'est donc une histoire de bon voisinage, vieille de plusieurs siècles et cette découverte nous invite à la revisiter. Et dire que c'est la pluie qui a fait surgir cet âtre du passé ! Qui a dit que l'eau et le feu ne s'entendaient pas ?