« Ici, je retrouve mon enfance. Il me manquait une aile… » René Borg, 76 ans, natif de Tunisie, monstre du film d'animation, est venu en Algérie la semaine dernière avec une ambition : créer prochainement une école du dessin animé à Alger. L'homme a de l'expérience. A 26 ans, il débute en autodidacte dans les dessins animés pour l'armée avant de donner vie aux immortels Shadocks dix ans plus tard. René Borg est aussi le papa de Oum le dauphin, célèbre pour avoir fait la promotion du chocolat Galac. Il se lancera ensuite dans les dessins animés pédagogiques : on se souvient d'Ulysse 31, adaptation enfantine des aventures du célèbre héros de la mythologie grecque d'Homère. Ou encore de Il était une fois l'homme. La vie. Ou l'espace. « Toute cette expérience, je veux la mettre au service de ces jeunes talents algériens, explique-t-il, des dessinateurs éparpillés un peu partout, sans rien ni personne qui centralise ces énergies. » Le dessin animé n'a jamais été une priorité en Algérie. Le pays lui a toujours préféré son plus noble frère, le cinéma. « Nous sommes dans une période flottante, affirme Rachid Dechemi, un des concepteurs du projet, où tout doit etre restructuré. Le cinéma mais aussi tout le cadre juridique, pour créer un marché, des festivals, la formation des critiques… C'est là que le dessin animé arrive, comme un moyen pour véhiculer une identité forte de l'Algérie pour les enfants. » La production algérienne en matière de dessins animés est quasi inexistante. Une tentative de la société Numédias de créer une série sur l'Emir Abdelkader et les débuts de la colonisation a avorté, faute de moyens. « Il faut produire à l'international », affirme Yacef el Hocine, troisième compère embarqué dans l'aventure. Il parle avec l'expérience de La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo, film qu il a produit avec son frère Yacef Saâdi. « L'Algérie est le seul pays du Tiers-Monde à avoir raflé toutes les plus grandes distinctions dans le cinéma mondial : la Palme d'or avec Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina, le Lion d'or avec La Bataille d'Alger, des Oscars avec Z de Costa Gavras… Il n'y a aucune raison pour que nous ne soyons pas leaders dans le dessin animé. Il faut juste la volonté de le faire. » Et de la ténacité pour surmonter les difficultés, comme celles rencontrées par René Borg pour vendre son personnage Joha ou Djhaa. Ce petit bonhomme emblématique du bassin méditerranéen qui fait son apparition dès le VIe siècle en Tunisie, Egypte, Algérie, Malte jusqu'en Iran avec ses contes humoristiques. René Borg a déjà en boîte dix-neuf épisodes, mais la confrontation avec le marché occidental s'est conclue en choc des civilisations. Au festival du MIP-TV à Cannes en France, un producteur mondialement connu m'a hurlé : « Fous le camp de mon stand, je ne veux rien voir, ton Djhaa c'est Khomeiny ! » Le réalisateur préfère rester optimiste : « Toute la culture que portent les nations arabes et musulmanes est un trésor pour le dessin animé. Un atelier de production algérien pourrait même sous-traiter pour de grandes productions européennes et créer des emplois », affirment les concepteurs du projet. Reste à trouver un partenaire. Jusqu'à présent, l'Ecole des beaux-arts d'Alger, pressentie pour collaborer à la création d'un département de dessins animés, tend une oreille polie mais reste prudente. « Il faut mener l'idée à maturité, rien n'est encore arrêté quant au statut de l'école qui pourrait tout aussi bien être un département ou une filière au sein de l'Ecole des beaux-arts », prévient Nacer Kaceb, son directeur. La balle est désormais dans le camp des autorités.