Tantôt simplistes et rêveuses tantôt criantes et violentes, les œuvres de Abdenour Bouderbala sont l'expression de ses états d'âme et de ses humeurs. Des milliers de petits traits s'alignent les uns sur les autres, les uns contre les autres pour prononcer un regard, attribuer de l'expression ou souligner un détail. Son coup de main adoucira les courbes ou retranchera des lignes droites, fines, éparses mais réfléchies. La feuille blanche scotchée au sol par sa mère ou son épouse finira par être ramassée, froissée après que l'artiste se soit exprimé dans une sorte de transe. A même le sol et après avoir dégagé tous les meubles, Abdernour ne fait plus qu'un avec sa feuille et son crayon. Ses proches se feront discrets. « J'ai l'impression qu'il y a du mystique quand il commence à dessiner », explique sa mère, qui prendra chacune des œuvres de son fils, qu'elle aplatira d'un revers de main et qu'elle repassera au fer doux. Pour faire oublier que l'œuvre est finie en un ramassis de boule. Pour effacer le handicap de l'artiste. Abdenour Bouderbala est handicapé moteur. Il « souffre » d'une insuffisance motrice cérébrale : il ne peut rien faire de ses mains ni marcher. Il présente quelques difficultés à parler mais si on prête attention, Abdenour s'exprime dans un français soutenu. « Quand il a commencé à dessiner, voilà plus de dix ans, j'ai pensé qu'il y avait quelque chose de paranormal. Imaginez, il n'arrive pas à tenir une cuillère ! », témoigne sa mère. Mais un crayon, si. Un peu dans le prolongement de son corps qui ne veut pas lui obéir, le crayon se fait ami et confident. Il saisira les pensées de l'artiste et sera fidèle à sa volonté : celle de reproduire le réel ou l'irréel, le conscient ou l'inconscient. Un bout de quelque chose griffonné dans de grands élans d'inspiration. Abdenour Bouderbala a exposé dans ses débuts à la galerie de Dar Diaf (Alger). Ils furent les premiers à reconnaître son talent et à le lancer dans le monde des expositions. Puis il a fait un tabac à la Bibliothèque nationale. Ses œuvres ont provoqué un attroupement et les acheteurs se les ont disputées. La galerie d'art Omar Racim a joint les œuvres de Kim Lan, artiste chinoise, et celles de Abdenour Bouderbala. L'illustratrice étrangère est même tombée amoureuse des œuvres de Abdenour. Quelques projets sont en cours à Sidi Bel Abbès et à la médiathèque. Son dernier coup de crayon, La Rage, est profond et violent. C'est un visage mi-homme, mi-bête aux orbites enfoncés qui rappelle quelque peu le regard de Saturne dans la fameuse œuvre de Francisco Goya Saturne dévorant son fils. Quelque chose d'incroyablement humain mais de profondément animal que l'artiste aura mis en relief. Comme si ce jeune homme doux et au sourire enjôleur avait pu composer avec cet état de folie bestiale. Entouré de deux femmes qui l'appuient et l'encouragent, Abdenour Bouderbala a vite fait d'oublier son handicap. Lui qui se demandait ce qu'il allait faire de sa vie…