Dans cette page d'histoire, le nom de Maurice Audin, jeune mathématicien d'Alger, figure parmi les milliers d'Algériens soumis à «la question» par l'armée coloniale française et portés «disparus» pour la plupart. Maurice Audin, assistant à la faculté des sciences d'Alger, est mort le 21 juin 1957, sous la torture, étranglé par le lieutenant de renseignements, André Charbonnier. Le colonel Roger Trinquier, instituteur dans les années 1940, avant de porter la tenue de tortionnaire, commandait le service «renseignements-action», dans l'appareil militaro-policier français en Algérie. Un immeuble en construction, boulevard Georges Clémenceau(*), à El Biar, abritait le centre de torture, Maurice Audin y fut conduit dans la nuit du 11 juin 1957 et soumis à d'atroces tortures durant dix jours. Les tortionnaires et auteurs de nombreux crimes ont pour nom : Devis, Roger Faulques, André Charbonnier, Philippe Erulin, Jacquet, Llorca. L'intelligence assassinée Né le 14 février 1932, à Béja, en Tunisie, Maurice Audin est venu à Alger en 1940. Après de brillantes études secondaires et supérieures, il est nommé assistant d'analyses supérieures à la faculté des sciences d'Alger (chaire de mathématiques du professeur Pomel), le 1er février 1953. Très doué, il préparait une thèse de doctorat d'Etat sur «L'équation linéaire dans un espace vectoriel et cycles limités dans les systèmes différentiels». Son directeur de thèse était René de Possel, professeur à la Sorbonne (Paris). Epris de justice sociale, Maurice Audin se lança dès l'âge de 19 ans dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie, dans les rangs du PCA, aux côtés de son épouse Josette, professeur de mathématiques comme lui. Maurice Audin avait trois enfants, sa fille aînée est agrégée de mathématiques. Afin de perpétuer le souvenir du savant, la République algérienne a donné le nom de Maurice Audin à la place centrale d'Alger au carrefour du tunnel des facultés, du boulevard Mohamed V et de la rue Didouche Mourad. La place fut inaugurée le 5 juillet 1963, an I de l'indépendance. Par ailleurs, l'Ecole nationale d'administration (ENA) donna à sa promotion 2006 le nom du chahid. L'homme sans sépulture Où se trouve le corps du supplicié ? Le général Jacques Massu a refusé de dévoiler le secret. Quelques mois avant la mort du général en 2002, le commandant Paul-Louis Aussaresses, qui servit sous ses ordres en 1957, lui avait demandé : «Vous ne pensez pas, général, qu'après plus de cinquante ans, il faudrait parler pour Mme Audin». L'ancien «patron» des milliers de parachutistes basés à Alger le rabroua : «Je ne veux plus rien entendre ; compris, Aussaresses ?», lança-t-il au téléphone à l'assassin de Larbi Ben M'hidi. L'histoire de la fin du mathématicien algérien sera-t-elle connue un jour ? *Aujourd'hui, avenue Ali Khodja, héros de la guerre d'indépendance, mort le 16 octobre 1956, les armes à la main dans un refuge à Fort-de-l'eau (Bordj El Kiffan).