Son corps n'a jamais été retrouvé. Pourtant, il fut arrêté et torturé sur les ordres de Massu. Henri Alleg le savait. Il fut le dernier à l'avoir vu vivant entre deux séances de torture. Henri Alleg est tombé dans une sourcière au lendemain de l'arrestation de Maurice Audin. Parce que justement, c'est de lui qu'il s'agit. Lui qui avait choisi, par conviction -intime- de se placer aux côtés des opprimés, contre les oppresseurs. Il y a trois ans, on célébrait la commémoration du cinquantième anniversaire de son lâche assassinat que personne, outre-mer, ne veut reconnaître, voulant faire passer sa disparition pour une évasion. Mathématicien, Maurice est assistant dans la même branche à l'Université d'Alger. Il avait alors 25 ans. Il était militant au Parti communiste. Et contrairement à la direction de sa formation politique, il s'est très tôt prononcé pour l'indépendance de l'Algérie, dont il prendra la nationalité, sans honte aucune. Maurice Audin est né le 14 février 1932 à Béja, en Tunisie. Il est arrivé à Alger en 1940. Après de brillantes études secondaires et supérieures, il est nommé assistant d'analyses supérieures à la faculté des sciences d'Alger (chaire de mathématiques du professeur Pomel), le 1er février 1953. Très doué, il préparait une thèse de doctorat d'Etat sur «l'équation linéaire dans un espace vectoriel et cycles limités dans les systèmes différentiels». Epris de justice sociale, Maurice Audin se lance, dès l'âge de 19 ans, dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie, dans les rangs du PCA, aux côtés de son épouse Josette, également professeur de mathématiques. Maurice Audin avait trois enfants, sa fille aînée est agrégée de mathématiques. Afin de perpétuer le souvenir du savant, la République algérienne a donné le nom de Maurice Audin à la place centrale d'Alger, au carrefour du tunnel des facultés, du boulevard Mohamed V et de la rue Didouche Mourad. La place fut inaugurée le 5 juillet 1963. Par ailleurs, l'Ecole nationale d'administration (ENA) donna à sa promotion 2006 le nom du chahid. Le 11 juin 1957, en pleine bataille d'Alger, les parachutistes, sur ordre du général Massu, se présentent à son domicile et l'embarquent. Il est emmené dans un centre de torture situé à El Biar. Le lendemain, Henri Alleg est à son tour arrêté par les paras au domicile de Maurice, qu'ils ont transformé en souricière, empêchant même Josette Audin et ses enfants d'en sortir. Ils ne reverront plus jamais Maurice. L'auteur de la Question raconte que, lorsqu'il fut emmené lui aussi au centre de torture, il a retrouvé Maurice «en slip, allongé sur une planche, des pinces reliées par des fils électriques et fixées à l'oreille droite et à l'oreille gauche». Assassiné, son corps n'a jamais été retrouvé. L'armée coloniale s'en était lavé les mains en indiquant qu'il s'était évadé du véhicule qui le transportait. Une thèse qui n'a convaincu personne puisque Alleg était formel. Il était le dernier à l'avoir vu vivant et torturé. L'épouse de Maurice a porté plainte à plusieurs reprises, mais les autorités françaises lui opposeront les lois d'amnistie de 1962 et 1968. A l'occasion du cinquantenaire de sa disparition, Nicolas Sarkozy voulait le décorer de la légion d'honneur. Histoire de se donner bonne conscience et espérer clore définitivement le dossier. Mais c'était compter sans la détermination de la famille Audin qui rejettera la décoration en exigeant que toute la vérité soit faite sur la disparition de Maurice et que ses tortionnaires et assassins soient jugés. F. A. Sources :L'Affaire Audin, de Pierre Vidal NaquetLa Question, de Henri AllegLa Bataille d'Alger, d'Yves Courrière