«En 1960-1961, dit-il, j'étais à Munich, en Allemagne. Je rencontre un jour un membre influent du MNA, Abdelkader Oualane. Nous entamons la conversation sur la guerre d'Algérie et les luttes fratricides entre FLN et MNA qui se prolongent; je lui dis : ‘'le gouvernement français traitera avec le FLN et le FLN seul. Constituez un groupe de militants et allez trouver Messali. Proposez-lui de le faire sortir de France et de faire une déclaration de ralliement sans conditions au FLN. Cela effacera ses fautes et, ainsi, vous arrêterez la tuerie entre militants d'une même cause. Vous aurez fait un acte de patriotisme et Messali aura des chances de remonter à la surface. Sinon, vous êtes des hommes perdus''. De Gaulle négociera avec le FLN et le FLN seul. Messali demeure pour lui une masse de manœuvres pour contrecarrer le FLN. Il doit éviter de se prêter à ce jeux dangereux.» «Quelque temps après, je vois arriver Moulay Merbah, homme de confiance de Messali. Nous entamons la conversation et je lui fais part de mon idée. Moulay rentre en France, puis retourne me voir, accompagné cette fois d'Ali, le fils de Messali. Je leurs tins à tous les deux le même langage. Puis je me rends en Suisse, chez Saâd Dahlab, qui était en pourparlers avec les Français. Dahlab approuve ma démarche. Si on pouvait le gagner (Messali), me dit-il, ce serait extraordinaire.» Peu de temps après, les responsables messalistes se réunissent à Vevey, en Suisse, et se mettent d'accord pour reprendre mon idée qu'ils vont soumettre à Messali. Celui-ci les accueille avec fureur et les exclut de son parti. Un beau jour je vois réapparaître Moulay Merbah en Allemagne, il était désemparé : «Vous aviez raison, me dit-il, Messali est intraitable, nous avons été injuste envers le Comité central.» Lors de la crise de l'été 1962 qui opposa le GPRA à l'état-major, Lahouel intervint auprès des uns et des autres, notamment les anciens du PPA-MTLD qu'il connaissait particulièrement, pour faire cesser la tuerie entre frères ennemis, mais hélas sans résultat. CRUA et Centralistes On a porté des accusations contre les centralistes les traitant d' «attentisme», tantôt de «déviation» réformiste. L'étiquette de centraliste correspond à une certaine réalité du PPA-MTLD au moment de sa crise en 1953-1954. Par opposition au messalisme, elle exprime avec netteté la tendance démocratique du Parti qui s'opposait au populisme outrancier de Messali, refusait le culte de la personnalité, dont il était l'objet avec son propre assentiment, et repoussait sa prétention totalitaire à revendiquer la présidence à vie du Parti. Dans leur grande majorité, les centralistes étaient des cadres moyens ou supérieurs du Parti. Après Novembre 1954, on les retrouve, dès qu'ils en ont eu la possibilité, aux avant-postes et dans tous les rouages de la révolution.Ces attaques venues de Messali ont été reprises par certains éléments de l'OS et, aujourd'hui, elles sont encore plus ou moins exhibées non sans certaines arrière-pensées malveillantes.Convaincu de la nécessité de l'action armée, le Comité central divergeait avec le CRUA sur un point : la date du déclenchement. Le CRUA était pour l'action immédiate, tandis que le CC demandait un délai à cause de la crise violente qui l'opposait aux messalistes, et parce qu'il refusait une action engagée dans la hâte et la précipitation. Partisans, par ailleurs, d'une stratégie unitaire, les centralistes regrettaient que l'aile activiste du PPA-MTLD, ne comptant que sur elle-même, fut portée à sacrifier à la précipitation en court-circuitant délibérément les autres formations populaires capables d'apporter une adhésion décisive à l'insurrection. L'appel de mars 1976 Après l'indépendance, en 1976, Lahouel signe un appel avec trois anciens responsables du Mouvement de libération : Ferhat Abbas, Benyoucef Ben Khedda, Mohammed Kheïreddine. Les quatre vétérans de la lutte s'élèvent contre l'organisation du vote d'une prétendue «Charte nationale» par le chef de l'Etat, Haouari Boumediène, et réclament l'élection d'une Assemblée nationale constituante seule habilitée à discuter et adopter cet écrit solennel qui engage l'avenir de la nation. De plus, ils proposent des négociations pour régler le conflit Algérie-Maroc, qui s'achemine vers un conflit armé. Les négociations constituaient la seule voie pour éviter la guerre entre deux peuples frères (un conflit qui perdure jusqu'à ce jour). Cette position valut aux quatre signataires du document la mise en résidence surveillée, la nationalisation de leurs biens : pharmacie pour Abbas et Ben Khedda, usine de polymères pour Kheïreddine, salaire supprimé pour Lahouel, directeur d'une société nationale. Les mesures répressives ne s'arrêtent pas là. Elles touchèrent leurs proches. Ainsi Abderrahamane Kiouane fut privé de son salaire pendant plusieurs mois. Il occupait le poste de directeur de la Fonction publique. Il avait été proposé secrétaire général du ministère de l'Intérieur en 1976 et son dossier qui n'attendait que la signature du président de la République fut retiré. D'anciens militants furent «filés» par la police, d'autres constamment surveillés dans leurs déplacements par des «anges gardiens». Le mouvement El Oumma Après les manifestations d'octobre 1988 et l'avènement du multipartisme, le mouvement El Oumma vit le jour et Lahouel en a été l'un des fondateurs. El Oumma reprend la proclamation du 1er Novembre 1954 et son objectif de l'indépendance «dans le cadre des principes islamiques». Il se propose de rassembler dans la même formation d'anciens militants du FLN et des jeunes citoyens convaincus de la justesse de cette revendication, les premiers apportant leur expérience politique et militante, les seconds leur savoir et l'énergie de la jeunesse. C'était une rencontre entre deux générations, le retour aux sources et aux constantes nationales arabo-islamiques et c'est sur ces constantes que le peuple algérien bâtira son projet de société. Le mouvement El Oumma a été agréé le 19 juillet 1990. Malheureusement le pouvoir mit fin à ses activités en lui interdisant de se référer à ces deux constantes de la nation : la langue arabe et l'Islam. Toute activité légale basée sur ces deux valeurs devenant impossible ; El Oumma s'est trouvé dans l'obligation de s'auto-dissoudre et sa décision fut prise le 27 mars 1997. Peut-être a-t-on perdu là l'occasion d'opérer la jonction entre la génération de l'indépendance et la génération de l'après-indépendance ? Conclusion Avant de terminer cet exposé sur Lahouel et le Comité central, je voudrais soumettre une réflexion sur notre guerre de Libération nationale et le problème de la direction du FLN au cours de cette période. Certes, l'insurrection déclenchée le 1er Novembre 1954 a conduit l'Algérie à la victoire, une victoire éclatante, une des plus glorieuses de notre histoire nationale, qui demeurera un sujet de fierté pour tout Algérien. Elle a contraint la France, puissance mondiale, à reconnaître solennellement à l'Algérie son indépendance, sa souveraineté nationale et son intégrité territoriale, Sahara compris. C'est grâce au peuple et à ses immenses sacrifices qu'elle a été obtenue. Malheureusement, cette victoire a été très mal gérée pour ne pas dire gérée d'une manière catastrophique ; durant l'été 1962, un clan s'est emparé du pouvoir par la force des armes au cours d'un conflit sanglant qui a fait 1000 morts et laissé des traces durables dans notre société et dans les régimes qui se sont succédé depuis cette date. La crise de 1962, au sommet du FLN, a révélé dans toute son ampleur l'importance vitale d'une direction non contestée et unie dans la conduite du pays. Avec du recul, posons-nous la question : la précipitation de l'insurrection n'a-t-elle pas engendré des maux graves qui ont affecté durablement le FLN et l'ALN et qui ont pour noms : absence de direction nationale au cours des deux premières années de la guerre ; autorité diluée entre l'intérieur et l'extérieur ; appel à des éléments non révolutionnaires, voire aventuristes et opportunistes aux centres de décision ; liquidation de Abane en décembre 1957 ; série de coups de force, à la cadence moyenne d'un coup d'Etat tous les six ans. Comment dès lors concevoir le développement du pays ? Cinq décennies après 1954, le problème de la direction est toujours là ; il se pose de façon dramatique, il hante les esprits, il est permis aujourd'hui de jeter un regard en arrière et de se demander laquelle des deux conceptions était juste, celle du Comité central, partisan de retarder de quelques mois seulement le déclenchement insurrectionnel afin d'en parfaire l'organisation, désigner une direction et élaborer une plateforme d'union, ou celle du CRUA, partisan, lui, de l'action immédiate et précipitée ? Il serait bon d'approfondir la réflexion sur cette question, loin des préjugés et des passions, loin surtout des invectives et procès d'intention. C'est là où les spécialistes et chercheurs devraient déployer tout leur talent et toute leur intelligence afin d'aider à une compréhension, enfin apaisée, de notre histoire nationale. Je termine pour revenir à Hocine Lahouel qui a marqué de son empreinte un des grands moments de l'histoire du mouvement national. Trois traits de caractère dominent chez lui : le don de soi, adolescent, il quitte les bancs du lycée de Skikda pour se lancer dans la bataille de la libération de la patrie ; le respect des principes, notamment le principe de la direction collégiale, en 1946 au mois de novembre, le Comité central du PPA avait décidé la participation aux élections à l'Assemblée nationale française. Lahouel s'y était opposé et il était le seul. Pourtant, au cours de la campagne électorale, il laissa de côté son point de vue et ses sentiments personnels et défendit publiquement et avec chaleur le point de vue de la majorité ; l'union nationale était sa devise. Il était convaincu que, sans elle, l'indépendance était une chimère. Ce fut là l'idée chère au Comité central du PPA-MTLD qui lança, en décembre 1953, «l'appel pour un Congrès national algérien». L'idée fit son chemin et, en 1956, elle fut reprise par les militants animateurs du Congrès de la Soummam où l'on vit les trois formations, PPA-MTLD, UDMA et Association des Oulama, fondues dans un même creuset, le FLN. Cette union nationale sera l'un des facteurs déterminants de la victoire de l'indépendance en 1962. De son vivant, Si El Hocine avait exprimé, auprès de ses proches, la volonté d'être inhumé à Skikda. Nous avons contribué à réaliser ce souhait, vendredi 8 dhou el-qi'da 1415 (7 avril 1995). Qu'Allah accorde Sa miséricorde et Sa Clémence au frère Hocine Lahouel. * Cet article provient de la Fondation Benyoucef Benkhedda L'auteur est ancien président du GPRA